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« Désolé, Eric Zemmour, mais on compte de nombreux ‘Mohamed’ dans la Résistance »

Habitant de la région lyonnaise, Kamel Mouellef parcourt la France à la recherche des combattants « indigènes » oubliés. Il a publié deux BD à partir de cette quête. Dans une tribune que nous publions ci-dessous, il réagit aux propos d’Eric Zemmour qui souhaite interdire les « Mohamed » et autres prénoms étrangers.

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Kamel Mouellef et le drapeau du 1er régiment de tirailleurs le 8 mai 2011, place Sainte-Blandine (Lyon 2e). © DR

M. Eric Zemmour veut interdire le prénom « Mohamed » et tous les prénoms étrangers. J’ai du mal à comprendre. Pourquoi s’est-il embarqué là-dedans ? Veut-il nous emmener dans une guerre civile ?

Comme beaucoup d’autres avant lui, le candidat putatif à l’élection présidentiel oublie ce que tous les « Mohamed » ont apporté à la France, particulièrement en ce battant pour ce pays pour lequel ils n’avaient bien souvent pas la nationalité.

Cette histoire ne date pas d’hier. Ça a commencé avec la Guerre de Crimée, ça s’est poursuivi avec la guerre contre les Prussiens en 1870 et ça a culminé lors des deux guerres mondiales et la guerre d’Indochine.

Mon arrière-grand-père, Alouache, tirailleur algérien, a combattu à Verdun où il a été gazé. Il est finalement mort au front en juillet 1918.

L’Algérie, c’était alors 3 départements Français. Tous les étrangers venant s’installer en Algérie et tous les Juifs algériens bénéficiaient du décret Cremieux qui leur donnait la nationalité Française. Mais pas l’immense majorité des Algériens qui sont restés sous le régime de l’indigénat. Mon arrière-grand-père n’a pas pu bénéficier de ce décret. Il a toutefois été appelé sous les Drapeaux !

Moi, je suis né à Lyon 2ème le 25 mars 1956. Je suis fier de cette histoire-là oubliée voire niée. M. Zemmour, je vais ici vous citer quelques noms pour votre bonne information.

« Mohamed Oussas, 31 ans, Résistant FFI mort pour la France le 11 août 1944 »

Prenons la Résistance, j’ai collecté lors de mes différentes recherches des tas de Maghrébins morts pour la France, notamment dans la région de Lyon.

Je veux m’arrêter sur le cas de Mohamed Oussas. A 31 ans, ce Résistant FFI (Forces françaises de l’intérieur) est mort le 11 août 1944, tué lors d’un accrochage avec des soldats Allemands. Ça s’est passé en Isère, sur la route du col d’Ornon, entre la Mure et Bourg-d’Oisans.

Au Périer, une plaque a été posée pour honorer sa mémoire. Mais dans les années 70, un habitant du coin, qui ne supportait pas son nom, l’a arraché, sans même se cacher.
« Les bougnoules, on les tuaient là-bas [en parlant de la Guerre d’Algérie]. Là, on les honore », aurait-il dit.
Des Zemmour, il y en avait avant avant vous, M. Zemmour.

C’est la mémoire de tous ces soldats, ces Résistants morts pour la France qu’il faut honorer et rappeler que les « Mohamed » ne sont pas un problème pour la France. Au contraire, ils l’ont construite et défendue.

La Stèle de Mohamed Oussas, Résistant FFI mort le 11 août 1944 dans le cimetière militaire de la Doua, à Villeurbanne.Photo : DR

« Le premier imam de Lyon a sauvé des enfants juifs »

A Lyon, il faut rendre particulièrement hommage à l’imam Bel Hadj El Maafi, le premier imam de la ville.
Il a fourni des faux certificats de religion musulmane à des enfants juifs de Saint-Fons pour leur sauver la vie.

Récemment, le grand rabbin de Lyon Richard Wertenschlag lui a justement rendu hommage. Je me joins à sa voix.

Dans cette œuvre, l’imam Bel Hadj El Maafi travaillait notamment avec un certain Djaafar Khemdoudi, qui était infiltré par la Résistance au poste de secrétaire interprète au service allemande, à Lyon. Celui-ci a empêché la déportation d’un grand nombre de personnes en leur confectionnant des faux papiers.

Dénoncé puis arrêté le 23 juin 1944, il fut interné à Montluc puis au camp de Neuengamme. Il a survécu et a été rapatrié le 21 mai 1945. Il a reçu la médaille de la Résistance, la médaille Militaire ainsi que la Légion d’honneur (au grade d’officier).

l’imam Bel Hadj El Maafi (troisième en partant de la droite en djellaba blanche) défile dans les rues de Lyon le 3 septembre 1944 avec Frère Benoît, autre figure de la Résistance lyonnaise. Photo d’archive de Philippe Pernot

Qu’on mette à l’honneur tous ceux qui ont combattu pour la France.

Il faut également parler du 21 juin 1940. Ce jour-là, deux Algériens nommés Mohamed ben Salah et Mohamed ben Ali ont été assassinés dans les caves de la préfecture du Rhône. C’était les débuts de l’Occupation. Ces deux Algériens travaillaient à l’usine automobile Rochet-Schneider, rue Feuillat (3ème arrondissement). Ils auraient préféré saboter les machines plutôt qu’elles ne tombent dans les mains des Allemands. Une plaque a été posée à l’intérieur de la préfecture. Mais il n’est pas précisé qu’il s’agit d’Algériens.

« Des ‘Mohamed’ ont sauvé des Juifs, M. Zemmour, c’est cette histoire qu’il faut enseigner ! »

Si on avait des noms de rue Mamadou, Nguyen ou Mohamed, ça se passerait autrement. On pourrait faire comme pour ce square de Paris qui va porter le nom de l’imam Abdelkader Mesli qui a sauvé 1700 Juifs. Déporté, il a survécu aux camps de Dachau, Mathausen et Ebensee. En sortant, il pesait 30 kg. D’ailleurs, son fils s’appelle Mohamed.

Des musulmans ont sauvé des Juifs, M. Zemmour, c’est cette histoire qu’il faut enseigner !

Alors, M. Zemmour, plutôt que de taper, à côté, sur les « Mohamed », on aimerait connaître vos propositions en matière de politique économique, sociale ou environnementale. C’est cela qu’on attend d’un candidat à la présidence de la République.

indigènes Mohamed Kamel Mouellef
Kamel Mouellef et le drapeau du 1er régiment de tirailleurs le 8 mai 2011, place Sainte-Blandine (Lyon 2ème).Photo : DR


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