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20/03/2024 date de fin
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« Le designer porte une responsabilité vis-à-vis de la société, de la planète et son devenir »

L’Ecole urbaine de Lyon propose une série de débats et de conférences intitulées « Les Mercredis de l’anthropocène », qui ont lieu aux Halles du Faubourg (Lyon 7è). Rue89Lyon en est partenaire et ouvre ses colonnes aux tribunes de certain.e.s des invité.e.s et intervenant.e.s.

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Nous publions ci-après la retranscription d’une conversation entre Gwenaëlle Bertrand, maître de conférence à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, membre du Laboratoire CIERC, et co-fondatrice du Studio de design MAXWEN et Anne Fischer, artiste, diplômée de la Design Academy d’Eindhoven et lauréate du Prix COAL Art et Environnement 2017 pour son projet Rising from its Ashes.

Anne Fischer, designer, est lauréate du Prix COAL Art & Environnement 2017 pour son projet « Rising from its Ashes ». En 2018, elle fonde son propre studio de design, mêlant recherche et production autour des grands enjeux de notre société dans une dynamique de développement durable.

Gwenaëlle Bertrand, designer, est Maître de conférences et membre du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine (CIEREC) de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Depuis 2014, elle co-dirige la ligne Poïétiques du design aux éditions L’Harmattan. Dès 2011, en parallèle de ses activités d’enseignement d’abord dispensées à l’Université de Strasbourg et de son doctorat, elle co-fonde le studio de design maxwen.

« Design, démarche artistique et anthropocène »

Gwenaëlle Bertrand : Mais que signifie Anthropocène ? Le premier à déclarer le temps de l’Anthropocène est le météorologue et chimiste Paul Crutzen. Selon le chercheur, cette nouvelle ère s’engage dès 1784, année du dépôt du brevet de James Watt pour la machine à vapeur, une étape décisive de la révolution industrielle et corrélativement de la pollution atmosphérique.

En 2003, la communauté scientifique accepte la proposition faite de nommer cette période dédiée exclusivement à l’humain pour reprendre l’étymologie du terme Anthropocène qui vient du grec ancien anthropos signifiant « être humain » et kainos signifiant « récent, nouveau ».

Gwenaëlle Bertrand
Gwenaëlle Bertrand

Dès lors, ce terme est débattu, réfuté, certains préfèrent celui de Capitalocène, ou encore de Plantationocène. La primatologue et philosophe Donna Haraway, quant à elle, explique que la notion même d’Anthropocène est problématique car elle maintient l’humain au centre alors même que la conscience de cette nouvelle ère géologique devrait nous amener à sortir d’une conception anthropocentrée au profit d’une réflexion sur le “plus-qu’humain”, “l’autre-qu’humain”, “l’inhumain”.

Au terme Anthropocène, elle ajoute celui de Chthulucène (Donna Haraway, Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene, Duke University Press, 2016), un moment d’interpénétrations de toutes les entités terrestres.

Industrialisation, design, Anthropocène

Anne Fischer : Selon Alain Findeli, théoricien du design, le designer travaille à « l’amélioration ou au moins au maintien de l’habitabilité du monde ». Pour aborder cette notion, il faut penser le monde comme un écosystème où tout serait interconnecté. Le designer l’envisage alors comme un projet global qui conduit inévitablement vers les questions écologiques, économiques et sociales qui découlent du développement durable.

L’industrialisation, dans son expansion, fait naître l’Anthropocène mais également la profession de designer. Celui-ci porte une réflexion sur sa production pour développer progressivement le sentiment d’un besoin matériel accompagné de tendances changeant au fil des saisons.

Le but de cette démarche étant de répondre à l’augmentation du confort de vie et du pouvoir d’achat de la population au sortir de la guerre, mais surtout de faire tourner une production industrielle rentable par sa quantité.

Hier comme aujourd’hui, le designer porte une responsabilité vis-à-vis de la société et par conséquent de la planète et son devenir. Il aurait ainsi la capacité de changer, ou au moins d’influencer le cours des choses. A partir de ce constat, ma pratique va radicalement évoluer, je me demande alors : quelle stratégie adopter pour changer les choses ?

Constamment incité à consommer moins, à consommer mieux, c’est au consommateur que reviendrait cette lourde tâche. Mais dans un contexte inadapté, cette responsabilité se transforme en culpabilité.

Certes, il est important de revoir notre consommation, de réfléchir à la notion de confort mais il est primordial de faire évoluer nos façons de produire et ce que nous produisons. Il est alors important de prendre en compte cette industrialisation plutôt que de la dénoncer.

La proximité « design et industrie » est donc un outil majeur pour envisager cette évolution.

Gwenaëlle Bertrand : Pour ma part, c’est en 2014 que j’ai commencé à réfléchir aux tensions existantes entre le design et l’Anthropocène. Avec mon associé, Maxime Favard, on s’intéressait surtout à la notion d’Écosophie (Félix Guattari, Les trois écologies (1989), Gallilé, 2011) développée par le psychanalyste et philosophe Félix Guattari et qui expliquait déjà à la fin des années 1980 que pour penser l’écologie environnementale, il fallait, en simultané, interroger les écologies mentale et sociale.

C’est-à-dire, s’envisager au monde à travers les relations au vivant, au non vivant, aux milieux et avec une conscientisation des responsabilités, en d’autres termes, il plaidait pour un humanisme éclairé. La question du design et de l’industrialisation devrait, par conséquent, tenir de cette relation.

Déplacer les réalités

Gwenaëlle Bertrand : D’ailleurs, nous avons pu exposer leurs recherches au Shadok : Fabrique du numérique à Strasbourg. Nous avions nommé l’exposition Réalités Déplacées : design à l’ère de l’Anthropocène. Il s’agissait de sensibiliser le public à l’idée d’une défiance, par le design, envers l’utopie du progrès productiviste.

Cette délicate ambition témoigne d’une problématique disciplinaire puisque si l’on considère que le design résulte de la révolution industrielle et que les designers participent au processus croissant d’artificialisation de nos environnements, il est alors difficile de croire que le projet de design puisse déconstruire la crise de l’excédent que nous traversons.

Et pourtant, c’est parce qu’il y a accumulation des biens et déséquilibre des richesses qu’il est nécessaire de repenser en profondeur les territoires d’intervention du designer afin qu’il puisse, en toute légitimité, raconter le monde et participer à l’urgence de repenser nos manières d’habiter.

Des sujets sensibles tels que l’alimentaire, les ressources naturelles, les changements climatiques, les flux migratoires, les technologies du quotidien, l’éducation ou encore l’économie du numérique, ont fait l’objet d’analyses critiques pour devenir ensuite des matières à faire projet, à déplacer les réalités, à impulser de nouveaux imaginaires et à relancer d’autres communs.

Principaux flux de lithium. ©François Kessler et Caroline Sutter.
Principaux flux de lithium. ©François Kessler et Caroline Sutter.

Dans le cadre d’une formation en design mais, plus amplement, dans celui d’une réflexion sur nos puissances d’agir, il me semble essentiel de sortir de la pensée coloniale et capitaliste en réinventant de nouvelles formes de langage et de représentation.

Si l’on souhaite effectivement qu’une éthique de la responsabilité puisse prospérer, il faut repenser les techniques de pouvoir car comme l’historien et philosophe Hans Jonas le disait, « ce n’est pas tant ce que nous faisons que ce à quoi nous renonçons qui est le plus urgent. » (Hans Jonas, Une éthique pour la nature (1981-1999), Flammarion, 2017, p. 166).

L’attitude dilatoire à laquelle nous sommes accoutumés est le résultat d’un assentiment opéré par la maîtrise des systèmes de représentation. Ces rapports de pouvoir – pensons à la biopolitique de Michel Foucault – maintiennent, encore aujourd’hui, une conception binaire du monde : nature/culture, bien/mal, homme/femme, humain/non-humain, etc.

Il s’agit alors de se saisir des modes de représentation et de démultiplier les conceptions au point où les dispositifs de la pensée n’aspirent plus uniquement à « érotiser notre relation au pouvoir et dérotiser notre relation à la planète » (Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus, Grasset, 2019, p. 88), problème fondamental d’attraction et de répulsion relevé par le philosophe Paul B. Preciado.

Titre et liens hypertextes de Rue89Lyon

La conférence de Gwenaëlle Bertrand et Anne Fischer aura lieu mercredi 24 avril aux Halles du Faubourg, dans le cadre des Mercredis de l’Anthropocène.

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