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Désobéissance civile : apprendre à manier les médias et dire bonjour aux flics

La désobéissance civile, ça s’apprend. Ce week-end une formation à l’action directe non-violente était organisée à Lyon. Une vingtaine de militants intéressés mais peu familiers du concept ont suivi le programme : rapport aux forces de l’ordre et aux médias, stratégie de l’action, mises en situation.

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Technique de résistance dite du « petit train ». Crédit : J.E.M / Rue89Lyon

« Les salariés de Monsanto mettez-vous ici, les activistes plutôt de ce côté là »

Autour de Rémi Filliau, animateur de formations à la désobéissance civile on ne voit pourtant ni salariés de Monsanto la firme de biotechnologies (OGM, Roundup), ni activistes, ce samedi après-midi. Seulement une vingtaine de jeunes et moins jeunes qui s’apprêtent à endosser des rôles.

Pour du beurre. En rang pour bloquer l’entrée virtuelle de l’usine, les activistes tentent de dialoguer avec des travailleurs évidemment agacés. Argument économique (« je vais perdre une journée de salaire ») contre argument sanitaire (« ce que produit votre entreprise est néfaste »), la discussion tourne au dialogue de sourds.

Fin de l’exercice pratique et de l’avis quasi-général, les activistes ont  « manqué d’arguments ». Rémi Filliau fait le point :

« Souvent, les militants ont des convictions sans posséder toutes les argumentations. C’est pour cela qu’il est nécessaire de bien se renseigner et d’avoir une connaissance globale du sujet que l’on vient défendre ».

La préparation, c’est le point sur lequel les animateurs de ce stage d’initiation à l’action directe non-violente, insistent depuis le début de matinée. Bien comprendre le contexte de l’action et son objectif pour être efficace.

 

S’enchaîner plutôt que faire exploser

Une centaine de stages de ce type ont été organisés dans toute la France depuis 2006, principalement par le collectif des Désobéissants. A Lyon, la formation est dispensée en partenariat avec le Mouvement pour une alternative non-violente (MAN Lyon) dans les locaux de la Maison des solidarités (3e arrondissement).

Avant d’entrer dans le vif des mises en situation, les stagiaires d’un week-end, déjà militants pour différentes causes et à divers degrés, avaient pu aborder plus théoriquement les notions de violence et de non-violence :

« Un centre de rétention pour sans-papiers est en construction à côté de chez vous. Vous avez la possibilité de mettre feu aux pelleteuses. Est-ce que vous le faîtes ? Est-ce que vous trouvez ça violent ou non ? ».

Les questions posées par Rémi Filliau ont vocation à susciter le conflit, au moins intérieur. « C’est bien trop tôt, on n’a pas épuisé tous les moyens d’action. Et est-ce que ce serait vraiment efficace ? » s’interroge Geneviève.

Au sein du groupe, tous ne sont pas habités par les mêmes doutes. Pour Bernadette, c’est le côté « intolérable » de la situation qui serait susceptible de la pousser à agir, tandis que la perspective de voir les machines exploser en dissuaderaient d’autres. Les approches divergent. L’animateur décortique la situation :

« Brûler des pelleteuses sera considéré comme du terrorisme par l’opinion publique alors que si l’on s’enchaîne devant le chantier, on aura plus de chance d’offrir une image forte et d’exprimer nos convictions ».

La frontière entre violence et non-violence tient souvent à un fil. « Si vous ne sentez pas une action, n’y allez pas », conseille Serge Perrin, animateur du MAN Lyon. Pour cet ancien du Larzac, la préparation doit permettre de prévenir toutes les situations pouvant entraîner de la violence. Sans que cela soit si restrictif  :

« Une action non-violente peut parfois exercer une certaine violence en termes de contrainte vis a vis de personnes ou de matériel, l’idée étant que cette contrainte s’arrête dès la fin de l’action ».

 

« Si l’un d’entre vous dit « carotte », vous comprendrez qu’il souffre et il s’extraira du groupe »

Pour les Désobéissants, séquestrations, occupations de terrain ou autres blocages peuvent être « légitimes » en fonction des situations. Reste que ces actions sont souvent illégales. Il s’agit alors de durer assez longtemps pour pouvoir « faire passer le message » avant que la police ne les déloge.

Pour y parvenir, chaque groupe d’action doit avoir son « contact presse » qui se charge de rameuter les médias. Pas avant la veille de l’action et si possible en donnant un point de rendez-vous factice mais à proximité du lieu réel de l’action. Pour éviter d’hypothétiques fuites.

Si certaines participantes craignent de se « prendre un gnon », tout le monde se prête à l’expérimentation des techniques de résistance. La tortue d’abord : en arc de cercle, 6 activistes sont entrelacés les uns aux autres pour ralentir l’interpellation par les forces de l’ordre. Assez concluant : « c’était un bloc très homogène. Le fait qu’ils soient au sol complique la tâche », débriefe l’un des (faux) policiers d’un jour.

La « tortue », une technique de résistance. Crédit J.E.M/Rue89Lyon

Même si l’ambiance est plutôt à la rigolade, Rémi Filliau explique que l’expérience en réel peut être douloureuse et glisse un petit conseil :

« Avant l’action, convenez d’un code : carotte par exemple. Comme ça si l’un d’entre vous dit carotte, vous comprendrez qu’il souffre et il s’extraira du groupe ».

 

« S’en tenir au message, répéter la même phrase »

Dans le même genre, le petit train recueille les suffrages des stagiaires. Cette fois les militants sont assis les uns derrière les autres et se font difficilement séparer par les policiers. Sans pourtant verser dans l’illusion. « Il suffirait qu’il nous attrapent en dessous des bras pour nous séparer », fait valoir un apprenti désobéissant. La limite des mises en situation, qui ont aussi vocation a rythmer la formation, est atteinte.

Concernant les actions réelles, Magali, également animatrice du stage, explique que parfois s’entêter à résister est superflu :

« On ne continue à résister que tant qu’il y a encore sur place des médias où des gens pour prendre des photos ».

L’importance des journalistes, même si elle divise, est ici déterminante pour les non-violents dont de nombreuses actions ont une visée médiatique. Sans photographes ou cameramen pour les immortaliser, les actions des activistes restent dans la clandestinité et ne peuvent toucher au delà d’un cercle d’initiés.

Et si la méfiance reste de mise, surtout vis-à-vis des médias de masse, les Désobéissants ont fait le choix de communiquer énormément sur leurs actions. La façon de rédiger un communiqué de presse alléchant sera même évoquée pendant le stage. Le principal conseil donné pour « éviter qu’on coupe et qu’on travestisse vos propos » est des plus cartésiens voire lobotomisants : « s’en tenir au message, répéter la même phrase qui explique l’objectif de l’action ».

 

« Rien à déclarer »

L’action non-violente devant théoriquement être revendiquée et assumée jusque dans ses conséquences juridiques, les activistes sont souvent aux prises avec les forces de l’ordre. Maniant l’image, Magali évoque des actions de bombages réalisées une bombe dans une main, la carte d’identité dans l’autre.

Le rapport à ceux que la plupart d’entre eux appellent les « flics » au début du stage permet aux animateurs d’aborder la question de l’attitude et du respect de l’adversaire (« les non-violents n’ont pas d’ennemis »). En substance : derrière les forces de l’ordre il y a des hommes qui travaillent et obéissent à des ordres venus de plus haut. D’ailleurs ils peuvent parfois être amenés à protéger les activistes.

Dans la confrontation, mieux vaudrait donc un « bonjour comment allez-vous ? » qu’un ironique « dis donc t’as pas chaud dans ton uniforme ? ». C’est notamment ce que retient Ludovic, l’un des participants :

« L’attitude, le sourire sont très importants, dans tout ce qu’on entreprend, que ce soit dans la distribution de tracts ou dans le rapport à l’autre ».

Un peu à la manière des clowns activistes dont le rôle est de perturber les forces de l’ordre avec une approche délibérément maladroite. Mais l’attitude ne faisant pas tout, une mise en scène d’interrogatoire de police est organisée. Interrogée par Rémi Filliau, Marie tente de répondre tant bien que mal aux questions incisives du faux policier. Verdict du formateur, qui étonnera les participants :

« Avant d’être placé en garde à vue, à part décliner votre identité, ne dîtes rien. Ou plutôt, répondez : « Je n’ai rien à déclarer » quand on vous pose une question. »

D’expérience, Rémi Filliau estime que dans la majorité des cas, personne ne risque d’être poursuivi..

 

« Les opposants à l’OL land auraient dû venir »

Dimanche en fin d’après-midi, dernier débriefing à la Maison des solidarités. Certains considèrent qu’ils ont « toutes les clés en main » et semblent bien décidés à mettre en pratique ce qu’ils ont appris. C’est notamment le cas des étudiants présents et de quelques anciens.

Et dans les alentours de Lyon, il y a de quoi faire. Notamment dans le cadre de l’opposition à la construction d’un OL land à Décines. Actuellement, des activistes occupent le terrain. Ils pourraient être expulsés le 30 avril. Pour Serge Perrin, ces activistes sont un peu trop « en marge » de la société, ce qui pourrait nuire à leur objectif :

« Il y a une petite déception de ne voir dans ce stage aucun des militants qui occupent le terrain de l’OL Land, pourtant au niveau de l’organisation, il pourraient en avoir besoin ».

Magali a la dent moins dur avec ces activistes :

« Ils sont organisés comme à Notre-Dame-des-Landes, avec des yourtes, des cabanes, une cuisine communautaire pour lutter contre un projet dispendieux et mégalomane ».

 

Ange gardien ou activiste, chacun son truc

D’autres en resteront là pour l’instant. C’est le cas de Chantal, militante traditionnelle :

« Ce stage donne envie de se lancer. Mais j’ai toujours peur de l’agressivité. Ce genre d’actions implique de se confronter à cette force qui porte bien son nom ».

D’autres, comme Geneviève ont une grille de lecture un peu plus critique :

« L’aspect mise en situation était sympathique et intéressant mais je repars avec plus de questions que de réponses. Il m’a manqué un peu de recul réflexif sur les actions à mener, la façon de les penser ».

Comme tient à le rappeler Magali, il y en a pour tout le monde dans les actions non violentes. Les activistes ne pourraient mener leur projet à bien sans le concours de personnes plus en retrait. A l’instar des anges-gardiens qui surveillent le déroulement de l’action, des coordinateurs qui peuvent être en lien soit avec la police, soit avec la presse mais aussi de ceux qui veulent agir tout en restant sur le terrain de la légalité.

En fonction de ce que chacun se sent capable de faire, toujours en concertation et en suivant les règles qu’ils se sont fixées avec les autres membres du groupe. Car pour désobéir correctement, il faut accepter de se plier à certaines règles.

 


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