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20/03/2024 date de fin
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Taulard #48 : « La réinsertion ? Deux mois après la sortie, toujours sans domicile »

La réinsertion n’existe pas. Elle n’est qu’un concept, donc une pure fiction sans aucune concrétisation, sans réel.

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Dessin de Falco, Cuba.

Cependant ce concept a un rôle essentiel, particulièrement dans notre pays, à savoir dissimuler chez tout un chacun la folle volonté de punir ceux qui ne marchent pas dans les clous et l’amour insensé de la loi du Talion. Escamoter la propre part d’ombre de ceux qui se prétendent libre, c’est sa seule et unique fonction.

Dessin de Falco, Cuba.
Dessin de Falco, Cuba.

Cette volonté de faire souffrir le « désobéissant » sévit depuis que l’homo sapiens a pris conscience de sa mort et a ritualisé les enterrements. Face à sa propre fin qui le terrorise, il a créé un mal légal au nom de ce qu’il définit comme le bien. Ce n’est certainement pas un hasard si l’on dit que les possédants ont du bien. Joli tour de passe-passe pour se dédouaner de la bête qui fourbit ses instruments de torture en silence tout en s’affirmant « bon ».

Pour mieux refouler cette bête, il a inventé l’idée de dette, donc de rachat, d’ex-voto, de pardon, de re-dressement, de principe de réalité, de contrainte structurante… et on en arrive ainsi à la réinsertion

Dieu faisant moins recette, le bagne n’éloignant plus les condamnés des regards, la peine de mort étant abolie (remplacée malgré tout par la mort lente des longues peines), il fallait renforcer la justification de l’enfermement et lui donner consistance.

C’est là que le concept « moderne » de réinsertion a surgi. Néanmoins on ne pouvait pas en rester à un seul effet de langage tiré des théories naissantes dites sciences humaines et des déclamations qu’on qualifiait d’humanistes, il fallait concrétiser une façade. Alors on a inventé des métiers et embauché une armada de collabos (oui, oui), dit spécialisés, pour faire exister la réinsertion et la valider.

Outre qu’on laissait croire que la matonnerie ne dirigeait pas seule ces lieux de mort que sont les prisons, (l’image du bourreau était encore trop présente dans les esprits), on redoublait du même coup la dissimulation du sadisme lié au principe de la condamnation.

« Combien il est difficile d’œuvrer dans ce milieu carcéral »

Je parle bien sûr de tous les SPIP (le Service des Personnes Absentes en Permanence) mais aussi des travailleurs sociaux, des enseignants, des psy de tous poils et de toutes obédiences et d’autres encore, qui sont venus accréditer cette fausse réalité. Ils se sont rajoutés aux bénévoles dont j’ai déjà parlé il y a quelques temps et qui cautionnent depuis longtemps l’incarcération.

Ces sbires de la pénitentiaire nous disent, bien évidemment, combien il est difficile d’œuvrer dans ce milieu carcéral, mais qu’il faut bien que quelqu’un s’occupe de ceux qui ont failli, qu’ils sont malgré tout des humains, qu’ils sortiront un jour (sauf ceux qui se suicident ou meurent faute de soins) et qu’il faut savoir donner la seconde chance et le pardon, en ajoutant, pour s’en dédouaner, que l’administration pénitentiaire exagère quelquefois en faisant des erreurs de zèle.

Ils cachent ainsi leur culpabilité mais surtout font gonfler leur ego. Cela met en exergue leur dévouement, leur abnégation où disparaît l’objective compromission derrière un discours mensonger d’efficacité. Ils peuvent ainsi se distinguer, dans le sens donné par Bourdieu, comme interlocuteur légitime, doté d’un esprit critique affûté et des capacités intellectuelles supérieures.

Leur entourloupe rhétorique transforme une fiction en réalité en adoubant le rapport de force de l’état et des juges sur le judiciarisé qui efface le véritable enjeu, le vrai scandale, toujours jeté dans les oubliettes : Il n’y a pas de justice, il n’y a que des lois. Ceci dit c’est un vrai savoir faire que de remplir le vide par du vide.

Bien sûr, tu ne me crois pas lecteur, tu dis une énième fois que je suis dans l’outrance, dans la caricature. Alors va écouter sur RTL cette émission de Pradel , « L’Heure du crime » où, le 9 septembre (mis en ligne le 10 septembre sur le site web de RTL), il interview une journaliste dite indépendante (je me marre) de l’Obs, Patricia Jourancheau. C’est édifiant ! Tu y entendras l’indécence jouissive où le voyeurisme se mélange au sadisme bien pensant pour faire croire que même les tueurs en séries (je rappelle qu’il y en a moins d’une dizaine en France) peuvent se réinsérer grâce à la prison et à la fabuleuse efficacité des collabos.

Ce morceau de bravoure est conclu par l’hypocrite Aude Siméon qui en rajoute une couche après son livre torchon « Prof chez les taulards ». Tu verras que je n’exagère en rien.


Interview de Aude SIMEON un prof chez les taulards par LaurentJacqua

Tu ne me crois toujours pas ? Alors pourquoi Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur des lieux de privation de liberté rebelle, que le nain des « ripouxblicains » a rêvé de virer parce qu’il dénonçait la réalité, remplacé par une bien gentille dame qui ne fera pas autant de bruit que lui, vient d’être remercié (toujours la sémantique- cf article précédent) du contrôle des écoutes téléphoniques parce que trop intègre face au désir toujours plus hégémonique des services de police au prétexte de radicalisation ?

Mon pote, toujours sans domicile

La réinsertion ? Allez, un exemple concret et vécu en direct. Un jeune pote est sorti peu de temps après moi, à savoir début juillet. Comme il n’avait pas de famille (rupture consommée) j’ai pris contact avec des travailleurs sociaux pour l’aider. Évidemment, pas de logement disponible, nulle part. Il y a trop de demandes ! En plus il est sans boulot et sans garantie ni caution !

Reste donc la seule possibilité d’un foyer. Ce n’est pas terrible quand tu sors de taule d’être surveillé encore, alors que tu es libre et de se conformer à un règlement collectif abscons, style « on doit être rentré à 23 heures », entre autres infantilisations. Mais bon, il n’y avait que ça. Bien sûr, il était déjà en contact en amont avec un travail social relais qui fait des intervention en taule.

Il a demandé une permission de sortir de 12h, obtenue 15 jours avant sa libération, pour aller présenter son projet au foyer. Je suis allé le chercher, je l’ai accompagné et je l’ai ramené à la taule. Entretien d’une heure pour finalement s’entendre dire qu’il n’y avait pas de place pour le moment, mais qu’on le recontacterait car son projet était intéressant.

Ils mettent ainsi plusieurs mecs en attente pour en avoir un sous la main quand un autre s’en va, afin de ne pas avoir de trou dans le versement des prix de journée dans leur budget. Eux aussi gèrent du flux et du fric. Mais voila, il sortait 15 jours après. Allait-il se retrouver à la rue ? Sans vergogne, comme ils m’ont vu l’accompagner, ils n’ont pas hésité à lui demander si en attendant je ne pouvais pas l’héberger !

Il a évidemment dit que c ‘était impossible. Rendez vous est pris le lundi après sa sortie avec le travailleur social relais. Il sortait le vendredi, je l’ai, bien sûr, hébergé le w-e en attendant le lundi. Le foyer ? Pas de réponse et la solution : une semaine d’hôtel social. Ensuite le foyer a dit pas avant septembre. Et l’hôtel social est prolongé de semaine en semaine. Quelle stabilité !

Comment donner une adresse pour ses papiers, pour un patron éventuel et autres choses du quotidien. Un hôtel sans personne, les gars, car il n’y a pas que ce jeune homme, sont laissés en attente sans autre « aide » que les rendez-vous ponctuels avec le travailleur relais, 1h par semaine. Il faut du courage pour ne pas tout envoyer chier et ne pas « récidiver » comme ils disent.

Et aujourd’hui, deux mois après sa sortie, il n’est toujours pas en foyer. Un cas exceptionnel ? Non point. C’est pareil pour tous ceux qui ne savent pas où aller, quelque soit l’âge, jeunes et moins jeunes. Vous avez dit réinsertion ?

Il n’y a pas plus inséré que le prisonnier

Et je vais faire plus long aujourd’hui car je veux rendre hommage à un pote, un ami, un frère, qui depuis son départ définitif me manque, grave de chez grave. Il écrivait :

« C’est le système qui ne veut pas de la réinsertion. Le système ne réinsère pas, il recycle. Et il recycle perpétuellement un prisonnier en prisonnier. Vous savez ce que c’est un prisonnier ? Ce n’est pas une personne en marge ! C’est quelqu’un qui est au cœur du système.

Qui se lève à telle heure, qui mange à telle heure et se couche à telle heure. Il est réglé comme une pendule. On a le même schéma pour les prisons que pour les casernes, les hôpitaux et les écoles. Le prisonnier est au cœur de la société. Il n’y a pas plus inséré que lui, pas mieux socialement ».

C’est signé Hafed Benotman.

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En prison. Crédit : Sébastien Erome/Signatures.

Photo : Sébastien Erome / Signatures.

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