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Achard-Vincent, pionnier de la biodynamie dans la clairette de Die

A l’heure où ses voisins se plongeaient dans le glyphosate et autres pesticides, le grand-père de Thomas Achard se mettait au bio. Aujourd’hui en biodynamie, le domaine Achard-Vincent fait figure d’ovni dans la clairette de Die. Un vignoble largement dominé par la cave coopérative.

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Thomas Achard au milieu de ses vignes - Clairette de Die.

Il est le seul. Ce n’est toutefois pas une seule casquette qui couvre le crâne chauve de Thomas Achard mais trois. Thomas soigne ses 11 hectares de vignes, vinifie son raisin dans sa cave du village de Sainte-Croix, et vend sa clairette de Die au caveau ou sur les salons.

Petit vignoble coincé entre le pied du Vercors et le bout du massif des Baronnies, la clairette de Die a longtemps procuré une activité complémentaire aux paysans de la haute vallée de la Drôme. Le vin, c’était une activité qui s’ajoutait à celle des noix, des céréales ou de l’élevage.

Les viticulteurs ne vinifiaient alors pas leur raisin et l’emmenaient à la cave coopérative ; d’autant plus que ce vin effervescent nécessite une technicité que la plupart des paysans n’avaient pas. Aujourd’hui, cette manière de faire perdure. Sauf chez les Achard.

« Chez Jaillance [leader de la clairette vendu en supermarché, ndlr], il y a des viticulteurs, des cavistes et des commerciaux. Ici, on est tous seuls. »

A 39 ans, Thomas Achard est donc le seul vigneron du Diois à cultiver et à vinifier de la clairette en biodynamie.

Le temps des pionniers


Thomas représente la troisième génération de vignerons en bio du domaine Achard-Vincent (la juxtaposition des noms de ses aïeux). Selon le récit familial, le grand-père de Thomas a développé la bio « en 1968 ». Puis c’est son père, Jean-Pierre Achard, qui a structuré la démarche à partir de 1978. A une époque où le label AB n’existait pas encore.

Au début des années 1980, la Drôme comptait seulement deux caves labellisées par Nature et Progrès, Achard-Vincent et un autre domaine de la vallée du Rhône. Jean-Pierre Achard, le père de Thomas, se remémore ce temps des pionniers :

« Mon père faisait déjà le compost. J’ai pris la suite en appliquant les méthodes de Lemaire-Boucher. On se donnait des coups de main entre nous. On allait de ferme en ferme pour le label Nature et Progrès. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui contrôlaient. »

Le père de Thomas n’est pas du genre sectaire. Au début, il aide des vignerons de la cave à passer en bio.

« Ils me disaient ‘on voudrait faire comme toi’. Parce que ça fonctionnait bien. Alors, je les ai aidés à labourer leurs premières vignes, à une époque où le glyphosate était roi et le sol tout nu ».

« La biodynamie, c’est la bio en mieux »

C’est Thomas, le fils de Jean-Pierre, qui franchira un cran supplémentaire. Une question d’éducation aussi.

« J’ai toujours été élevé en bio. Dans le frigo, il n’y avait que du bio », se souvient-il.

En 2005, quand il reprend les vignes de son père, Thomas revient de quelques mois à l’étranger pour apprendre l’anglais après un BTS « commerce du vin ».

« Mon père s’était fait mal au dos. J’ai commencé à tailler la vigne. Je me suis dit assez vite que c’était ça que je voulais faire, au moins un temps. »

Durant sa jeunesse passée notamment à courir les allées des salons Primevert avec ses parents, on lui a répété « la biodynamie, c’est la bio en mieux ». Quelques années plus tard, au moment de s’occuper des vignes, cette phrase raisonnait encore.

« En 2005, j’ai fait, un peu par hasard, une formation à Die avec le vigneron alsacien Jean-Pierre Frick. J’ai lancé les hostilités tout de suite après. »

Prudent, il a tout d’abord procédé à des tests. Fort concluants.

« Dès la première année, le raisin des plus mauvaises vignes cultivé en biodynamie s’est avéré être plus équilibré en sucre et en acidité. Mieux que celui nos meilleures vignes, traité de manière plus conventionnelle. »

Dès 2006, tout le domaine est passé en biodynamie. Le calendrier biodynamique devient sa bible. Mais Thomas, en citant le célèbre dicton qui le concerne au premier chef, n’y met aucun ésotérisme :

« Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. »

Peu disert voire un peu bourru, il donne une illustration de sa pratique en quelques mots :

« On fauche à la lune descendante. Ça évite une tonte. On essaye de moins perturber la nature. Moins de perturbation, c’est moins de maladie et donc moins de produit. »

Surtout, il voit la différence dans le travail à la cave. Grâce à la biodynamie, explique Thomas Achard, il a pu faire du vin de garde, la cuvée Richaud. Alors que la clairette se boit dans les deux ans suivant l’achat, cette bouteille se conserve cinq ans.

Thomas Achard limite fortement l’ajout de sulfites :

« En cave, je ne mets rien d’autre que du souffre. Et j’en mets beaucoup moins que le maximum prévu par le cahier des charges Demeter [l’organisme qui certifie la biodynamie, ndlr] ».

Il a également conçu une cuvée sans sulfite, « La P’tite Gaby », du surnom de sa fille aînée. Là encore on croirait le miracle agir, si l’on écoute le père de Thomas (le grand-père de Gabrielle, donc) :

« On a fait cette cuvée avec des raisins pas tout à fait au top. Et dès le premier millésime, elle était parfaite. »

Thomas Achard, au milieu des vignes de son domaine, Achard-Vincent. ©LB/Rue89Lyon
Thomas Achard, au milieu des vignes de son domaine, Achard-Vincent. ©LB/Rue89Lyon

« Je suis un bio qui pioche »

Des heures passées à tailler la vigne, à dormir à côté de ses cuves ou à s’occuper des clients le dimanche (un temps avec le baby phone dans la poche), voilà le quotidien de Thomas.

« Je ne suis pas un babacool qui regarde les petits oiseaux. Je suis un bio qui pioche ».

Encore aidé par ses parents, il a réussi à embaucher deux salariés. Mais il faut toujours travailler tout le temps. Il investit dans du matériel, « 200 000 euros dans une ligne », avec notamment une embouteilleuse isobarométrique que des vignerons ont rarement dans leur cave. Avec un objectif : « être autonome ».

C’est à dire, ne pas dépendre des prestataires de service qui sont aussi des négociants qui vendent du vin en supermarché. Et on l’aura compris, il ne veut pas de ça pour « une question de cohérence » :

« Même si c’est dur, on vend uniquement au caveau et dans les réseaux des magasins bio ».

Malgré les clients fidèles et des investissements réguliers, un problème demeure, valable pour Thomas et les autres producteurs de clairette de Die bio :

« La clairette n’est pas valorisée à son juste prix. Car l’image de marque est mauvaise. Ça reste du vin de supermarché à 7 ou 8 euros. Or, vu le matériel et le travail nécessaire notamment dans des vignes en coteaux, ça vaut 15 euros.  Il y a vingt ans, c’était vendu au même prix que le Croze Hermitage qui a augmenté, alors que c’est tout plat à travailler ».

Il faut ainsi « jongler » et « faire des choix » pour rester « indépendant » et « fidèle à ses convictions ». « Têtu », ajouteront certains de ses proches, non sans humour, pour parler de Thomas.


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