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#Enjeux2020 : Lyon, Bordeaux et Strasbourg peinent à réduire leurs déchets

#Enjeux2020 – En vue des élections locales de mars 2020, les trois Rue89 locaux, Lyon, Bordeaux et Strasbourg proposent des regards croisés sur des problèmes communs à ces trois métropoles. Pour ce troisième épisode, retour sur la politique de gestion des déchets.

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La question des déchets à Lyon, Bordeaux et Strasbourg. Par Rue89 Lyon, Rue89 Strasbourg et Rue89 Bordeaux

1. Bordeaux Métropole coincée par ses « aspirateurs à déchets »

Pourtant labellisée « Territoire zéro déchet, zéro gaspillage », Bordeaux Métropole rame à faire maigrir ses poubelles. Après des années d’augmentation, sa production de détritus a certes enfin reculé l’an dernier, à 501,7 kilos par an et par habitant, contre 517 en 2010.

Mais on est loin de l’objectif visé par la démarche nationale « Zéro déchet », une baisse de 10% par an et un objectif de 465 kilos en 2020. En outre, une trop faible part du tonnage collecté (425196 tonnes l’an dernier) est recyclé ou composté : plus de la moitié des déchets sont incinérés (52%), et 9% envoyés en décharge.

Par la voix d’Anne Walryck, sa vice-présidente en charge du développement durable, par ailleurs adjointe au maire (et candidat) Nicolas Florian, la Métropole, en charge de la collecte et de la gestion des déchets, vante la « valorisation énergétique » de ces derniers : les deux incinérateurs de l’agglomération permettent d’alimenter en chaleur « l’équivalent d’une ville de 34000 habitants et d’une ville de 100000 habitants en électricité ».

« L’écologie sacrifiée sur l’autel de la finance »

Conséquence de cette manne : Bordeaux Métropole a définitivement renoncé à la fermeture de son usine de Cenon, un temps envisagé du fait de fours en surcapacité de 115000 tonnes par an depuis l’ouverture du centre de Bègles. Elle vient au contraire de confier à l’exploitant de l’incinérateur de Cenon, SOVAL, une délégation de service public pour les deux sites.

Cette filiale de Veolia s’engage à les préparer aux nouvelles consignes de tri pour 2022 (qui concerneront l’ensemble des emballages en matières plastiques, NDLR), à les mettre aux normes européennes de pollution de l’air et de l’eau, et à améliorer des techniques de valorisation énergétique.

De quoi donc alimenter l’ »aspirateur à déchets » tant décrié par les élus et associations écologistes. Les incinérateurs traitent chaque année 350000 tonnes de déchets ménagers, et ce à un prix d’ami (18€ la tonne incinérée pour Bordeaux Métropole), que Veolia compte amortir en vendant plus cher ses services à d’autres collectivités de la région…

« Ce prix défiant toute concurrence est en décalage complet avec les prix du marché et la volonté de favoriser les filières de recyclage, conteste le conseiller métropolitain Gérard Chausset. L’écologie a été sacrifiée sur l’autel de la finance et de l’énergie pas chère. »

A l'usine de tri et d'incinération de Bègles ©SB/Rue89 Bordeaux
A l’usine de tri et d’incinération de Bègles ©SB/Rue89 Bordeaux

Compost restant

L’adjoint (sans étiquette) au maire de Mérignac considère que la surcapacité des incinérateurs bordelais « a toujours rendu difficile la mise en œuvre d’une politique volontariste de réduction des déchets à la source accompagnée d’une politique de prévention des déchets et de développement de filières de recyclage ou de valorisation ».

Peu de candidats à la mairie de Bordeaux ont pour l’heure avancé des propositions détaillées sur les déchets. Selon les informations de Rue89 Bordeaux, Bordeaux Respire, la liste écologiste conduite par Pierre Hurmic, veut « valider la fermeture de l’incinérateur de Cenon en 2026 ». Même proposition pour Thomas Cazenave, candidat de La République en marche à Bordeaux :

« Nous voulons aller vers le zéro déchet, et si nous voulons être exemplaire, il faut assumer qu’en bout de course il y ait moins de déchets incinérés. Notre ambition est qu’on puisse mettre fin à un des deux contrats, notamment celui de Cenon qui a la plus petite capacité. »

Pour la tête de liste de Renouveau Bordeaux, l’incinération ne se justifie plus si « la question essentielle des biodéchets, qui représentent la moitié de nos poubelles », est traitée correctement. La loi prévoit il est vrai que « tous les particuliers disposent d’une solution pratique de tri à la source de leurs biodéchets avant 2025 ».

Thomas Cazenave propose donc d’organiser leur collecte en expérimentant dans les quartiers bordelais des systèmes de porte à porte ou d’apport volontaire.

« Nous valoriserons ensuite le compost qui peut-être utilisé par les équipes des espaces verts, ce qui est cohérent avec notre volonté de reconquête végétale de la ville. »

La carotte et le bâton

Pour encourager les particuliers, mais aussi les professionnels comme les restaurateurs, à donner une deuxième vie à leurs biodéchets plutôt que de les jeter dans leurs bacs gris, écologistes et marcheurs veulent jouer de la carotte et du bâton.

Les premiers veulent d’ores et déjà « généraliser la redevance incitative au poids et réduire le nombre de levées en veillant à avoir une gestion des biodéchets efficace » (promotion des composteurs, voire de poulaillers partagés…)

Il s’agirait concrètement de remplacer la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères), calculée sur la valeur locative des logements, par une redevance variant en fonction de la quantité d’ordures ménagères.

Un tel système est actuellement expérimenté par Bordeaux Métropole dans plusieurs quartiers. Thomas Cazenave aimerait attendre les conclusions de ce test grandeur nature, et l’approfondir avant de l’étendre à tous les habitants de la métropole. Il suggère en revanche de faire varier la taxe dont s’acquittent les professionnels s’ils s’engagent dans des démarches vertueuses.

Autres propositions : LREM suggère que Bordeaux travaille avec le secteur viti-vinicole pour relancer la consigne des bouteilles ; les écologistes de « créer en régie directe une ressourcerie pour les matériaux issus du BTP », et d’ »organiser la collecte des déchets électroniques en porte à porte ».

Alors que la mairie de Bordeaux, mais aussi celles de Pessac et Bègles, ont récemment annoncé leur volonté d’aller vers le zéro plastique à usage unique, les écologistes veulent mettre le paquet sur ce sujet, en expérimentant les couches lavables dans les crèches municipales ou encore en valoriser les initiatives des commerçants (magasins de vrac alimentaire, consignes, magasins de produits de 2nde main…). Histoire d’accompagner les Bordelais en douceur vers le zéro déchet.

En volume de déchets ménagers par habitant, Lyon s'en sort mieux que Bordeaux et Strasbourg. Infographie : Pierre Pauma
En volume de déchets ménagers par habitant, Lyon s’en sort mieux que Bordeaux et Strasbourg. Les différences de DMA/habitant entre Bordeaux, Strasbourg et Lyon peuvent s’expliquer par le type d’habitat de ces métropoles. A Lyon où l’habitat est plus dense, il y a moins de maisons, donc moins de déchets végétaux (on pense à la tonte de la pelouse ou la taille des haies). Infographie : Pierre Pauma/Rue89 Strasbourg.

2. Strasbourg : le trauma de l’incinérateur

Le dossier de l’incinérateur strasbourgeois est l’un de ces feuilletons municipaux capable d’empoisonner un mandat. En 2014, de l’amiante est découverte dans l’usine qui enfourne les déchets de l’Eurométropole, et une partie de ceux des communes voisines. La présence d’amiante était connue depuis 2009, mais personne n’avait jugé opportun de pousser les investigations, en dépit des recommandations du diagnostic. Fin 2009, la délégation de service public passe d’EDF au groupe Séché via sa filiale Sénerval pour 20 ans.

En 2016, il a fallu fermer l’incinérateur, financer les travaux de désamiantage, indemniser le groupe Séché, et surtout, trouver des débouchés pour 230 000 tonnes de déchets annuels. La facture s’élève à presque 200 millions d’euros, dont 110 pour le détournement des déchets. Ceux-ci sont expédiés en Lorraine et en Mayenne… Une tâche dans le bilan carbone de l’Eurométropole, et un trou dans les finances qu’il a fallu compenser par deux augmentations successives de la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) en 2015 et 2016.

De quoi faire admettre au premier adjoint et candidat LREM Alain Fontanel, que l’Eurométropole a « raté le coche ». Il reprend le discours des écologistes qui regrettent que Strasbourg n’ait pas profité de cette crise pour prendre à bras le corps le problème de la réduction des déchets. Le complexe contrat avec le délégataire et la garantie de lui fournir des tonnes de déchets pour produire chaleur et vapeur à revendre a vraisemblablement pesé dans les arbitrages.

2023, 2025, 2030… Les dates butoirs du prochain mandat

L’Eurométropole a doucement entamé le chemin du « zéro déchet ». Entre 2010 et 2018, le volume total a baissé 5%, soit 8,6% de moins par habitant. Comme Lyon et Bordeaux, Strasbourg devra se plier à la directive européenne sur la réduction des déchets. Celle-ci fixe la barre du recyclage ou compostage (hors utilisation de débris pour le remblayage, le détail a son importance) à 55% en 2025 et 60% en 2030. Par ailleurs, fin 2023, tous les citoyens devront avoir accès à une solution pour trier leurs biodéchets.

Strasbourg s’est en plus parée d’un Plan climat 2030 non-contraignant, mais reste une base pour la prochaine équipe. L’Eurométropole s’est engagée à recycler 50% de ses déchets d’ici 2030, (engagement moins ambitieux que la directive déchets de l’UE donc), mais aussi à réduire de moitié le volume de sa poubelle bleue accueillant les déchets ménagers résiduels. Deux leviers apparaissent comme une évidence : le tri des biodéchets et la tarification incitative.

Compostage, ramassage des bacs… Le casse-tête des déchets fermentescibles

Comme nombre de grandes villes françaises, Strasbourg expérimente des solutions pour trier les déchets fermentescibles comme les restes de repas ou les épluchures de légumes. L’agglomération n’a pas tranché entre l’apport de bacs volontaires, ou la collecte en porte-à-porte à l’instar des déchets recyclables. Ainsi, les restaurateurs peuvent faire enlever leurs biodéchets par Sikle, qui fait ses tournées en vélo-remorque.

Pour le moment, le compostage de proximité a la préférence des autorités : les épluchures et autres tomates pourries qui atterrissent dans le bac à compost du quartier tenus par des bénévoles sont autant de déchets que la Métropole n’a pas à gérer. Mais le système montre ses limites : bacs qui saturent, difficultés à trouver de la matière sèche et des débouchés pour le compost arrivé à maturité… Sans compter une certaine lassitude des bénévoles.

De l’autre côté du Rhin, les villes allemandes utilisent largement le ramassage en porte-à-porte. Mais cela n’inspire pas outre mesure les acteurs strasbourgeois : bilan carbone médiocre, problèmes d’hygiène en cas de manque d’entretien, erreurs de tri… Les arguments contre le ramassage en porte-à-porte vont bon train. Françoise Bey, vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la gestion des déchets, a multiplié les expériences. Le plus dur reste à faire : généraliser le tri des déchets fermentescibles, ce qu’aucune grande ville française ne fait pour l’instant. Seule Besançon composte à grande échelle, avec plus ou moins de réussite.

A Strasbourg, les associations se retrouvent seules à gérer le compost et perdent parfois un peu patience face à leurs bacs saturés. (Photo Pierre Pauma)
A Strasbourg, les associations se retrouvent seules à gérer le compost et perdent parfois un peu patience face à leurs bacs saturés. (Photo Pierre Pauma)

La tarification incitative ? Pas avant 2026

Deuxième levier d’action pour réduire le poids de la poubelle : le principe du pollueur-payeur, déjà appliqué dans bon nombre de petites communautés de communes en France. Mais là encore, les grandes villes traînent. Strasbourg ne fait pas exception. La tarification incitative aurait dû voir le jour avant la fin du mandat, mais a été repoussée à 2026. Elle n’est en cours d’application que pour les professionnels et les institutions, après trois ans d’interruption.

Les écologistes, emmenées en 2020 par Jeanne Barseghian, plaident pour un plus gros travail de préparation des mentalités à la tarification incitative. Il faudrait passer d’une taxe déchets basée sur le foncier et seulement partiellement modulable en fonction des déchets produits, à une redevance, qui prend en compte le nombre de personnes dans un foyer.

3. A Lyon, que faire des incinérateurs ?

Entre 2010 et 2018, la quantité de déchets ménagers et assimilés (DMA – par kg/habitants/an) collectée n’a baissé que de 4,5% alors que l’objectif fixé en 2015 par la loi de transition énergétique pour la croissance verte était de 10% entre 2010 et 2020. Heureusement pour la Métropole de Lyon, le volume par habitant des DMA est bien en dessous de la moyenne nationale : 392 kg par an contre 568 kg (chiffres 2017).

A Lyon comme à Strasbourg ou d’autres grandes agglomérations françaises, la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères incitative ou TEOMI se fait attendre. la Métropole précise que le lancement des études préalables à la TEOMI est prévu “d’ici la fin du mandat”.

Les incinérateurs, clés de voute de la gestion des déchets

Clé de voute de la gestion des déchets à Lyon : les incinérateurs. Des machines gourmandes, en terme de budget comme d’impact sur l’environnement, et qui structurent toute la filière. La Métropole de Lyon en compte deux. L’un se situe à Gerland, l’autre à Rillieux-la-Pape. Chacun a engloutit environ 340 000 tonnes de déchets en 2017, sur un total de 540 000 tonnes collectées. Ils représentent au total 27% du budget consacré à la gestion des déchets, soit 39,79 million d’euros.

L’incinération alimente les réseaux de chaleur de Rillieux-la-Pape et Villeurbanne en énergie, ce qui en 2017, représentait des recettes de 6,9 millions d’euros pour la vente de chaleur, et 900 000 euros pour la vente d’électricité.

Le premier problème des incinérateurs, c’est l’émission de gaz à effets de serre (GES). Jacques Goulpeau, vice-président de l’association Zéro Déchet explique :

« 80% de leur coût est dédié à laver la fumée. Elle représente 5% des émissions directes de GES de chaque habitant lyonnais, c’est autant que l’avion. (…) Pour produire 1kWh, le bois énergie émet 17 à 38 g de GES, et les déchets de Lyon, 480 g, soit 20 fois plus. »

Sortir du modèle de l’incinération ?

Ces deux incinérateurs, construits en 1989, nécessitent dans tous les cas des travaux prochainement. Leur coût fait débat. L’un des enjeux pour le prochain mandat sera de décider quel sort réserver à ces incinérateurs : leur fonctionnement n’est acceptable que jusqu’en 2027-2029, d’après la Métropole :

« Au prochain mandat, l‘exécutif de la Métropole devra statuer sur la structuration de sa filière. Des décisions prises à cette période conditionneront le devenir des 2 UTVE (les incinérateurs, ndlr) au-delà de 2027. Cette thématique sera intégrée dans un schéma plus global de stratégie de gestion des déchets ».

Possibilité envisager : un changement total de paradigme. Des voix s’élèvent en ce sens. Selon les projections de l’association Zéro Déchet, si l’on réduit de moitié les ordures incinérées, on pourrait fermer deux des cinq fours actuellement en services (répartis sur deux incinérateurs).

L'un des deux incinérateurs lyonnais : celui de Gerland. ©LB/Rue89Lyon
L’un des deux incinérateurs lyonnais : celui de Gerland. ©LB/Rue89Lyon

Le tri des biodéchets : une obligation à venir

La question de l’incinération se pose d’autant plus que sortir de la poubelle grise les déchets végétaux devient une obligation, à mettre en œuvre très rapidement au cours du prochain mandat. Outre l’objectif de réduction des déchets, la Métropole de Lyon doit se conformer à la directive européenne sur la réduction des déchets qui impose qu’au 31 décembre 2023, tous les citoyens de l’UE devront avoir une solution pour sortir ces biodéchets de leur poubelle classique.

Durant le précédent mandat (2014-2020), la Métropole a développé le compostage. L’option choisie a été d’accompagner des composteurs citoyens, en pieds d’immeuble ou de quartiers.
Chaque année, les services ont installé de plus en plus de composteurs : 76 projets de compostage partagé ont été installés en 2018 dont 49 sites en pieds d’immeuble et 14 sites de quartier. C’est près du double de 2017. Et en 2019, la Métropole annonce 110 installations.

Difficile de composter en ville

Dans le centre de la Métropole (Lyon et Villeurbanne), il reste extrêmement difficile de trouver une place dans un collectif qui gère un composteur sur la voie publique. C’est plusieurs mois d’attente. L’offre de composteurs ne suit pas la demande des habitants.
A Lyon comme dans les autres grandes agglomérations qui ont mis en place ce système, le compostage de proximité montre ses limites.

Premier problème : il faut monter son collectif. Et souvent, les habitants n’ont pas nécessairement l’énergie à mettre dans la gestion des déchets. Se réunir, monter un dossier, faire les rendez-vous avec la Métropole, il y a au moins une année d’efforts.

Deuxième problème : après avoir monté son collectif, il faut trouver un lieu. Là, on bute sur la complexité de l’administration de l’espace public.

Et ces difficultés augmentent quand la ville est dense. De nombreux composteurs ont été installés à la place de canisettes pour les besoins des chiens ou dans des squares pour enfants. Ce qui réduit voire supprime ces espaces.
Par ailleurs, les services de la Métropole, les élus et les services des communes n’ont pas forcément les mêmes points de vue.
Pour les habitants, un projet de composteur devient la maison qui rend fou.

>> Ce paragraphe sur Lyon est un extrait de l’article #Enjeux 2020 – Déchets à Lyon : la brûlante question des incinérateurs


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