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Renault Trucks, Habitat ou Rossignol : le mirage de la relocalisation

Il paraîtrait que la relocalisation est en marche. C’est du moins ce qu’affirme le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui martèle l’expression « made in France » à qui veut l’entendre. Pourtant, il s’agit d’un phénomène encore très limité. Rue89Lyon passe au crible les sociétés qui ont relocalisé en Rhône-Alpes depuis le début de l’année 2013.

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Renault Trucks, Habitat ou Rossignol : le mirage de la relocalisation

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Renault Trucks ne créera pas d’emploi à Bourg-en-Bresse © Renault Trucks

Renault Trucks est le dernier en date. Mais avant lui, les médias rhônalpins ont parlé du fabricant de skis Rossignol, de Photowatt, un fabricant de panneaux solaires, de l’éditeur de mode Garella, ou encore de la chaîne d’ameublement Habitat. Ces sociétés ont relocalisé une partie de leur production dans la région.

Pour le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui annonçait des mesures pour inciter à la relocalisation le 14 juin dernier, un mouvement de relocalisation s’amorce en France. Et il va même plus loin : selon lui, les consommateurs manifesteraient un « amour » envers le « made in France ».

Pour étayer son propos, Arnaud Montebourg avance un chiffre quelques jours plus tard : ces quatre dernières années, 107 entreprises ont relocalisé tout ou partie de leur activité en France. Pour le ministre, c’est clair, un phénomène de relocalisation se met en marche… Ou du moins c’est ce qu’il aime à croire :

« Un mouvement tangible de relocalisation a commencé : il est minoritaire mais prometteur. Il n’est pas massif mais pionnier. »

Le retour du « made in France »?

Mais pour le chercheur du CNRS Stéphane Riou, membre du Groupe d’analyse et de théorie économique de Lyon Saint-Étienne, si on entend de plus en plus parler de « made in France » et de relocalisation, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’entreprises qui reviennent en France, il s’agit simplement d’ « un éclairage plus fort lié au contexte politique actuel ». Autrement dit, la marinière du ministre du Redressement productif a fait parler et continue à faire parler.

Le chercheur n’est donc pas du même avis qu’Arnaud Montebourg et propose même une analyse toute autre : l’argument du « made in France » accolé à un produit ne suffit pas à décider d’un transfert de production :

« Le retour au « made in France » ? Je n’y crois pas. Il ne peut y avoir de renversement de la délocalisation vers la relocalisation que si les industriels sentent que réellement les préférences des consommateurs changent et se dirigent vers le « made in France ». Mais aujourd’hui, à part dans le secteur alimentaire, où les Français prêtent davantage attention à la provenance du produit qu’avant, pour les autres secteurs, ça n’est pas encore le cas. »

En étudiant chaque cas de relocalisation observé en Rhône-Alpes depuis début 2013, Stéphane Riou démontre que ces expériences restent ponctuelles et qu’il est encore difficile d’y déceler de grandes tendances. Chacune tient en effet à des déterminants économiques plus complexes qu’à un simple phénomène de retour au « made in France ».

Renault Trucks : « le terme de relocalisation n’est pas le plus pertinent »

Le 20 août dernier, l’actionnaire suédois du constructeur annonce la fin du contrat d’assemblage avec le constructeur turc Karsan, signé en 2007. Renault Trucks va donc cesser sa production en Turquie.

Parallèlement, le constructeur renouvelle intégralement sa gamme européenne, avec l’entrée en vigueur des nouvelles normes anti-pollution européennes. Cette nouvelle ligne de camions sera réalisée dans les usines françaises de Renault Trucks et profitera donc directement à l’usine de Bourg-en-Bresse dans l’Ain, où ces véhicules seront assemblés.

C’est donc bien parce que ce passage aux nouvelles normes européennes n’aurait pas pu être assumé en Turquie que l’entreprise doit rapatrier cette production en France. Rien à voir avec une volonté particulière de mettre en avant une fabrication française, contrairement à ce qu’ont pu laisser entendre certains médias.

Le président de Renault Trucks, Bruno Blin, lui-même tempère l’engouement autour de cette relocalisation :

« L’usine en Turquie ne produisait que pour le marché turc et quelques pays limitrophes. La production des véhicules Renault Trucks vendus dans le reste du monde s’est toujours principalement effectuée en France. En ce sens, le terme de « relocalisation » n’est pas forcément le plus pertinent. »

Et d’ajouter :

« L’assemblage des camions destinés au marché turc représente un volume modéré de véhicules, puisque Renault Trucks a livré 51 500 véhicules en 2012, alors que 3700 véhicules ont été assemblés en Turquie en 5 ans. Cela n’aura donc pas de conséquences immédiates sur l’emploi en France. »

Photowatt : relocalisation ne rime pas avec création d’emplois

Chez Photowatt aussi, la relocalisation n’aboutira pas à la création de postes. Simplement à un redéploiement de salariés.

C’est le 25 avril 2013 que ce fabricant de panneaux solaires installé à Bourgoin-Jallieu (Isère) a annoncé une relocalisation. Et là encore, elle concerne seulement une partie de sa production. L’objectif étant de rapatrier l’assemblage de ses modules, jusqu’alors fabriqués en Chine et en Pologne.

L’entreprise va donc ouvrir au mois d’octobre un nouveau site de production à Vaulx-Milieu, en Isère, où 70 des 359 salariés de l’usine de Bourgoin seront transférés.

Dans le cas présent, la relocalisation a été décidée afin de faire l’économie d’un plan social en France, qui aurait été plus coûteux pour Photowatt que de rapatrier cette production, comme le souligne le chercheur Stéphane Riou. Là encore, rien à voir avec un quelconque patriotisme.

Rossignol : une relocalisation limitée aux produits haut de gamme

De son côté, c’est en février 2013 que le fabricant de skis isérois Rossignol a annoncé une seconde vague de relocalisation : la production des skis juniors en Taïwan est rapatriée à Sallanches, en Haute-Savoie.

La première vague, en 2011, avait donné lieu à un déplacement présidentiel. Alors pour la seconde, une importante campagne de communication auprès de la presse locale et nationale a été mise en place. À Rossignol, on mise clairement sur le « made in France ». C’est même devenu une stratégie de communication. Merci Arnaud Montebourg et sa marinière.

Pourtant, là encore il s’agit seulement d’une partie de la production de la marque, et plus précisément de skis haut de gamme, comme le souligne le chercheur Stéphane Riou :

« Sur des produits haut de gamme, qui demandent une main d’œuvre compétente, les industriels se sont cassés les dents en délocalisant à l’étranger. Certes, les salaires sont plus avantageux pour eux, mais il y a moins de compétence et beaucoup d’absentéisme. Et pour des produits qui demandent une certaine qualification, on peut du coup être amené à relocaliser. Mais ça reste marginal pour le moment. »

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Le magasin Habitat à Lyon, place de la République © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

Habitat : le « made in France » fait vendre

Même cas de figure pour la chaîne d’ameublement Habitat, qui mise sur une communication patriotique alors qu’elle ne relocalise qu’une infime partie de sa production.

Le PDG du groupe va en effet rapatrier de Chine la production de sa lampe Ribbon, un modèle « haut de gamme » à 150 euros. Elle sera installée à Tarare, près de Lyon, « probablement d’ici la fin de l’année », précise-t-il. Aucun emploi ne sera créé mais cette relocalisation permettra de pérenniser les emplois déjà sur place.

Le patron d’Habitat, Hervé Giaoui, l’assure :

« Nous n’avons pas d’avantage économique majeur à relocaliser en France, mis à part à contribuer un peu à l’industrie et à l’emploi en France… On a tous conscience qu’il faut trouver des solutions pour le pays. Et si ça marche pour la lampe Ribbon, on pourra relocaliser la production d’autres produits, et peut-être créer des emplois. Le « made in France » fait vendre. »

Dans ce discours, il explique que si ce produit a pu être rapatrié, c’est aussi parce que le coût du travail ne représente que 15% du coût de fabrication total de ce modèle. Ainsi, même si les salaires varient de 1 à 5 entre l’Asie et l’Europe, ça n’a pas de conséquence significative sur le prix final.

Garella : le meilleur élève d’Arnaud Montebourg

Quant à Jean-Brice Garella, président de l’éditeur de mode du même nom, mais aussi homme politique (PS) engagé dans la course à la mairie de Gardanne (région PACA), il passe pour être le meilleur élève de la relocalisation.

Récemment décoré de la légion d’honneur par le ministre du Redressement productif, le patron de Garella a servi de vitrine aux mesures mises en place par Arnaud Montebourg pour favoriser la relocalisation.

Organisée dans l’urgence suite à une réunion avec le comité de pilotage « relocalisation » du ministère du Redressement productif, l’opération de rapatriement depuis la Hongrie et la Pologne vers Roanne, dans la Loire, ne concerne pourtant qu’une dizaine de modèles sur les 150 produits par la marque.


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