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Le Petit Paumé opte pour l’ « humour » raciste dans son guide de Lyon

C’est une stratégie de communication pour laquelle les étudiants de l’école de commerce EMLyon, rédacteurs du guide le Petit Paumé, ont opté depuis de nombreuses années : celle de la polémique, du « buzz », bad si possible, reposant sur l’adage « peu importe ce qu’on dit de moi tant qu’on parle de moi ».

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Petit Paumé

Dans l’édition 2020 de ce guide de « bons plans » urbain, mis en circulation ce samedi à Lyon, les critiques improvisés ont publié une série de textes dont certains en voulant être « potaches » versent en fait dans le racisme.

Le premier des lieux qui a reçu des honneurs dont il se serait bien passé est ho36, une de ces nouvelles auberges qui poussent partout dans la ville (voir notre enquête), proposant espace de coworking, coffee shop, événements, etc. Pour parler de ce spot situé à la Guillotère (dans le 7è), les étudiants testeurs, qui décrivent chaque année sur un ton personnel leur expérience vécue dans les restos et autres lieux de sortie, ont décidé de dire :

« Alors que je fuis une bande de rebeus place Guillotière, je m’engouffre un peu au hasard dans le Ho36. Bonne pioche ! Des jeunes blancs qui travaillent sur leurs ordis, tout en sirotant un bon café latte. Je vais pouvoir me fondre dans la masse (…) ».

L’étudiant testeur invente de toute évidence la situation, pour surfer sur les clichés des populations qui cohabitent dans ce quartier du 7è arrondissement de Lyon, à la fois populaire, cosmopolite et hyper gentrifié.

Du second degré raté, de l’humour qui, s’il ne se voulait pas raciste, est difficilement entendable autrement. Mais ce n’est pas fini.

Et donc : le « goût beurette »

Toujours dans ce guide 2020, les étudiants choisissent le même créneau éditorial pour parler cette fois d’un pub, l’ »Elephant Castle » :

« En bon Français, je n’ai jamais trop compris ce qu’était la différence entre un bar irlandais et un bar anglais. En même temps, l’Irlande et l’Angleterre, c’est un peu le même délire : des roux qui mangent des fish and chips aromatisés à la bière et sortent en titubant à 21h la semaine. »

Les perles s’enchaînent dans cette édition du Petit Paumé. Au sujet d’un bar à chicha situé dans le 8e et qui s’appelle Emirates Lounge, on peut lire une brève qui vaut son pesant de charbon :

« Enfin un Emirat où la Sharia n’est pas appliquée, chicha au goût beurette de kalité. Ces princesses égyptiennes ont un de ces paniers à crotte ! »

En plus d’être mal écrites (peut-être que la nullité stylistique doit participer de l’humour), les critiques ne disent quasi rien des lieux testés.

Une « maladresse de rédaction » selon les étudiants

Les étudiants responsables de cette édition 2020 n’ont pas répondu aux sollicitations de la presse mais ont transmis un communiqué dimanche soir. Leur mea culpa n’en est pas un et le parti pris du duo à la tête du guide est assez étonnant. François Désir, le président du guide, et Philippine de Rivoyre, sa rédactrice en chef, prennent la plume pour rappeler qu’ils sont tous bénévoles à la rédaction du guide (par conséquent autorisés au n’imp ?), mais aussi que le second degré est une marque de fabrique « depuis 1968 » :

« Nous reconnaissons une maladresse de rédaction et souhaitons donc présenter nos sincères excuses et réaffirmer qu’il n’a jamais été dans notre intention de discriminer qui que ce soit.

Nous voulions appuyer sur le fait que cette critique ne reflète en aucun cas une réalité ou une pensée mais des clichés généralistes qui sont loin de notre vision d’un Lyon où le vivre-ensemble est une réalité. »

Pas d’explication sur le fumeur de chicha obsédé par le derrière des « beurettes », ou sur le jeune homme présumément chassé par des hordes de maghrébins sanguinaires ? On trouve une pointe de justification, qui confine à l’absurde :

« […] Nous nous mettons, parfois, dans la peau de personnages fictifs ou dans des situations extrapolées lorsque nous rédigeons nos critiques. Le Petit Paumé n’a pas pour volonté de représenter une communauté plutôt qu’une autre. Ouvrir les débats, ne pas faire du politiquement correct mais polémiquer correctement est un de nos objectifs. Il n’a pas été atteint ici et nous en sommes profondément désolés, c’est pourquoi les passages ciblés ont été supprimés de l’ensemble de nos supports numériques. »

L’an dernier, pour son édition 2019, le Petit Paumé avait introduit une rubrique dédiée à la « cuisine des îles » avec une fausse citation attribuée à Anders Breivik, le terroriste d’extrême droite qui a massacré 77 personnes en Norvège en juillet 2011. Pour rappel, la voilà : « J’aime bien les îles, il n’y a pas moyen de fuir ». Là encore, ils avaient plaidé « l’humour décalé », suscitant aussi l’indignation.

Tirage d’oreilles et conseil de discipline

Nous avons tenté de joindre le lieu de la Guillotière concerné par la critique qui a, la première, été relevée par les internautes. Mais pour l’heure, la direction n’a souhaité s’exprimer que via sa page Facebook. On sait donc qu’elle réprouve fortement le contexte éditorial dans lequel on parle de son établissement :

« Affligés à la lecture du Petit Paumé. ho36 est né à la Guillotière, quartier qui nous fait vibrer et que nous aimons. Le Petit Paumé nous n’avons visiblement pas la même vision ni les mêmes valeurs. »

A la sortie de ce guide très couru, distribué chaque année en grande pompe place Bellecour, et à la lecture de ces mots, le tollé a été immédiat. Il ne cesse de gonfler depuis 24 heures sur les réseaux sociaux.

Exhortée de s’exprimer, la direction de l’EMLyon qui laisse toute liberté aux étudiants autour de ce projet Petit Paumé a fini par réagir. Tawhid Chtioui, directeur général, a écrit sur Twitter (voir captures ci-après) :

« En tant que directeur général d’EM Lyon mais aussi, et surtout, en tant que citoyen, j’oscille entre indignation, colère et grande tristesse à la lecture de l’édition 2020 du Petit Paumé.

J’ai demandé que se tienne, très rapidement, un conseil de discipline en présence des rédacteurs des articles, du rédacteur en chef et du Président du Petit Paumé, afin qu’ils répondent de la banalisation ouverte de propos discriminants dans ce guide, en total non-respect des valeurs de l’école ».

 

Il poursuit :

« Je souhaite que le Petit Paumé présente instamment des excuses pour ces propos et, notamment, aux entreprises et citoyens qui ont soutenu cette édition. Enfin, à titre personnel, je souhaite également que tous les passages incriminés soient retirés. »

En attendant, c’est le Sytral qui a décidé de retirer le Petit Paumé du réseau TCL. Les vidéos de promotion du Petit Paumé, diffusées sur les écrans à bord des tramways et dans les stations de métro, vont être supprimées.

Le directeur de l’EMLyon est allé même un peu plus loin ce lundi 14 octobre. Il demande à ce que les prochaines distributions du magazine n’aient pas lieu. Et que les exemplaires édités soient détruits.

 

La Ville de Villeurbanne a également souhaité que la distribution de ce guide qu’elle qualifie d’ailleurs à raison de « véritable institution dans la métropole » n’ait pas lieu sur son territoire.

Sinon, si vous avez envie d’un autre type de guide de la ville, on vous propose celui que nous avons baptisé « l’anti-routard de Lyon », qui fait une plongée historique et surtout journalistique, nourrie de photos, d’archives et de témoignages, sur des lieux de l’agglomération plus ou moins connus. Bonnes lectures.


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Photo : LB/Rue89Lyon

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