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29/03/2024 date de fin
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Les « Amis » des TCL, de l’insertion au conflit social

Dans le métro, qui sont ces « Amis » qui vous veulent du bien ?

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Ils facilitent le flux des passagers aux heures de pointe et nous renseignent. Ce sont nos Amis TCL. Photo d'illustration - janvier 2017 ©Léo Germain/Rue89Lyon

Depuis le mois de novembre, distributions de tracts, pétition et rassemblement se succèdent chez Medialys, l’association qui emploie les quelque 200 Amis « Prévention TCL ». Un conflit social qui passe inaperçu comparé à celui des régulateurs du métro.

Vous les croisez tous les jours, sur le réseau TCL. Les Agents de médiation et d’information (appelés Amis) patrouillent souvent par deux, se postent aux portillons ou vous font avancer dans les rames de métro.

Ces Amis ne sont pas embauchés par Keolis, la société qui exploite le réseau TCL.

C’est Medialys qui emploie ces agents. Une association d’insertion dirigée par des élus de la Métropole de Lyon. La présidente est actuellement Michèle Vullien, maire de Dardilly, 2ème vice-présidente de la Métropole et membre du Sytral, l’autorité organisatrice des TCL.

Les Amis signent un CDD pour huit mois, sous la forme d’un contrat aidé, un Contrat unique d’insertion (CUI).

Ils travaillent 26 heures par semaine, payés au Smic horaire. Soit environ 850 euros net.
Et depuis deux mois, une partie de ces salariés essaie de revendiquer une amélioration de leurs conditions de travail.

« Le respect de la dignité »

Tayeb (prénom d’emprunt), 30 ans, est frontal :

« On n’est pas traité dignement. On nous considère comme des ratés ou, au mieux, des gamins. Si on n’a pas de répondant, on nous parle comme à des chiens ».

C’est sa première phrase, quand nous lui demandons d’évoquer son métier d’Amis. Le « respect de la dignité » est en haut des revendications portées par les salariés.
Il a été embauché il y a un peu plus de huit mois. Mais mi-janvier, son CDD n’a pas été renouvelé et il est retourné à la case Pôle emploi.  Il oscille entre la déception de pas pouvoir « continuer la lutte » et le soulagement d’avoir quitté ce job.

« J’avais pourtant une bonne image des Amis quand je suis arrivé. On oriente les gens, on les accueille. Je me suis dit que je serai payé pour sourire. La médiation est un beau métier ».

Avec son collègue, Ali (prénom d’emprunt), la trentaine, ils ont vite déchanté :

« Je suis allé voir le directeur pour lui exposer ce qui n’allait pas. Mais je n’ai pas senti d’écoute ».

En novembre, Tayeb et Ali ont franchi le pas en se présentant à la permanence de Solidaires (le regroupement des syndicats SUD notamment). Ils se sont syndiqués et une autre poignée de leurs collègues les ont suivis.

Un petit mouvement social a pris forme : distribution de tracts, pétition (signée par une cinquantaine de salariés, selon les syndiqués) et réunions d’information au syndicat.
A chaque fois, le « respect de la dignité » est en tête des revendications.

Pause toilettes « sous pression »

« Certains chefs d’équipe s’adressent à nous avec des signes ou en nous sifflant. On se croirait à l’armée ! », poursuit Ali.

Les pauses toilettes cristallisent les tensions. Les salariés Amis de Medialys travaillent 5h12 sans pause. Mais parfois, ils et elles ont soif, faim ou veulent simplement aller aux toilettes. Et ça pose problème, selon les salariés que nous avons rencontrés.

En relative autonomie sur les quais du métro, les Amis doivent appeler leur chef pour aller aux WC. « Pas plus de cinq minutes », leur répète-t-on.

Ensuite, c’est en fonction du chef :

« Certains chronomètrent le temps passé. Le problème, c’est que dans certaines stations, comme Bellecour, les toilettes peuvent se trouver à l’autre bout de là où l’on est ».

Tayeb reprend :

« Le référent de la mission est là pour nous fliquer. Si vous avez soif ou faim, il faut vous cacher pour boire ou manger. Idem si vous êtes fatigués et que vous voulez vous asseoir ».

Des toilettes, la conversation passe à la tenue de travail :

« On nous demande d’être en noir. Dans le règlement intérieur, c’est fortement conseillé mais pas obligatoire. Mais si vous arrivez en jean, on vous demande de rentrer chez vous et vous n’êtes pas payé ».

Dans la liste des revendications, ils demandent : « un encadrement qui cesse de nous humilier. »

Le directeur de l’association Medialys, Luc Chambolle, réfute l’argument du « flicage » mais affirme un « accompagnement » :

« Oui, la journée dure 5h12 sans pause. C’est le code du travail. Après, les pauses toilettes deviennent des pauses de 20 à 30 minutes. Il y a un moment où il faut mettre une limite ».

Idem pour la tenue de travail :

« On représente le Sytral et Keolis. Ils jouent le jeu en mettant des agents en insertion. Il y a nécessairement une exigence en termes de tenue ».

Ils facilitent le flux des passagers aux heures de pointe et nous renseignent. Ce sont nos Amis TCL. Photo d'illustration - janvier 2017 ©Léo Germain/Rue89Lyon
Ils facilitent le flux des passagers aux heures de pointe et nous renseignent. Ce sont nos Amis TCL. Photo d’illustration – janvier 2017 ©Léo Germain/Rue89Lyon

« Ils nous parlent d’humaniser le réseau TCL »

Les salariés reprochent ce manque de souplesse dans l’accompagnement :

« Ils nous parlent d’humaniser le réseau TCL, de faire preuve de pédagogie avec 650 000 voyageurs mais les chefs d’équipe ne sont pas capable de le faire pour 200 agents ».

Ils mettent en avant le cas de Julien, licencié pour des absences injustifiées.
Lui-même explique qu’il souffre d’une maladie chronique et qu’il ne peut pas aller à chaque fois chez le médecin lorsqu’il est malade. Mais son explication n’a pas convaincu.
Chez Medialys, le directeur a une autre vision.

Il regarde ses tableaux et nous déclare :

« C’est un mythe. Si on attendait d’avoir des arrêts maladie dans les 48 heures, on aurait un tiers de l’effectif en moins ».

Il évoque pour le mois de septembre, des personnes qui ont plus de 20 jours d’absence non-justifiés. Ce qui autorise un licenciement.

« On veut savoir si les gens jouent le jeu de l’insertion. Ce n’est pas un job alimentaire, il y a l’intérim pour ça. Nous, on apporte une plus-value dans l’insertion ».

Mais si le directeur ré-affirme la mission sociale de l’association, il lui met une limite :

« On est une association d’insertion mais aussi de service. Contrairement aux autres structures d’insertion, les salariés ne sont pas en backoffice ou en train de nettoyer des rivières. Ils sont devant de vrais clients. Ce qui leur permet de reprendre confiance en eux et de reprendre pied dans le monde du travail. Mais si on veut que ce projet fonctionne, on doit avoir une grande qualité professionnelle pour que le Sytral et Keolis continuent de nous faire confiance ».

Une seule porte de sortie : devenir agent de sécurité ?

La critique qui fait le plus mal au directeur porte sur la formation. Dans la mesure où il s’agit d’une association d’insertion, la formation des salariés en CUI doit être centrale. C’est tout le débat. Dans la liste des revendications des salariés, on trouve en bonne place cette demande :

« Des formations en adéquation avec nos compétences et nos souhaits professionnels ».

Selon les salariés syndiqués à Solidaires, ils n’ont pas accès aux formations qu’ils souhaitent. Ali témoigne :

« On ne nous propose que des formations d’agent de sécurité. Moi, je voulais faire une formation d’auxiliaire de vie pour m’occuper des personnes âgées à domicile. Je n’ai pas pu la faire. »

Quand on évoque ce sujet au directeur, il s’étranglerait presque :

« Dans notre budget nous dépensons 160 000 euros (sur 4,5 millions) pour la formation. On fait déjà 15 jours de formation au poste de travail. Ensuite, on propose des formations Certificat de qualification professionnelle (CQP) de sécurité et nous sommes en train d’ouvrir d’autres formations dans le commerce. Enfin, nous avons trois conseillers en insertion professionnelle pour 230 salariés. »

Le syndicat reste à la porte de l’association

Association d’insertion et de service, Medialys est à la croisée des chemins. Sa gestion sociale s’en ressent.
Dans un courrier daté du 5 décembre, le syndicat Solidaires demandait à rencontrer la direction, au nom des salariés qui l’avaient mandaté.
Refus du directeur qui fait une application stricte du code du travail. Il s’explique :

« Je veux bien discuter avec les salariés mais pas avec Solidaires. Si j’ai des syndiqués CGT, je ne vais pas discuter avec Jean-Claude Martinez ».

Didier Goncalvez, animateur de Solidaires à Lyon, ironise :

« Les salariés ne peuvent être assistés que par quelqu’un de l’effectif de l’association. C’est effectivement le droit du travail. Mais on attend d’une association d’insertion qu’elle se positionne sur un plan plus social. Les salariés sont venus nous voir et nous demandent de les représenter. Vu leur situation de précarité et le climat de peur qui règne, cela peut s’entendre. »

Il semble que l’heure soit toutefois à la conciliation.

Une salariée syndiquée a été mise à pied. On lui reprochait d’avoir contesté verbalement le contrôle puis l’interpellation musclée d’un voyageur sans ticket.

Le 23 janvier, devant les locaux de Medialys, une dizaine d’Amis, aidés par des militants de Solidaires, ont manifesté devant le siège de l’association. Pour porter leurs revendications et soutenir leur collègue convoquée à un entretien disciplinaire.

Rassemblement d'une dizaine d'Amis TCL, soutenus par Solidaires, le 23 janvier devant le siège de l'association Medialys, rue Sala (Lyon 2ème). ©DR
Rassemblement d’une dizaine d’Amis TCL, soutenus par Solidaires, le 23 janvier devant le siège de l’association Medialys, rue Sala (Lyon 2ème). ©DR

Finalement, la salariée mise à pied n’a pas été licenciée comme ses collègues le craignaient.

Début janvier, la direction avait envoyé un autre signal : le temps d’habillage et de déshabillage sera désormais payé à raison d’une journée de travail tous les six mois.
Le directeur reconnaît que l’association « n’était pas dans les clous ». Mais tient à préciser que cette décision « n’a rien à voir avec le mouvement ». Cela va mieux en le disant.

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