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29/03/2024 date de fin
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Stéphane Brizé réinvente le cinéma social avec son film « En Guerre »

« Celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Citant Brecht en préambule, et dans la foulée de La Loi du marché, Stéphane Brizé et Vincent Lindon s’enfoncent plus profondément dans l’horreur économique avec ce magistral récit épique d’une lutte jusqu’au-boutiste pour l’emploi. En compétition à Cannes 2018.

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Photo du film En Guerre. ©Ladépêche

Quand la direction de l’usine Perrin annonce sa prochaine fermeture, les représentants syndicaux, Laurent Amédéo en tête, refusent la fatalité, rappelant la rentabilité du site, les dividendes versés par la maison-mère allemande aux actionnaires, les sacrifices consentis. Une rude lutte débute…

Nul n’est sensé ignorer La Loi du marché (2015), pénultième réalisation de Stéphane Brizé, qui s’intéresse à nouveau ici à la précarisation grandissante des ouvriers et des employés. Mais il serait malvenu de lui tenir grief d’exploiter quelque filon favorable : cela reviendrait à croire qu’il suffit de briser le thermomètre pour voir la fièvre baisser.

Mieux vaudrait se tourner vers les responsables de ces situations infernales conduisant le vulgum pecus à crever de préférence la gueule fermée. Des responsables que Brizé, et Lindon son bras armé, désignent clairement, révèlent dans leur glaçant cynisme et la transparence de leur opacité.

L’histoire d’En guerre est terrifiante. Car elle contient tous les ingrédients au cœur des grands conflits sociaux faisant l’actualité depuis trop longtemps : des accords d’entreprise frelatés (extorqués contre la promesse d’un maintien de l’activité, dénoncés quelques mois plus tard), l’incurie d’un État jouant la neutralité bienveillante mais trop soucieux de sauvegarder les intérêts privés pour s’engager auprès des vraies victimes (et préférant, le cas échéant, les faire tabasser par les CRS) ; un patronat au-dessus des lois comme de la morale, dont l’avidité ne connaît pas de limite.

À cette synthèse — on devrait dire “pot-pourri“ — il faut ajouter le facteur temps, dont Brizé montre la redoutable contre-productivité sociale, puisqu’il est de facto l’allié des puissants : un conflit qui dure constitue un terreau propice pour qui souhaite semer des graines de doute, faire fleurir la division et voir éclore les ressentiments larvés.

Clairement engagé du côté des ouvriers, Brizé ne les héroïse pas à la soviétique au nom du dogme, bien au contraire. Face aux prédateurs libéraux froids et dépourvus d’affects, ils sont les seuls à manifester une humanité en étant les esclaves de leurs passions — comme la colère ou les ambitions individuelles. C’est ce qui fracturera le groupe. Comment ne pas penser au finale de La Colline des hommes perdus (1964) de Sidney Lumet…

Épique, éthique et cols bleus

Récit d’une défaite si faiblement victorieuse, En guerre construit son épopée tragique en incorporant à l’objectivité de son énonciation les voix de ces aèdes contemporains que sont les médias d’informations en continu. Dans l’immédiateté, ceux-ci transforment des faits en légende en en livrant une interprétation divergée — la succession des reportages tronquant opportunément la réalité et des communiqués partiaux en témoigne.

Débutant par un flash info, s’achevant quasiment par une image amateur tournée au téléphone, En guerre en dit incidemment long sur le poids des images médiatiques, ces condensés forcément biaisés car livrés dépourvus de généalogie factuelle. Et, fatalement, interroge sur l’éthique du regard.

Le “cinéma socSial” réclame, au nom de la dignité des individus qu’il dépeint (souvent des victimes objectives) et des idées qu’il défend (en général, des valeurs de justice) une adéquation entre la forme et le fond.

Soit un traitement brut et une esthétique sobre frisant l’ascèse. Si elle a un peu vitrifié le genre, la caméra à l’épaule des Dardenne ou de Loach, respectait ainsi cet équilibre en donnant une impression d’instabilité liée au “pris sur le vif“.

L’absence de tout apprêt mélodique extra-diégétique (la bande originale) accentuait le vérisme des situations, de même que le recours à des comédiens non professionnels. L’enjeu étant, non pas de contrefaire la réalité (au risque de choir dans la caricature pathétique), mais d’en donner à travers la fiction la représentation la plus signifiante possible.

Si pour La Loi du marché, Brizé avait opté pour une ligne ultra-radicale, il consent ici à quelques plages musicales qui n’oblitèrent en rien la puissance du réel. Elles apportent même un regain de panache dans la geste ou l’élégie. On pourrait parler de convergence des luttes.

En guerre de Stéphane Brizé (Fr, 1h53) avec Vincent Lindon, Mélanie Rover, Jacques Borderie…

PAR VINCENT RAYMOND, A LIRE SUR LE PETIT BULLETIN

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