Khalamité nous accueille dans son appartement spacieux et coloré en se précipitant hors de la salle de bain. Le bout de ses doigts et de ses oreilles est teinté de bleu – elle vient de refaire la couleur éclatante de ses cheveux, si caractéristique. « À Lyon, si je veux me balader anonymement, j’ai juste à mettre un bonnet et personne ne me reconnaît », rit-elle.
La jeune femme s’assied sur un canapé confortable. Le décor est soigné, car elle y filme régulièrement des vidéos… aux styles très différents en fonction de la plateforme pour lesquelles elles sont destinées. Car Khalamité est à la fois actrice porno et influenceuse.
« J’avais envie de trouver le croisement entre les deux milieux, explique-t-elle. Il y a un retour à la personnification des actrices aujourd’hui, je me suis rendue compte que ce que les gens aimaient le plus c’était de m’entendre parler, faire des blagues. »
Khalamité, entrepreneuse du porno
Lorsqu’elle débute dans l’industrie, elle a 20 ans. Et n’échappe pas à la violence de certains tournages et d’acteurs pour qui le consentement reste optionnel. Mais Khalamité ne se démonte pas. Élevée dans une « ambiance lutte ouvrière », elle trouve rapidement du soutien en se syndiquant au Strass (Syndicat du travail sexuel).
Très vite, elle réfléchit à un moyen de se démarquer dans un milieu où les plateformes gratuites comme PornHub, financées par les pubs, travaillent main dans la main avec de grosses agences de production où l’individualité des actrices a peu de place.
Ce sont les plateformes sur abonnements payants, comme OnlyFans, qui lui offrent un moyen de créer son propre contenu – et de reprendre le contrôle sur son image. « Le travail du sexe a été créé par et pour les hommes, donc on nous dit ‘ça doit ressembler à ça’, regrette-t-elle. Moi, j’ai réussi à faire mon propre style, et j’ai eu de la chance car les gens aiment bien ce côté naturel. »
Celle qui se rêvait youtubeuse, plus jeune, puise ses inspirations dans l’humour et la spontanéité, à l’image d’une vloggeuse du X. Et ça fonctionne.
Au fil de sa carrière, Khalamité atteint peu à peu l’indépendance financière, apprend à se créer une image de marque, se forme au marketing, et utilise les réseaux sociaux à la fois comme une vitrine et un moyen de diversifier son contenu. « Nous, les TDS (travailleuses du sexe, ndlr), on est des commerciales en fait, sourit-elle. On réfléchit à fidéliser la clientèle, établir des prix, créer son image de marque… Comme n’importe-quel entrepreneur. »
En 2024, c’est l’aboutissement de ses efforts pour se professionnaliser : la « top 1 alternative de France » crée sa société de production audiovisuelle. Et s’entoure d’une équipe de salarié·e·s en non-mixité choisie, sans hommes cisgenres.
La première à la rejoindre s’appelle Juliette, devenue aujourd’hui son assistante et responsable marketing. Une jeune femme en laquelle Khalamité met toute sa confiance : « On se partage un cerveau, blague-t-elle. Sur les tournages, elle sait exactement quelle vision j’ai pour la réalisation et prend parfois le relais. » La société embauche aussi une monteuse, une cadreuse, une commerciale, un graphiste ou encore deux alternantes en audiovisuel et communication.
Un besoin de solidarité entre travailleuses du sexe
Si la carrière de l’actrice de 26 ans est aujourd’hui en pleine expansion, celle-ci tient à rappeler qu’il ne s’agit pas simplement de travail et de volonté. « Ma vie est géniale, mais je suis très privilégiée, souligne-t-elle. J’ai eu la chance d’être entourée et d’avoir une super communauté. Ce métier est très dur, il peut te faire perdre ta famille, ton travail, ton logement… »
Le travail du sexe, particulièrement en ligne, en plus d’être effectivement précaire, est généralement très solitaire. Très vite, Khalamité décèle ce besoin de « faire communauté avec des gens qui font la même chose que moi ». Elle organise alors les premières rencontres de « slutworking » à Lyon, qui ont lieu tous les premiers lundis du mois, pour partager conseils et expériences entre TDS.
« Il faut que le métier soit géré par nous-mêmes, assène-t-elle. Les plateformes comme OnlyFans ont fait beaucoup de bien à l’industrie pour l’instant. Maintenant, on a le pouvoir de dire non, il n’y a plus de mecs qui se font de l’argent sur notre cul. »
Un besoin de soutien et de contact humain entre TDS, que Khalamité explore aussi avec ses abonnés. « Matin, midi et soir, je papote avec eux sur OnlyFans, ça a toujours été super important pour moi », raconte-t-elle. Elle apprécie aussi les rencontrer dans les rues de Lyon, où elle dit n’avoir jamais été confrontée à des personnes mal intentionnées.
Une grande proximité avec ses abonnés
L’actrice va encore plus loin dans l’interaction : une fois par mois, elle sélectionne l’un de ses abonnés pour un tournage chez lui… et avec lui. À l’évocation de ce concept de vidéo, ses yeux pétillent. « Dans mon expérience personnelle, ce sont les acteurs professionnels qui m’ont fait le plus de mal, souffle-t-elle. Alors que mes abonnés, je me sens toujours en sécurité avec eux ! »
C’est ce côté plus « influenceuse » qui lui permet d’entretenir un tel lien avec sa communauté. Ces tournages lui permettent aussi de fixer ses propres règles et de garder le contrôle – tout en s’assurant du consentement de son partenaire à toutes les étapes. Une ambition qu’elle applique dans l’ensemble de son travail.
« Mon but, c’est de reprendre ce qui existe déjà dans le porno mainstream, et le rendre éthique, explique-t-elle. Quand tu regardes une de mes vidéos, tu peux être sûr que tout le monde est consentant. Parfois, tu peux entendre quelqu’un dire ‘non’. Je sais qu’il y a des (trop) jeunes qui regardent, c’est inévitable, donc au moins, je leur montre à quoi ressemblent des relations saines entre êtres humains. »
Changer les codes et les pratiques d’une industrie encore trop souvent violente n’est pas une mince affaire. D’autant que la loi actuelle sur le proxénétisme, qui en offre une définition très large, favorise la précarisation du travail du sexe, selon Khalamité. « Le métier est légal, mais l’État nous met des bâtons dans les roues, déplore-t-elle. Comme ce travail sera fait de toute façon, autant qu’il soit bien encadré et plus sécurisé ! »
En attendant, la jeune femme aux cheveux bleus doit s’adapter à une société qui rejette son activité professionnelle. Pour ne pas se faire censurer par les réseaux sociaux, Khalamité a d’ailleurs trouvé une astuce en adaptant son langage : à la place de parler de sexe, elle « joue au scrabble ». Un trait d’esprit créatif pour la reine des jeux de mots.
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