Bien avant que cela ne devienne mainstream chez les jeunes cadres dynamiques des villes, je suis devenue végétarienne. C’était en 2016, lorsqu’on écarquillait encore les yeux à l’idée d’un repas sans viande, que mon seul choix au restaurant était des frites et de la salade, et que le rayon végé au supermarché se résumait un écœurant ersatz de steak au soja.
Depuis, les temps ont bien changé. Les restaurants proposent presque tous un plat végétarien et les imitations (presque) réalistes de produits animaux sont devenus accessibles beaucoup plus facilement. Le progrès ne s’est pas arrêté là : en 2021, j’ai eu le plaisir de croquer dans mon premier kebab vegan à Lyon. À l’intérieur : de la « fausse » viande en lamelles à base de seitan (une préparation faite avec du gluten de blé).
Un premier kebab végan à Lyon
Le nom du resto qui m’a permis de céder à mes envies de fast-food : Chëf. Dans les Pentes de la Croix-Rousse, c’est le premier établissement qui a proposé des kebabs vegans à Lyon, en plus de sandwichs à la viande.
À l’époque, c’était un tel évènement qu’il m’a fallu près d’une heure et demie pour récupérer le sésame. Un plaisir qui a un certain coût : 13 euros le « vebab », la boisson et les frites. Plus cher, mais pas si déraisonnable quand le menu kebab est autour de 11 euros aujourd’hui à Lyon.
Pendant près de trois ans, l’établissement a régné seul sur le marché du kebab végétal avec de la « fausse » viande en lamelle à Lyon. Les gérants ont même pu ouvrir un deuxième restaurant dans le 8ᵉ arrondissement, en 2023.
Le 7ᵉ et les Pentes, deux places fortes du végan à Lyon
D’autres s’y sont mis par la suite. D’abord Frau, sur les quais de Saône, début 2024, mais leur recette s’éloigne plus du kebab traditionnel et le prix du menu (16,90 euros) le fait sortir de la catégorie fast-food abordable. Puis, en septembre 2024, une autre enseigne, Gustavo, est venue prendre sa place sur le marché du « vebab » lyonnais.
Installé rue Pasteur dans le quartier de la Guillotière, le restaurant ne ressemble pas vraiment à un snack : si le comptoir et la cuisine ouverte sont bien là, une véritable salle de restaurant aux tons bois et verts s’ouvre dans la deuxième partie de l’établissement. Entièrement dédié à la cuisine végétale, le lieu propose aussi des tacos et des falafels, mais son plat phare reste le « vebab ».
« Gustavo existe depuis 2019 à Grenoble, retrace Romain Wysocki, associé au projet depuis 2022. À l’époque, il n’existait quasiment pas de kebab vegan en France, mais le véganisme se démocratisait énormément. Après le succès du restaurant à Grenoble, les fondateurs voulaient ouvrir un établissement à Lyon. »
Romain a alors écumé les rues de la ville pour trouver le meilleur emplacement pour un restaurant végan. « À Lyon, il y a deux quartiers propices : les Pentes de la Croix-Rousse et le 7ᵉ arrondissement », affirme-t-il.
Dans le « vebab », un pain fait par des boulangers, des légumes de producteurs locaux et du seitan mariné, produit près de Grenoble. Pour un menu, il faut ajouter une boisson artisanale de la région et des frites maison. Comptez 9 euros pour le sandwich et 15 euros pour le tout.
Kebab vegan : gentrification ou avancée écolo ?
Alors que je croque à pleines dents dans cet eldorado culinaire qui s’ouvre à nouveau à moi, une pointe de culpabilité vient pourtant me titiller. À peine dramatique, je me demande : un kebab vegan, fast-food populaire par excellence, en plein cœur du quartier de la Guillotière, n’est-ce pas là un fer de lance de la gentrification ?
« Très clairement, la Guillotière se gentrifie et on y participe, analyse, lucide, Romain. Mais c’est une gentrification lente : les commerces historiques sont toujours là et on cohabite. On veut garder ce statu quo. »
Alors que je peine à finir ma portion de frites, une petite voix dans ma tête veut me convaincre que ce kebab végan va sur la bonne voie. Se bousculent dans ma tête la cruauté dans les abattoirs, le réchauffement climatique, les pesticides ré-autorisés par la loi Duplomb, les campagnes de santé publique « trop gras, trop sucré, trop salé », la faible rémunération des agriculteurs…
Mon ventre plein finit par me raisonner : gentrification ou écologie, c’est mettre bien trop d’enjeux dans un simple sandwich. Vraiment ? Et si le kebab était politique ?



Chargement des commentaires…