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« Quelle morale pour les restes ? » : un débat sur les déchets à Lyon

L’École urbaine de Lyon a lancé sa deuxième saison de rendez-vous intitulés les « Mercredis de l’Anthropocène », dont Rue89Lyon est partenaire. Nous publions les tribunes et productions éditoriales des invités de ces conférences qui interrogent notre époque à l’aune de leurs spécialités et champs d’expertise.

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La culpabilisation des jeteurs.

Retrouvez ci-après une tribune co-écrite par Nathalie Ortar, directrice de recherche à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE), et Elisabeth Ansett. Le texte est est extrait de l’ouvrage « Jeux de pouvoir dans nos poubelles. Economies morales et politiques du recyclage au tournant du XIXe siècle. », paru aux éditions Petra.

Les recherches de Nathalie Ortar sont notamment axées sur le recyclage et la récupération. Elle est l’invitée de ce « Mercredi », aux Halles du Faubourg, à l’occasion d’une conférence intitulée « Une seconde vie pour les objets et les matériaux usagés ». Joanne Boachon, architecte et directrice-fondatrice de Minéka, association qui promeut les matériaux de construction à réutiliser, interviendra à ses côtés. 

La compréhension des cadres normatifs qui sous-tendent les diverses manipulations de restes et de déchets est décisive. En effet, le déchet est souvent appréhendé à partir de systèmes qui assignent une valeur positive ou négative au fait de se défaire ou, au contraire, de conserver des matériaux ou des matières devenus inutiles.

Et même si le travail de Mary Douglas n’a jamais véritablement porté sur les déchets, il n’en reste pas moins que les notions de pureté / impureté ou celle de pollution qu’elle a contribué à mettre sur le devant de la scène anthropologique sont souvent intrinsèquement associées aux matières détritiques et contribuent à poser l’analyse des pratiques de recyclage et de récupération dans le champ de la morale.

Ainsi, à l’heure de l’émergence de pratiques de « consommation collaborative » qui prônent le partage des ressources utilisables, ou à celle de la réinvention d’une « économie circulaire » qui vise à offrir un nouvel usage à des artefacts devenus inutiles en éliminant l’idée même de déchet, le fait de jeter, de se séparer d’un bien, se laisse parfois assimiler à une faute, là où, à l’inverse, les pratiques de conservation et de réparation des objets déchus ou abîmés, parce qu’elles emblématisent un futur « soutenable » et souhaitable, sont encouragées, applaudies et considérées comme vertueuses.

Culpabiliser les jeteurs et disqualifier les objets délaissés

Lorsque Gay Hawkins publia en 2006 The Ethics of Waste, il s’agissait précisément pour elle de mettre en lumière la dimension éthique qui sous-tendait la promotion des pratiques de recyclage, afin d’en saisir leurs enjeux proprement politiques. Dans le prolongement de cette œuvre pionnière, divers questionnements ont progressivement vu le jour dans le champ des sciences sociales – anthropologie, études culturelles, écologie politique, sociologie, géographie.

Ces travaux viennent interroger les jeux de caractérisation morale qui irriguent des gestes aussi banals et routiniers que ceux de la mise au rebut, ou encore que ceux du tri des déchets. Ces recherches soulignent notamment la façon dont, en quelques années, certains discours environnementalistes et certaines politiques publiques ont pu participer à une culpabilisation des jeteurs tout en contribuant à renforcer le principe de disqualification des objets délaissés.

Même si elle a récemment été reformulée de façon singulière, la question des économies morales n’est pas neuve en sciences sociales dans la mesure où elle renvoie à l’étude des diverses prescriptions, injonctions et interdictions sur lesquelles repose l’intégralité de la vie sociale, qui fut entamée par nombre de sociologues, de philosophes, d’anthropologues ou de politistes dès le XIXe siècle.

Le recyclage et la morale

Le regain d’intérêt qu’a connu cette thématique, au sein de l’anthropologie sociale anglo-saxonne notamment, incite à interroger à nouveaux frais l’ensemble des pratiques et des représentations liées aux matières détritiques, afin de mieux comprendre les logiques qui les sous-tendent.

Aborder les questions de recyclage et de récupération des déchets par le biais des économies morales permet, en effet, d’interroger à la fois les contextes (leurs dimensions historiques ou culturelles), les acteurs (leur rôle et leur capacité à s’approprier ou à transformer les contraintes) et les agendas sur lesquels reposent les injonctions (leurs dimensions religieuses, idéologiques voire ségrégationnistes).

Cet angle d’approche présente aussi l’intérêt d’expliciter les systèmes normatifs, faits de prescriptions et de prohibitions parfois sous-entendues, et à ce titre de rendre visibles et lisibles les logiques sous-jacentes de l’action individuelle et collective.

« Une seconde vie pour les objets et les matériaux usagés », le mercredi 23 octobre aux Halles du Faubourg (Lyon 7è), de 18h30 à 20h.

Avec :

  • Nathalie Ortar, directrice de recherche à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat. Ses recherches sont notamment axées sur le recyclage et la récupération.
  •  Joanne Boachon, architecte et directrice-fondatrice de Minéka, association qui démocratise le réemploi de matériaux de construction, interviendra à ses côtés.

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