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Etudiants à Lyon : à l’école de la précarité

Vendredi 8 novembre, un étudiant de 22 ans s’immolait devant le CROUS de Lyon. Cette tentative de suicide a choqué par sa violence et provoqué une vague de colère étudiante dans toute la France. Après plusieurs jours de blocage à l’Université Lyon 2, les étudiants rejoindront les « gilets jaunes » ce samedi à l’occasion des un an du mouvement.

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Etudiants à Lyon : à l’école de la précarité

Enquête sur la précarité étudiante à Lyon

« Depuis la rentrée, je dors sur le canapé d’amis. Je cherche un appartement à Lyon mais avec ma bourse je n’ai pas assez d’argent et je me sentais trop mal en résidence CROUS. L’avenir ? J’évite d’y penser sinon ça va pas. »

Comme cette étudiante, A., 22 ans, était en galère. En deuxième année à l’Université Lumière Lyon2, l’étudiant ne supportait plus cette situation. Vendredi 8 novembre, après avoir posté un message alarmant sur Facebook (lire ci-dessous), il s’est rendu devant le CROUS du 7e arrondissement de Lyon, s’est aspergé d’essence avant de s’immoler.

A ce jour, il est toujours entre la vie et la mort.

Le post publié par A. sur son compte Facebook juste avant son immolation. Capture d'écran.
Le post publié par A. sur son compte Facebook juste avant son immolation. Capture d’écran.

Une amie militante d’A., également étudiante et qui souhaite garder l’anonymat, a tenté de le stopper, en vain. Elle raconte un jeune homme engagé dès ses années de lycée à Saint-Etienne, révolté et désireux de s’impliquer dans les luttes syndicalistes à son arrivée à la fac.

« C’est la première personne politisée que j’ai rencontré en arrivant à la fac l’an dernier. C’est le mec qui se posait à la fac et discutait avec tout le monde. Un gars chaleureux et cultivé avec qui j’aimais bien parler malgré nos débats politiques animés et nos désaccords. »

Mais aussi un jeune homme « discret au sujet de ses problèmes », à tel point que ses proches n’ont rien vu venir :

« Je le savais stressé. Il a eu des soucis avec sa résidence CROUS l’an dernier qui était insalubre. Je n’étais pas au courant de ses difficultés financières mais je le savais en galère, comme la plupart des étudiant.es. Je pense que la raison principale de son geste était sa situation personnelle. A. est quelqu’un de combatif, il avait tout le temps espoir même quand cela ne se présentait pas bien. »

Et de prévenir :

« Son geste est profondément politique. Ce n’est pas qu’une tentative de suicide, c’est un signal d’alarme sur la condition étudiante. »

Cette tentative de suicide a choqué par sa violence et provoqué une vague de colère étudiante dans toute la France. Nombre d’entre eux se sont reconnus dans la situation précaire du jeune homme. A Lyon, plus d’un millier d’étudiants se sont réunis mardi 12 novembre devant le CROUS, là où A. s’est immolé, pour protester contre la précarité.

Rassemblement le mardi 12 novembre à Lyon devant le CROUS où A. s'est immolé. ©LB/Rue89Lyon
Rassemblement le mardi 12 novembre à Lyon devant le CROUS où A. s’est immolé. ©LB/Rue89Lyon

L’Université Lumière Lyon 2 a été bloquée dès le lendemain, le bureau de sa présidente mis sens dessus-dessous par des étudiants à bout. Les étudiants lyonnais ont aussi mené des opérations « CROUS gratuit » en rendant accessible gratuitement le restaurant universitaire des quais.

Des étudiants à la rue

Ce désespoir face à la précarité de ses conditions de vie, A. n’est pas le seul à le ressentir. Sarah, 19 ans, redouble sa première année de Sciences sociales à l’Université Lumière Lyon 2. Sa mère, qui gagne seulement 600€ par mois, ne peut pas l’aider financièrement. Avec une bourse à 390€ par mois, la jeune femme galère :

« Je devais être en colocation avec une amie mais elle a dû arrêter ses études pour travailler. Avec une bourse de 390€ par mois je n’arrive pas à trouver un appartement sur Lyon et je me sentais trop isolée en résidence CROUS l’année dernière. Depuis septembre, je suis hébergée par des amis. Ils sont trois sur le bail mais il n’y a que deux chambres, ils hébergent aussi deux autres personnes en galère. Au total on est six, on arrive à gérer mais c’est un peu compliqué. »

D’après une enquête sur le coût de la vie étudiante réalisée en 2019 par l’Unef, les étudiants deviennent de plus en plus précaires :

« Pour cette rentrée 2019, le coût de la vie étudiante augmente de 2,83%, soit une augmentation importante qui est bien supérieure à celle de l’inflation qui est de 1,20% sur un an . La précarité étudiante continue ainsi sa forte progression et les étudiant·e·s s’appauvrissent plus vite que le reste de la population sans réelle réaction des pouvoirs publics. »

Dix villes sont particulièrement onéreuses, combinant des loyers élevés et des transports chers. Parmi celles-ci, Lyon remporte tristement la palme des prix des loyers et des transports les plus élevés. Or, toujours d’après l’Unef le paiement du loyer est le principal pôle de dépense des étudiants.

Les dix villes qui cumulent une augmentation des loyers des petites surfaces et des transports. Capture d’écran de l’enquête 2019 de l’Unef sur le coût de la vie étudiante.

Les étudiants les plus touchés par cette augmentation générale du coût de la vie étant les boursiers selon l’Unef :

« Les aides au logement (APL) ont successivement été diminuées à la rentrée 2017, puis gelées pour la rentrée 2018 et 2019. Tandis que les prix des loyers continuent d’augmenter d’année en année, les étudiant·e·s se retrouvent avec moins d’aides au logement qu’auparavant. […] Les bourses sur critères sociaux quant à elle ont été revalorisées, après 3 ans de gel, pour la rentrée 2019 d’en moyenne 1,10% alors que l’inflation est de 1,20% ; ce qui signifie que malgré cette revalorisation, les étudiant·e·s boursier·ère·s perdent de l’argent.  »

Les résidences du CROUS : en colocation avec les cafards

Les plus précaires se verront rétorquer qu’il existe des résidences CROUS, réservées en grande partie aux étudiants boursiers avec des loyers réduits. Mais d’après une enquête réalisée par l’Unef en 2018, ces logements sont en nombre insuffisant :

« Seuls 7,4% des étudiant·e·s sont logé·e·s en résidence du CROUS aujourd’hui. Les capacités des CROUS sont ainsi largement en dessous des besoins des étudiant·e·s alors même que ces logements sont les seuls à être accessibles financièrement au public étudiant. En effet, quand en moyenne un logement CROUS coûte cette année 359,07€/mois, un logement dans le parc privé se loue en moyenne à 471€/mois. »

Ou alors insalubres, comme la désormais fameuse résidence Mermoz à Lyon où vit Laura, 19 ans, étudiante en première année à Sciences Po Lyon. Elle côtoie cafards et punaises de lit depuis la rentrée :

« Je viens de Normandie, j’ai dû travailler tout l’été pour avoir un logement à la rentrée. Je ne peux pas y mettre plus de 400€ par mois donc je n’ai rien trouvé alors j’ai fait une demande au CROUS. Toutes les résidences étaient pleines, je me suis retrouvée à Mermoz… »

Moisissures, dégâts des eaux, nuisibles, quatre WC, cinq douches, quatre plaques électriques, un four et un micro-onde pour 50 personnes et 150€ par mois. Des conditions de vie plus que précaires qui ont un impact non négligeable sur les études des résidents :

« Ma voisine de couloir n’a pas supporté la résidence, elle a abandonné ses études à Lyon et est retournée dans sa ville natale. Moi, je veux me casser d’ici, c’est glauque. »

Les étudiants se sont mobilisés au sein d’un Comité de lutte qui a réussi à obtenir une entrevue avec le président du CROUS. Sans réponses concrètes, se désole l’étudiante :

« Il nous dit de mieux nettoyer nos chambres pour ne pas avoir de cafards. Ils veulent démolir la résidence depuis des années donc ils laissent le bâtiment pourrir. Et nous avec. Le CROUS construit de nouvelles résidences super belles pour boursiers mais avec des loyers à 400€ par mois, c’est-à-dire l’intégralité de la bourse… Il y a plein d’écoles à Lyon pour attirer les étudiants mais il n’y a pas une vraie politique d’accueil pour eux. Cette difficulté à se loger, c’est un frein énorme à l’égalité des chances. »

La résidence Jean Mermoz a été construite dans les années 70.
La résidence Jean Mermoz a été construite dans les années 70.

Manger ou se soigner, il faut choisir

Pour la nourriture, comme Sarah de nombreux étudiants récupèrent les restes sur les marchés lyonnais, voire fouillent les poubelles. Ainsi, à la fin des marchés de la Croix-Rousse et des Etats-Unis notamment, de jeunes adultes se mêlent aux personnes âgées et aux familles sans-papiers venues récupérer les fruits et légumes invendables.

« J’ai un budget de 100€ par mois pour la nourriture. Comme je n’avais pas de congélateur en résidence CROUS je devais faire les courses toutes les semaines, ça revient cher. Sans parler des produits d’hygiène. Les protections périodiques, ça fait mal au porte-monnaie ! Du coup je mangeais… Comment dire ? De la merde, en fait. »

D’après une enquête de l’OVE sur la santé des étudiants, la moitié d’entre eux sautent un repas dans la journée. Parmi ceux-là, 16% le font pour des raisons financières. Un régime alimentaire qui n’est pas sans conséquence sur leur santé. Or, ils sont 30% à renoncer à des soins médicaux pour des raisons financières, faisant l’impasse notamment sur les soins dentaires, les spécialistes et l’ophtalmologue.

TCL, les transports les plus chers de province

Quant aux transports, ils représentent un budget important pour les étudiants avec des campus très excentrés comme par exemple le campus Porte des Alpes de l’Université Lumière Lyon 2. A 40 minutes de tramway du centre-ville, difficile d’y aller à pied. Alors, les étudiants fraudent en croisant les doigts, comme Sarah :

« L’abonnement TCL commence le premier jour du mois. Or, ma bourse n’arrive que le sept ou le huit. L’année dernière, j’achetais des tickets à l’unité jusqu’à ce qu’elle arrive, et ensuite je prenais l’abonnement mensuel mais ça me revenait beaucoup trop cher. Du coup je fraudais. J’ai dû me prendre trois amendes. Cette année ça va mieux, j’ai pu bénéficier d’un tarif solidaire donc je paie 18€ par mois mais l’année dernière, les transports ça m’a bien foutue dans la merde ! »

Pour les boursiers comme pour les non boursiers, l’enquête de l’Unef montre que l’abonnement de transports lyonnais est particulièrement élevé comparé aux autres villes. 320 euros par an, bien au-dessus de la moyenne nationale qui est de 265,55 euros pour les boursiers et de 271,77 euros pour les non boursiers, Île-de-France comprise.

Contre la précarité, « travailler et bouffer de la merde »

Pour assurer toutes ces dépenses, de nombreux étudiants travaillent souvent en parallèle de leurs études. 46% d’entre eux sont concernés d’après l’enquête de l’Unef. D’après une enquête de l’observatoire de la vie étudiante (OVE) réalisée en 2016 (LIEN), 40,7% des absences des étudiants sont liées à leur activité professionnelle. Des boulots en général mal payés et avec des conditions de travail désastreuses.

A., lui, triplait sa deuxième année de licence à l’Université Lumière Lyon 2. Pour le syndicat étudiant Solidaires, sa situation est loin d’être anecdotique :

« Des personnes dans la situation d’A., on en rencontre tous les jours. Une fois toutes les factures payées, il leur reste 40 euros par mois. Beaucoup ne prennent pas tous leurs repas, se nourrissent de knackis de Lidl ou récupèrent de la nourriture sur les marchés. D’autres ne peuvent pas prendre de cartes de transport. Les boursiers sont obligés d’assister à tous les cours à la fac donc ils travaillent le soir, ce qui est épuisant physiquement et moralement. Pas étonnant qu’ils retapent plusieurs fois dans ces conditions-là. »

N’ayant pas validé sa deuxième année à deux reprises, A. avait perdu ses droits à la bourse à la rentrée. D’après le site du CROUS, chaque étudiant boursier peut utiliser sept droits à la bourse durant la totalité de ses études supérieures, à certaines conditions de validation de semestres cependant :

« Le 3ème droit ne peut être accordé que si l’étudiant a validé au moins 60 crédits européens, 2 semestres ou 1 année.
Le 4ème ou 5ème droit ne peut être accordé que si l’étudiant a validé au moins 120 crédits, 4 semestres ou 2 années.
Le 6ème droit ne peut être accordé que si l’étudiant a validé au moins 180 crédits, 6 semestres ou 3 années. »

L’étudiant avait alors sollicité « une aide spécifique ponctuelle » baptisée ASAP. Une aide d’urgence accordée aux étudiants les plus en difficulté qui lui avait pourtant été refusée une semaine avant qu’il ne s’immole. Peu ont connaissance de cette solution, se désole le syndicat Solidaires :

« Quand on n’est pas dans un syndicat, on ne sait pas que cette aide existe. Il y a pourtant des budgets importants derrière, qui ne sont utilisés qu’à moitié mais c’est tellement opaque que c’est difficile à solliciter pour les étudiants précaires. La décision peut prendre un ou deux mois donc en général ils trouvent une solution plus rapide : travailler et bouffer de la merde. »

Des étudiants précaires en grande détresse psychologique

Un emploi du temps infernal, une hygiène de vie déplorable, un logement insalubre, la crainte que la bourse arrive en retard et des examens à assurer… Comment ne pas craquer dans cette situation ?

L’enquête de l’OVE présente des chiffres alarmants concernant l’état de santé psychologique des étudiants :

« Les étudiants sont près de 20  % à présenter les signes d’une détresse psychologique dans les quatre semaines qui précèdent l’enquête. Ils sont également près de 37 % à présenter une période d’au moins deux semaines consécutives pendant laquelle ils se sont sentis tristes, déprimés, sans espoir, au cours des 12 derniers mois […] Ces symptômes sont présents chaque jour ou presque et toute la journée ou pratiquement pour 22 % des étudiants contre 11 % en population générale. »

Un peu plus de 8% des étudiants ont déclaré avoir des pensées suicidaires, contre 3% des 15-30 ans de la population générale.

Même si elle dit y être habituée, Sarah souffre de ses problèmes d’argent. Chaque mois, elle calcule avec minutie la moindre dépense mais n’arrive pas à joindre les deux bouts. Une existence sur le fil, qui rendent ses études difficiles psychologiquement parlant :

« Je ne connaissais personne en arrivant à la fac. Quand t’as pas tes parents à côté, que t’es tout seul et que t’as pas de thunes tu ne te sens pas bien. Tu es mal psychologiquement. T’as plus envie d’aller en cours, t’as d’autres priorités comme trouver du travail du coup tu loupes des cours donc il faut aller chez le médecin pour justifier tes absences et c’est pas forcément tout remboursé… Tu peux pas trop sortir donc tu peux te retrouver très vite grave isolé. Quand tu achètes le moindre truc pour te faire plaisir comme un pull par exemple, tu culpabilises énormément. »

Elle a décidé de se tourner vers le psychologue du CROUS, mais pas celle de l’université qui pâtit de sa mauvaise réputation auprès des étudiants :

« Une amie dans ma situation est allée la voir. Elle lui a dit qu’il fallait qu’elle trouve un travail et qu’elle se bouge… »

Quant à l’assistante sociale de l’université, la jeune femme ignorait son existence.

Dans un mail adressé à l’ensemble des étudiants, la présidente de l’Université Lumière Lyon 2 a affirmé que celle-ci était en poste depuis 2017, pour compléter l’action des assistantes sociales du CROUS. Nathalie Dompnier affirme cependant ne pas avoir de moyens suffisants pour recruter d’autres personnels de santé. La présidente de Lyon 2 rappelle également quelques éléments, à savoir l’existence de l’aide d’urgence et la mise en place d’une épicerie solidaire à l’université.

« L’avenir ? Il vaut mieux ne pas y penser »

Si Laura s’est bien intégrée à Sciences Po Lyon, certaines remarques de ses camarades ne manquent pas de la faire tiquer :

« Ils n’ont pas les mêmes problèmes. Ils n’ont pas passé leurs vacances à stresser et à travailler pour avoir un logement à la rentrée. L’autre jour, j’ai entendu une fille dire qu’elle a déménagé de Guillotière parce que le quartier craint… Moi, je n’arrive même pas à avoir un logement, alors déménager… Mes amis sont au courant de ma situation et sont avec moi à Sciences Po Lyon donc je peux en parler avec eux. »

Quand on lui parle de l’avenir, Sarah marque un blanc et réfléchit longuement :

« Je ne sais pas trop… Il vaut mieux ne pas y penser. Je me projette jusqu’à la fin du mois, mais pas plus loin. J’attends décembre que des étudiants libèrent leurs appartements et que ma bourse soit réévaluée pour espérer avoir un petit logement. Et plus tard, peut-être prendre un appartement où j’aurais envie de vivre. Mais si je commence à y penser, ça va pas. »

#LaPrécaritéTue

Suite à l’immolation d’A., de nombreux étudiants se sont mis à témoigner de leurs conditions de vie infernales sur les réseaux sociaux avec le hashtag #LaPrécaritéTue. Un bon moyen de voir l’ampleur du problème, et aussi de se sentir plus forts comme l’explique Sarah d’un ton joyeux :

« Quand je voyais que j’avais des problèmes d’argent et que je ne me sentais pas bien, je me demandais si le problème venait de moi. Je me culpabilisais beaucoup, je me disais que c’était moi qui ne savait pas gérer mon argent. Aujourd’hui, ça fait plaisir de voir que je ne suis pas toute seule. »

Ce samedi, étudiants et « gilets jaunes » feront manif commune pour les un an du mouvement, avant un nouveau rassemblement devant le CROUS le 19 novembre et  une manifestation nationale contre la précarité étudiante le 26 novembre.


#La précarité tue

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