Il avait déjà gagné son combat une première fois, puis une deuxième… Mais cela n’a pas convaincu la préfecture. Depuis la mi-avril, une troisième OQTF (Obligation de quitter le territoire français) vise Kélétigui Sylla, jeune Guinéen installé à Lyon depuis plus d’une décennie.
Arrivé à 14 ans sur les quais de la Gare Part Dieu, celui que ses soutiens surnomment « Kélé » pensait pourtant avoir franchi une étape décisive pour un avenir plus stable. Peu avant Noël, le tribunal administratif avait en effet annulé sa deuxième OQTF. Dans la foulée, la Commission de titre de séjour avait émis un avis favorable à la délivrance d’une carte, reconnaissant une intégration « modèle ». Un « avis » qui n’est qu’un « avis », nous a rappelé la préfecture. Elle l’a en effet confirmé.
OQTF à Lyon : la préfecture reste sur ses positions
Le courrier, que Rue89Lyon s’est procuré, est tombé le 16 avril. Il s’agit d’une décision de refus du titre de séjour, assortie d’une obligation de quitter le territoire, d’une interdiction de retour de deux ans, et d’un pointage hebdomadaire à la Police aux frontières (Paf). Pour Armand Creus, membre d’un collectif de soutien à Kélé, la situation est inexplicable :
« Il y a un acharnement incompréhensible, une pression inadmissible sur lui », souffle-t-il.
Son avocat et lui vont faire recours « dans les jours à venir ». Pour ses soutiens, la crainte la plus urgente est celle d’une assignation à résidence ou d’un passage en Centre de rétention administrative (Cra), en attendant le jugement. Un lieu de rétention prenant, bien souvent, d’avantage l’allure d’une prison, comme nous l’avons documenté.
Contactée par Rue89Lyon, la préfecture réitère les arguments justifiant cette OQTF : la présentation de « faux documents » à son arrivée en France – une chose que démentent ses soutiens – ou encore le non-respect de ses OQTF. « Il a de plus été jugé et condamné pour escroquerie », précise-t-elle. Une condamnation pour laquelle le jeune homme a déjà purgé une peine de deux mois à Corbas.
« Une décennie d’intégration » passée à la trappe par une OQTF à Lyon
De là justifier une énième procédure administrative ? Il faut dire que, au regard d’autres cas similaires, la situation de Kélé peut étonner. Mamadou Sow, par exemple, avait été dans la même situation. Visé par une OQTF, ce Guinéen avait, comme Kélé, gagné au tribunal administratif. Mais la préfecture n’avait pas fait appel de la décision, ni donné une nouvelle OQTF.
Qu’est-ce qui peut expliquer une telle différence ? En observant les deux cas, on constate que Mamadou Sow est père de famille en France, ce que n’est pas le jeune homme. De même, contrairement à d’autres profils, Kélé n’a pas de problèmes de santé qui justifient parfois le fait de rester, ou non, sur le territoire pour un étranger. Bref, si l’on s’en réfère aux grilles de l’État, on pourrait se dire qu’il ne remplit pas les cases nécessaires pour rester sur le territoire.
De quoi rendre fou ses soutiens : « Kélé apporte tous les éléments d’intégration. Cela fait onze ans qu’il se bat, et fait tous les efforts sur le plan scolaire, et professionnel », lâche Armand Creus. Avec un bac professionnel, un CAP, et un BTS commerce en poche, le jeune homme a déjà eu une promesse d’embauche, à condition de sa régularisation.
En plus de ses démarches scolaires et professionnelles, Kélé est artiste. Il a écrit un livret de poésie et a participé à des festivals sur le sujet, il est entré à la chorale « Les Chant’Sans Pap’Yé » et s’est initié au théâtre au sein de la « Compagnie Waninga ». « Tout ce qu’il fait, c’est exceptionnel », tranche Armand Creus. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 6400 signatures avaient été rassemblées dans une pétition de soutien, accompagnée d’une lettre pour demander sa régularisation. Cette dernière avait été signée par 44 personnalités issues du monde de la culture.
Une nouvelle OQTF symptomatique d’un virage répressif à Lyon ?
Pour ses soutiens, ce troisième refus de titre de séjour est « symptomatique de la politique de chasse aux étrangers, dans laquelle Bruno Retailleau s’inscrit dans une continuité encore plus dure que Gérald Darmanin ». La qualification de Kélé de « trouble à l’ordre public » illustre selon lui un système où « un pet de travers suffit pour être désigné comme une menace ».
Un terme de « trouble à l’ordre public » qui n’est pas inconnu à Rue89Lyon. En avril 2024, nous révélions que, bien souvent, la justice marchait dans les pas de la préfecture sur les droits aux étrangers. À l’époque, nous parlions d’une aggravation de la situation depuis la loi immigration, voulue par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur.
Selon ses proches, Kélé reste dans un état d’incompréhension. Comme exigé, il est allé se présenter à la Police aux frontières (Paf). « Cela fait onze ans que ça dure, il est fatigué. Il ne demande qu’à pouvoir travailler, gagner sa vie, il se sent déjà partie prenante de notre pays », conclue Armand Creus. Visiblement, ce repos n’est pas pour tout de suite. Selon toute vraisemblance, l’affaire devrait de nouveau rebondir au tribunal administratif. Une nouvelle fois.
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