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Il y a 30 ans, l’inauguration de la Grande mosquée de Lyon après des années de conflits

Le 30 septembre 1994, la Grande mosquée de Lyon est inaugurée sur le boulevard Pinel (Lyon 8e). Deuxième grande mosquée de France après celle de Paris en 1926, sa construction ne s’est pas faite sans conflits, et de multiples coups d’arrêt.

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mosquée Lyon
La Grande mosquée de Lyon, sur le boulevard Pinel (Lyon 8e).

Des murs blancs immaculés, quasiment neufs. « Vous n’allez pas me croire, mais cette mosquée a 30 ans ! », lâche un agent de sécurité aux personnes venues visiter la Grande mosquée de Lyon, pendant les Journées du patrimoine. Une occasion rare de franchir les portes de l’immense édifice, situé sur le boulevard Pinel au fond du 8ème arrondissement de Lyon.

Inaugurée le 30 septembre 1994, elle est la deuxième grande mosquée construite en France, après celle de Paris en 1926. « Son histoire est tout à fait étonnante », rit le père Christian Delorme qui a bien suivi le dossier à l’époque. 30 ans donc, mais précédés de 20 années d’oppositions et d’atermoiements. Une longue bataille menée, presque à lui tout seul, par l’actuel recteur de la Grande mosquée, Kamel Kabtane.

« Ça n’a pas été facile », commence d’emblée l’homme aujourd’hui âgé de 81 ans. Il raconte cette histoire assis sur un fauteuil de son bureau, au sein de l’Institut Français de civilisation musulmane (IFCM) qui jouxte la mosquée.

Un parcours long et tortueux avant la construction de la Grande mosquée de Lyon

En 1980, Kamel Kabtane, alors fonctionnaire de la Communauté urbaine de Lyon (ancien statut de la Métropole), fonde avec deux autres personnes l’association à l’origine du projet, l’ACLIF (Association culturelle lyonnaise islamo-française). Trois ans plus tard, la Ville octroie un terrain pour un franc symbolique via un bail emphytéotique de 99 ans. Un premier permis de construire est déposé en février 1984.

Il est retoqué par le tribunal administratif après un recours d’une « association de protection des riverains ». Cette dernière voit d’un mauvais oeil l’arrivée de la mosquée dans le quartier : le minaret est « trop haut », le parking pas assez grand, les espaces verts menacés… Derrière ces oppositions administratives, des habitants du quartier qui refusent « de voir beaucoup de musulmans venir là », se souvient Kamel Kabtane. « C’était du racisme », finit-il par souffler après une pause.

Entre temps la décision du tribunal est annulée, et un nouveau recours est déposé en 1986, cette fois-ci sans succès. Les oppositions ne s’arrêtent pas pour autant. « En 1986, l’islam acquiert dans la société française une nouvelle visibilité, en relation avec l’actualité internationale, les attentats sur le sol métropolitain, les otages français au Liban, la montée du Front national », écrit le sociologue Alain Battegay dans un article universitaire publié en 1995.

Un autre projet, sur un autre terrain, est envisagé par la municipalité, mais il rencontre là aussi des oppositions systématiques. L’arrivée de Michel Noir à la tête de la municipalité en mars 1989 remet le sujet sur la table. « À partir de là, on se réorganise mais les opposants sont de plus en plus rejoints par Jean-Marie Le Pen », raconte Kamel Kabtane.

Le 25 novembre 1989, 3 000 personnes manifestent à Lyon contre le projet de mosquée derrière le leader du parti d’extrême-droite, qui vient d’obtenir 11,7% des suffrages aux élections européennes de mai 1989. Un score très élevé, à l’époque.

En plus de ces tensions, « il y a eu aussi beaucoup de difficultés à l’intérieur de la communauté musulmane », raconte Kamel Kabtane. Des dissensions éclatent au sein même de l’ACLIF, des projets concurrents sont portés. « Chacun voulait être le leader… ça a été des moments très difficiles », souffle le recteur.

Derrière le projet de la mosquée de Lyon, le soutien de toutes les communautés religieuses

L’arrivée de la mosquée fait donc couler beaucoup d’encre, et ce pendant des années. En témoignent les nombreuses coupures de presse, soigneusement conservées dans de grands classeurs, dans une salle de l’IFCM.

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Dans la salle de réunion de l’IFCM, des classeurs entiers de coupures de presse sur la construction de la Grande mosquée de Lyon.Photo : MP/Rue89Lyon

La pose de la première pierre, en juin 1992, remet de l’huile sur le feu. Les critiques portent alors aussi sur son financement. Début juin, l’Arabie Saoudite, annonce faire don de 20 millions de francs à l’ACLIF pour soutenir le projet. Le financement par le royaume wahhabite (une doctrine prônant une interprétation rigoriste et traditionnelle de l’islam) éveille les « doutes sur la modération de l’islam qui y sera hébergé », selon un article conservé par l’IFCM.

Malgré les nombreux conflits et oppositions, Christian Delorme relativise. Pour lui Kamel Kabtane est parvenu à rassembler de larges soutiens.

« Il a réussi à faire adhérer à son projet la municipalité de Francisque Collomb (maire de Lyon de 1976 à 1989, ndlr), de centre-droit mais avec un entourage aussi très à droite et a priori pas favorable », salue le curé des Minguettes.

Kamel Kabtane avait donc l’appui des institutions politiques, mais aussi celui de toutes les communautés religieuses. Catholiques, protestantes et juives. « Il a eu l’appui du Grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, pendant plus de 40 ans. Ce n’est pas rien ! », rit Christian Delorme.

Construction de la mosquée de Lyon : « Une mesure de justice et d’égalité »

L’Église catholique soutient le projet depuis longtemps. Le Cardinal Renard plaide dès les années 1970 auprès de Louis Pradel (maire de 1957 à 1976) pour la création d’une mosquée. À l’époque, le diocèse met à disposition des salles à la Croix-Rousse, à Oullins, à Bron… pour que les musulmans puissent effectuer leurs prières.

Certains continuent de prier dans des arrières boutiques, des lieux bien souvent inappropriés. Construire une grande mosquée à Lyon était donc « une mesure de justice et d’égalité envers les musulmans qui sont français et à qui il fallait apporter la possibilité de pratiquer leur culte dans des conditions dignes », argue Kamel Kabtane.

Le 30 septembre 1994, la mosquée est inaugurée. Plus de 2 500 fidèles sont venus assister au premier prêche. Michel Noir fait le déplacement, mais aussi Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur et en charge des cultes, incarnation de la droite dure, de l’ordre et de la sécurité.

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À l’entrée de la Grande mosquée de Lyon, une plaque commémorative de l’inauguration du 30 septembre 1994.Photo : MP/Rue89Lyon

Une cérémonie qui détonne par rapport au contexte actuel. Les actes antimusulmans sont en hausse en France tandis que le Rassemblement national, dont certains partisans sont islamophobes et anti-immigration, rassemble toujours plus d’électeurs.

À Lyon, trois mosquées ont été taguées de propos islamophobes en moins d’un an. Il y a quelques jours, « stop immigration, islam hors d’europe » a été inscrit sur les murs de l’université Lyon III.

Kamel Kabtane s’attriste en en parlant :

« C’est la réalité d’aujourd’hui… Alors que j’ai connu une France beaucoup plus ouverte, beaucoup plus fraternelle », soupire le recteur de la Grande mosquée de Lyon.

D’autant que la présence musulmane en France fait partie intégrante de l’histoire du pays. L’exposition « 100 ans de présence musulmane en France », présentée à l’IFCM, rappelle notamment le rôle des soldats maghrébins dans les guerres mondiales, la Résistance et la Libération.

Des histoires souvent peu abordées, que l’Institut français de civilisation musulmane cherche aujourd’hui à mieux faire connaître.


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