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Lobbys : faut-il opposer intérêts privés et intérêt général ?

Les sondages se suivent et se ressemblent (voir ici ou là), La France est l’un des pays où la confiance est la moins élevée dans les partis politiques. Pour le philosophe Thierry Ménissier et le juriste Béligh Nabli qui ont débattu sur le thème « La transparence en question », la solution n’est pas à chercher du côté d’une énième loi sur la transparence mais plutôt du côté des rapports entre intérêts privés et intérêt général.

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Le philosophe Thierry Ménissier et le juriste Béligh Nabli invités du festival La Chose Publique. ©Bertrand Gaudillère/Item

« L’accumulation de scandales a nourri ce besoin de transparence. Car le secret bénéficie aux intérêts des gouvernants. Mais depuis les années 80, d’un côté les révélations de scandales politico-financiers se multiplient, et de l’autre, il y a une accumulation de lois sur le financement de la vie politique et la moralisation. Or la situation ne s’améliore pas. »

Pour Béligh Nabli, le problème est structurel. C’est la question des rapports entre les intérêts privés et l’intérêt général.

« Dans notre culture politique, l’intérêt général s’est construit par opposition aux intérêts privés. Le problème est qu’on a du mal à identifier la frontière entre les deux. Ce problème se lit à travers ceux qui incarnent le pouvoir : ils ont un profil hybride.
Auparavant, à gauche, le profil type de politiques était celui issu de la fonction publique voire de la haute fonction publique; à droite, c’était plutôt des professions libérales et des entrepreneurs.
Aujourd’hui, le profil type serait plutôt des personnes engagées en politique, tout en ayant une idée flou de leur rapport à l’intérêt privé ».

Béligh Nabli cite la démission de Nicolas Hulot comme l’exemple même de la pénétration des intérêts privés dans l’intérêt général, sans que les plus hautes autorités ne sans émeuvent :

« Aujourd’hui, on nous répète que les intérêts privés participent à l’intérêt public. C’est pour ça que le président Macron trouvait normal la présence d’un lobbyiste dans une réunion avec Hulot. ».

Le philosophe Thierry Ménissier et le juriste Béligh Nabli invités du festival La Chose Publique. ©Bertrand Gaudillère/Item
Le philosophe Thierry Ménissier et le juriste Béligh Nabli invités du festival La Chose Publique. ©Bertrand Gaudillère/Item

« Quand on un Premier ministre ancien chef lobbyiste chez Areva, ça pose problème »

Pour Béligh Nabli, il n’y a pas de mécanisme de contrôle efficient :

« Quand on nomme un Premier ministre qui a été chef lobbyiste chez Areva et qui parle de transition écologique, ça pose problème. Les mécanismes juridiques ne fonctionnent pas. Par exemple, la commission du conseil d’Etat ne refuse aucun pantouflage ».

Cette confusion des genres « nourrit la suspicion et génère des conflits d’intérêt ».

Pour lui, la remise en cause doit venir de l’extérieur, de la presse par exemple.

Thierry Ménissier est un philosophe spécialiste de la corruption. Il ne voit pas d’opposition entre intérêts privés et intérêt général. Car, selon lui, « il n’y a pas d’autonomie de la sphère publique » :

« Du point de vue de la société, ça interfère sans cesse. L’exemple de la loi Evin le montre. Elle a été assouplie car il fallait sauver la filière viticole ».

Et d’affirmer :

« Depuis toujours, il y a cette interpénétration. Tout dépend de la quantité et de la qualité du rapport intérêts privés/intérêt général ».

En posant cela, il veut surtout se départir d’une posture qu’il considère comme « populiste » où il y aurait « les bons d’un côté et les salauds de l’autre ».
Pour lui, la solution est aussi dans un rôle renforcé de la presse :

« Il faut que presse joue son rôle. Les citoyens doivent pouvoir dire : « votre politique a trop servi les intérêts privés, donc on ne vous réélit pas ». C’est une responsabilité des citoyens ».

« Des dérives sont rendues possibles par le dysfonctionnement des institutions »

Béligh Nabli rappelle une fois de plus que les toutes les lois de confiance ou moralisation votées depuis les années 80 pour encadrer les politiques dans leur rapport à l’argent (jusqu’à la dernière loi) n’ont pas atteint leur objectif.

« Le législateur essaye d’encadrer cette expression de la volonté générale. Il le fait dans l’urgence : chaque loi a été adoptée après un scandale. Ces lois ont une dimension populiste qui consiste à satisfaire le peuple rapidement ».

Il ne croit pas qu’il faille compter sur l’avènement d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques :

« Intégrer l’idée de probité demande du temps. Certains disent qu’il faut attendre une génération, et un nouveau rapport au pouvoir. Or cette nouvelle génération est problématique dans sa relation à l’intérêt privé comme je l’ai expliqué précédemment ».

Et de conclure :

« Ces dérives sont rendues possibles par le dysfonctionnement des institutions ».

Outre le Conseil d’Etat qui ne fait pas son travail sur le pantouflage, il pointe l’institution présidentielle :

« On a un président monarque qui a l’impression de ne pas avoir à rendre de compte une fois qu’il a été élu. (…) L’affaire Benalla a permis de nous interroger sur la fonction du président de la République : il ne risque rien ni judiciairement, ni politiquement (sauf en cas de haute trahison). Alors qu’aux Etats-Unis, la procédure d’impeachment est constamment envisagée ».

« En finir avec le rousseauisme »

Thierry Ménissier qui n’a pas cette vision d’opposition entre les intérêts privés et l’intérêt général, appelle à en « finir avec le rousseauisme » :

« Je ne crois pas, en politique, à la valorisation « sacralisante » des principes comme on le fait avec les concepts rousseauistes. Je ne crois pas notamment en cette impeccabilité de la volonté générale ».

Il cite Laurent Cohen-Tanugi, débatteur d’une des conférences précédentes, qui avait commis, selon lui, un livre courageux :

« Comme Laurent Cohen-Tanugi, il faut plutôt se demander comment le lobbying nourrit la chose publique ».

Mais il place deux garde-fous.
D’une part une morale basée sur la vertu. Selon lui, la probité, devrait être cette vertu cardinale :

« C’est une vertu sociale qui permet de juger quelqu’un d’après ses actes.

D’autre part, l’engagement, pas simplement en votant :

« Chacun à notre niveau, nous pouvons nous intéresser aux politiques et nous engager ».

En répondant à une question posée par un internaute à propos de l’échec de la candidature d’Eva Joly à la présidentielle, le philosophe enfonce le clou :

« Eva Joly nous voit comme des Italiens berlusconnisés. Les français se croient rousseautistes et nous ne le sommes pas. (…) Nous n’avions pas de valeurs morales à sa hauteur. »

> Ecouter la conférence ici :


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