Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Un ex de Guantanamo et une ex du Medef aux Minguettes, question de symbole

L’image se voulait forte. Ce mercredi 11 mars, Mourad Benchellali, ex-détenu de Guantanamo originaire de Vénissieux, a accueilli chez lui, dans le quartier des Minguettes, Laurence Parisot l’ex-patronne du Medef. A en juger par le nombre de médias présents, l’opération people est réussie. Et ensuite ?

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Mourad Benchelalli et Laurence Parisot sur le plateau des Minguettes à Venissieux le 11mars. ©Fabrice Caterini/Inediz

Mourad Benchelalli et Laurence Parisot sur le plateau des Minguettes à Venissieux le 11mars. ©Fabrice Caterini/Inediz
Mourad Benchellali et Laurence Parisot sur le plateau des Minguettes à Venissieux le 11mars. ©Fabrice Caterini/Inediz

« Je ne veux pas simplement qu’on dise que Mourad Benchellali est passé à la télé avec Laurence Parisot. Je ne le laisserai pas faire ».

Le Vénissian Mourad Benchellali se montre ferme : « Ce n’est pas qu’un coup de com’ ». Dans un précédent article, nous expliquions comment l’ex-détenu de Guantanamo, devenu une personnalité médiatique sur la question du djihad a eu l’idée d’inviter Laurence Parisot après une de ses chroniques sur Europe 1. Et s’il a fait venir l’ancienne patronne du Medef, ce n’est pas pour dresser un énième constat sur les banlieues. Mais pour « construire ensemble des solutions », annonçait-il à Rue89Lyon.

Les nombreux médias présents ce mercredi semblent surtout avoir retenu l’affiche : une « rencontre qui a de quoi surprendre » (20 minutes) ou « drôle de rencontre » (même titre sur les sites du Progrès et de France 3 – voir video).

Table-ronde express

Pour réfléchir aux solutions, Mourad Benchellali a choisi l’Institut Bioforce qui forme « aux métiers de l’humanitaire et du développement » et qui a ses locaux à deux pas des tours de la Darnaise (aux Minguettes, donc).

Il a réuni autour de Laurence Parisot une vingtaine de membres d’associations et de structures d’insertion. Il avait également invité tous les candidats aux élections partielles de Vénissieux qui se tiennent ces 22 et 29 mars prochains. Esprit « d’union nationale », explique-t-il.

Ont finalement répondu présents le socialiste Lotfi Ben Khelifa et le candidat de liste de droite Christophe Girard. Mais pas la maire sortante communiste Michèle Picard ou la tête de liste FN.

Assis en rond, les invités présentent un à un leur structure. De Vénissieux mais aussi de Saint-Fons ou de Vaulx-en-Velin, on parle « régie de quartier », « coaching scolaire » ou « accueil des chibanis ».

Mourad Benchellali reprend la main pour demander à Laurence Parisot si on peut développer le mécénat en direction des associations.

En guise de réponse, elle se lève et se lance dans un grand numéro de stand-up au milieu de l’assistance :

« Maintenant que les médias sont partis, je vais vous parler très franchement ».

Elle n’a pas vu qu’il en reste quelques uns.

Le camion à pizza de Laurence Parisot

« Si vous pensez que les associations peuvent tout régler, vous vous trompez. Si vous pensez aller voir une entreprise pour lui dire « j’ai ce projet et j’ai besoin d’argent », vous vous trompez également. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. »

Et elle les questionne :

« Pourquoi vous ne créez pas votre entreprise comme Yacine qui a monté son camion à pizzas où on a mangé à midi ? »

Pause repas au camion à pizza pour Laurence Parisot et Mourad Benchellali sous l'oeil de BFM-TV. ©LB/Rue89Lyon
Pause repas au camion-pizza pour Laurence Parisot et Mourad Benchellali sous l’oeil de BFM-TV. ©LB/Rue89Lyon

Le matin, en marge de la visite de la régie de quartier et de l’épicerie sociale des Minguettes, elle avait tenu le même discours sur la création d’entreprise, fustigeant au passage les « lourdeurs administratives » et le « poids des charges ».

Les esprits s’échauffent doucement. Une personne essaie de la reprendre :

« Comment créer son entreprise quand les banques ne nous prêtent pas ? Dans un contexte de chômage record (environ 20% à Vénissieux, ndlr), les associations sont là pour tisser du lien social et répondre aux besoins des habitants ».

Il est déjà 16h30. Et Laurence Parisot doit reprendre sont TGV pour Paris. Mourad Benchellali conclut en promettant une suite :

« C’est le début de quelque chose. On va continuer ».

Deux mondes qui ne se rencontrent pas

Certes frustrés, les participants montrent une certaine satisfaction. Il faut dire qu’ils ne s’attendaient pas à des annonces particulières. Laurence Parisot n’a pris aucun engagement :

« Pour l’instant, il n’y a rien de prévu pour la suite ».

Les professionnels de l’insertion retiennent surtout le symbole recherché de « deux mondes qui se rencontrent enfin ».

« Le monde de l’entreprise n’a jamais rencontré le monde des associations », a insisté Mourad Benchellali.

Philippe Berthet, secrétaire de l’association d’insertion « Estime », soutient dans la démarche :

« Si Mourad Benchellali et Laurence Parisot ont été capables de discuter, pourquoi on ne pourrait pas le faire entre associations et entreprises ? Les entreprises considèrent que les personnes qu’on leur propose sont des « cas sociaux ». Inversement, dans le social, l’entreprise a une très mauvaise image. Il faut sortir de cette opposition. »

D’autres ont évoqué, à demi-mot, un « monde de l’entreprise » également éloigné du « monde des quartiers ».

Dans la matinée, au café jouxtant l’épicerie sociale, Kamel Sekhari de l’association « Your Design Destin » a pu dire quelques mots à Laurence Parisot. Lui qui aide des jeunes à trouver un emploi, prenait l’exemple de « Youssef ». Celui-ci a trouvé une formation en alternance mais pas le patron qui va avec.

Résultat, il a dû arrêter. Pour Kamel Sekhari :

« Il y a une double discrimination : à l’adresse et au nom ».

Le directeur de la régie de quartier, Smain Benmammar, a pu renchérir :

« Dans les entreprises, il y a une vraie crainte des habitants des quartiers fondée sur de fausses représentations ».

En s’affichant avec Mourad Benchellali aux Minguettes, Laurence Parisot veut donc « casser toutes ces représentations », comme elle le dit. Rien de plus. Mais celle qui n’est plus que simple présidente de l’Ifop (son entreprise) peut-elle davantage ?


#Banlieue

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options