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Après les travaux, le quartier Grandclément se cherche une âme

À Villeurbanne, Grandclément vit au rythme des chantiers depuis plusieurs années. Le secteur, en pleine mutation jusqu’en 2030, doit devenir un nouvel « écoquartier ». Entre arrivée du tramway, nouveaux logements et ambitions écologiques, habitant·es et commerçant·es peinent à reconnaître leur quartier.

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Après les travaux, le quartier Grandclément se cherche une âme
Une nouvelle guinguette vient d’ouvrir alors que la place Jules Grandclément est encore en travaux pour laisser passer une nouvelle ligne de tramway T6.

Il est 16 heures, lundi 20 octobre, dans le quartier Grandclément. Sur la place éponyme, les bruits assourdissants des travaux couvrent les rires d’enfants qui s’amusent sur la nouvelle aire de jeux. Entre les palissades, les ouvriers s’activent pour créer la future ligne de tramway T6, qui reliera le quartier à La Doua « en quinze minutes » d’ici au printemps 2026, selon la Métropole de Lyon.

Entre deux bancs, Myriam, lunettes de soleil sur le nez, observe la scène. Installée dans le quartier depuis huit ans, cette aide-soignante de 67 ans s’appuie sur son déambulateur, un peu lasse. Elle soupire avant de laisser échapper : « C’est le bordel avec les travaux depuis trois ans ! »

Et pour cause, depuis 2023, le quartier vit au rythme des pelleteuses et engins en tout genre. Au tramway, l’une des pièces maîtresses de la ZAC (zone d’aménagement concertée) Grandclément Gare, s’ajoutent la reconfiguration de la place et la création d’espaces végétalisés censés donner un nouveau souffle au quartier.

Pour l’heure, ces ambitions se matérialisent surtout par des trottoirs barrés et une circulation souvent chaotique dont les habitant·es peinent à s’acclimater. À quelques rues de là, le « petit parc Gisèle Halimi », déjà ouvert en attendant la création du grand parc du même nom, est totalement vide. Derrière les promesses d’un « écoquartier », comme l’affirme la Métropole, Grandclément cherche encore son équilibre.

Le « petit parc Gisèle Halimi », prémisse du grand parc du même nom prévu, était désert un lundi après-midi de vacances scolaires. Photo : JR/Rue89Lyon

« Le quartier n’est pas vivant »

Historiquement, Grandclément, ancien faubourg, était le cœur battant de Villeurbanne. Son marché, installé depuis 1892 sur l’avenue Général-Leclerc, rassemblait plus de 200 forains et faisait vivre le quartier. Désormais déplacé à quelques mètres, boulevard Eugène-Réguillon, l’ambiance a perdu de sa vitalité.

Les étals sont moins nombreux et les client·es moins présent·es. Parmi les vendeur·euses, Abel (prénom modifié), boulanger, ne cache pas son agacement. De nombreux forains ont été écartés lors du déménagement. « Aujourd’hui, je ne viens que pour faire mon travail. Après le déménagement, on a essayé de monter un collectif pour se faire entendre. Mais rien n’a tenu. Maintenant, plus personne ne se parle vraiment », lâche-t-il, un brin d’amertume sur les lèvres.

Le marché du quartier Grandclément se trouve désormais sur le boulevard Eugène Réguillon.Photo : JR/Rue89Lyon

Le même sentiment traverse les habitants. Pour Myriam, avant, « le marché était un lieu où on pouvait se rencontrer et discuter ». Depuis le début des travaux, la retraitée ne reconnaît plus les lieux. « Il n’y a que des snacks, peu de commerces, détaille-t-elle. Et sur la place, c’est de pire en pire avec les vendeurs de cigarettes. » Ce dernier point a régulièrement été pointé du doigt, dans une pétition et au cours de concertations organisées par la Ville depuis 2016.

Valérie, une autre résidente, partage ce constat. Assise à la table d’une boulangerie, où elle a ses habitudes, cigarette à la main, elle parle sans reprendre son souffle. Celle qui a choisi d’emménager dans ce quartier « populaire et simple », il y a sept ans, abonde :

« Le soir, je ne sors jamais ici, à part dans cette boulangerie, car il n’y a rien. En ce moment, le quartier n’est pas vivant. »

Contactée, Agnès Thouvenot, adjointe au maire de Villeurbanne chargée de la transition écologique, l’urbanisme et l’habitat, a tenu à rassurer les habitant·es :

« C’est un quartier qui a été malmené. Mais la fin des travaux, la réouverture de la buvette l’été dernier et la mise en place de jets d’eau pour les enfants, répondent à un nouvel acte du quartier Grandclément. L’objectif est d’avoir un espace public où les gens ont envie de se rencontrer. »

De son côté, Valérie qui aimait autrefois déambuler dans les rues pour « s’arrêter chez le cordonnier ou à la parfumerie », désespère. « Ils auraient mieux fait de laisser comme c’était, en faisant une jolie place où on peut faire des bals populaires et des animations, ajoute-t-elle. Il y avait déjà une buvette avant, au milieu de la place. Ils l’ont détruite pour en faire une autre alors que c’était très bien. »

Du faubourg à « l’écoquartier », vers une nouvelle identité de Grandclément ?

La nouvelle buvette en question ? La Guinguette Madamann, qui a ouvert en septembre, où l’on sert crêpes, galettes, plats du jour et boissons. Sa structure, tout de bois construite, dénote dans le paysage. Son gérant, Simon Lebatteux, en est conscient.

« On n’a pas envie d’être l’avant-garde d’une gentrification, déclare celui qui avait son restaurant situé aux Halles de la Martinière. On propose des produits bios et locaux, mais on ne souhaite pas le mettre en avant. Parce que si on fait les snobs, ça ne fonctionnera jamais. »

Sur la place Jules Grandclément, la Métropole prévoit également la plantation de 99 nouveaux arbres, 1 400 m² de bandes plantées, des voies piétonnes élargies (de 3 à 5 mètres) et une piste cyclable à double sens de 2,80 mètres de large. En fil conducteur, dans tous ces projets, c’est bien la nature et la mobilité douce qui s’imposent. Quitte à perdre un peu de l’identité architecturale et l’âme d’un quartier populaire ?

Pour Karine Bennafla, il est trop tôt pour parler de gentrification. La chercheuse en géographie physique, humaine et économique, préfère parler de « diversification ». Celle qui a étudié les dynamiques commerciales du cours Tolstoï est plus nuancée sur l’avenir de Grandclément. « Il reste un quartier d’habitat populaire, constate-t-elle. Ce qui semble visé, c’est la diversification des commerces pour cibler des clientèles différentes. Mais difficile de dire quel effet aura l’arrivée du tramway. »

À Grandclément, les commerçants souffrent : « On a 40% de clientèle en moins »

Le projet de ZAC Grandclément Gare promet aussi l’ouverture de « 2000 m2 de commerces et services en pied d’immeubles », autour de la gare de Villeurbanne. De quoi réjouir les habitant·es, qui déplorent le manque de commerces dans leur quartier. « À part au supermarché où je prends trois bricoles, si je veux plus, je suis obligée de sortir du quartier », poursuit Valérie, qui travaille dans la restauration.

Les nouveaux bâtiments devraient accueillir 1200 logements et 2000 m² de commerces. Photo : JR/Rue89Lyon

Pour des commerçants de la place Jules Grandclément, le quotidien ressemble davantage à une lutte pour tenir bon. « Depuis les travaux, on a 40 % de clientèle en moins. Les clients ne peuvent pas se garer avec les travaux ! », confie un salarié de la boucherie. Le boulanger, lui, installé depuis 2008, essaye de relativiser : « Avec les travaux et la nouvelle place, j’ai bon espoir que les choses changent. »

Agnès Thouvenot en est aussi consciente.

« Nombre de commerçants ont souffert, mais ça commence à aller mieux. Le fait qu’on s’achemine vers la fin des travaux de la place leur permet de rétablir une fréquentation et un chiffre d’affaires », déclare l’élue à l’urbanisme.

« Environ 30% des logements seront sociaux »

Deux autres points du projet de ZAC Grandclément Gare : la création de 1 200 logements et l’ouverture d’un nouvel établissement scolaire, l’école Niki-de-Saint-Phalle, inaugurée à la rentrée dernière. Elle accueille vingt classes, huit de maternelle et douze élémentaires. D’où l’intérêt du tramway pour que les nouveaux résident·es puissent se déplacer.

Mais, sur place, les habitant·es ont du mal à en saisir l’utilité. « Il n’y a que ça des transports ! Le tramway passe déjà à côté de chez moi », s’indigne Myriam. En effet, le T3 relie déjà la gare Part-Dieu à Meyzieu, et plusieurs lignes de bus quadrillent le quartier : le TB11 vers Laurent Bonnevay, le C23 vers le parc de la Tête d’Or et le C26 vers La Doua.

Agnès Thouvenot, elle, assure que ces nouveaux équipements, notamment les logements, seront pensés pour préserver la mixité sociale du quartier. « Environ 30 % des nouveaux logements sont sociaux, pour que tout le monde ait sa place dans la ville », défend l’adjointe.

Les travaux, censés séduire de nouveaux résident·es, déroutent celles et ceux qui y vivent actuellement. Au risque de changer l’âme de Grandclément ?


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