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40 ans après la Marche : aux Minguettes, les barres s’effondrent, pas la misère

En octobre 1983, une poignée de jeunes des Minguettes lançaient la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Quatre décennies plus tard, Djamel Atallah, un marcheur de l’époque, estime que les problèmes du quartier n’ont pas beaucoup changé.

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Minguettes Monmousseau

Le parc derrière la dernière barre « Monmousseau » des Minguettes, à Vénissieux, est désert ce mercredi. En cette après-midi de fin septembre, un doux soleil caresse encore la statue de Marianne, symbole de la République, au cœur de l’espace vert. « Sa main montre le centre-ville, mais elle montre son derrière aux quartiers populaires », souffle Djamel Atallah, enfant du quartier, revenu sur ses terres il y a un an.

Mémoire de Vénissieux, le sexagénaire présente les lieux où étaient situés les différents immeubles, au début des années 80. « À cette époque, il y avait neuf bâtiments  dans le quartier Monmousseau des Minguettes, souligne-t-il. Aujourd’hui, il n’y en a plus que trois. » Du doigt, il pointe l’emplacement de « la tour 14 ». Puis, un peu plus loin, celui de la tour 10. C’est là, le 20 juin 1983, que Toumi Djaïdja, jeune homme de 19 ans alors, s’est fait tirer dessus par un policier. 

Appuyé par le père Christian Delorme, « le curé des Minguettes », le jeune homme décide sur son lit d’hôpital d’organiser une manifestation pacifique. Avec plusieurs jeunes de la cité, ils lancent la Marche pour l’égalité et contre le racisme, souvent appelée sommairement « la Marche des Beurs ». 

Minguettes marche
Pour comprendre la genèse de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, il faut revenir aux Minguettes, près de la barre de Monmousseau.Photo : PL/Rue89Lyon.

Au moment de la Marche, un fort racisme et des violences aux Minguettes

Djamel Atallah connaît bien cette histoire. Âgé de 19 ans à l’époque, comme Toumi, il fut l’un des organisateurs de la marche. Il a un souvenir précis du quartier, à l’époque où « les habitants étaient de la force de travail. » Avant lui, son père avait été ouvrier dans les usines Berliet, avant leur rachat.

Lui a suivi le parcours classique d’un jeune du coin. Arrivé d’Algérie à l’âge de six ans, il fréquente l’école Romain-Roland, puis le collège Paul-Eluard, avant une formation professionnelle pour devenir plombier. Puis, en pleine crise liée à la désindustrialisation, il rejoint « la plus grande armée de France » : celle des chômeurs. 

Quarante ans avant la mort de Nahel – ce jeune homme décédé à la suite d’un contrôle policier à Nanterre – il se souvient du racisme très présent à l’époque. Dans la police d’abord, où il retrouvait des anciens appelés de la guerre d’Algérie, mais aussi avec les « tontons flingueurs », ces personnes qui se faisaient justice elles-mêmes en tirant sur des personnes d’origine immigrées.

À l’époque, le parquet de Lyon était connu pour sa sévérité vis-à-vis des « racisés », note Djamel Atallah. Moins vis-à-vis des crimes racistes. Dans le pays, le FN connaissait son premier succès : le partie de Jean-Marie Le Pen venait de faire 16% lors des élections municipales de Dreux. 

C’est dans ce contexte que Djamel Atallah participe à la Marche. Initialement, il ne fait pas partie de ceux qui appellent à une action pacifique. « Je voulais plus rendre les coups : œil pour œil, dent pour dent », se souvient-il. Le père Christian Delorme le convainc de marcher. Un choix qui changera sa vie. Il lui doit la découverte du monde associatif et sa formation politique à Paris.

Grand mouvement, la Marche aura aussi son effet sur la vie des associative des Minguettes. Bien avant SOS Racisme, Vénissieux connaît SOS Avenir Minguettes. La Marche est porteuse d’espoir. Celui-ci va vite retomber.

Djamel Atallah
Djamel Atallah, un marcheur de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, aux Minguettes.Photo : PL/Rue89Lyon.

40 ans après la Marche : les Minguettes, toujours un terrain de « misère »

40 ans après, Djamel Attalah n’a rien perdu de sa verve. À 60 ans, cet homme bien charpenté parle fort et avec conviction. En terrasse d’un kebab à côté de la dernière barre Monmousseau, quelques anciens viennent le saluer. « Tiens, toi aussi t’as vieilli », se marre-t-il.

Bien qu’ayant grandit ici, il a vécu une bonne partie de sa vie à Nanterre, la ville où est décédé le jeune Nahel en juin dernier. Dans son discours, il fait fréquemment le lien entre les deux villes. Même problèmes avec la police, même pauvreté, mêmes trafics…

« Il ne faut pas s’attendre à grand chose quand on est sur un terrain de misère », lâche-t-il en regardant une fresque à côté de lui. 

Sur celle-ci, on trouve Rosa Parks, Ghandi, Martin Luther King et Toumi Djaïdja, l’un des initiateurs de la marche. « Elle est quand même bien discrète », peste-t-il devant quelques chibanis qui le regardent avec curiosité. 

Les portraits défraichis semblent mis de côté, à l’image de la question des « banlieues ». La Marche avait permis d’en parler. Elles ont eu tendance à retomber dans l’oubli. 

Minguettes Monmousseau
La Marianne à côté de la barre Monmousseau, tournant le dos aux Minguettes.Photo : PL/Rue89Lyon.

Une ghettoïsation et un oubli de l’humain

Alors, certes, des choses ont changé. Depuis une grosse dizaine d’années, le tramway T4 monte jusqu’au quartier des Minguettes.

« Son arrivée a transformé le plateau, marque le père Christian Delorme, co-organisateur de la marche. Cela a permis d’intégrer une trainée verte. Il faut noter du mieux avec une réhabilitation du bâti. »

Des cages à lapin sont en effet tombées. En 2021, des applaudissements ont accompagné l’effondrement de la barre Monmousseau, à côté de la fresque. « Dans ce bâtiment, des appartements sont déjà vides. Il ne devrait pas tarder à suivre le même sort », commente Djamel Atallah en montrant un autre immeuble. Mais derrière l’impressionnant panache de fumée de ces effondrements, les problématiques persistent. 

Le travail n’est pas revenu. Les trafics de drogues se sont développés et les relations tendues avec les forces de l’ordre ont continué, voire se sont aggravées. Point positif : les « tontons flingueurs » semblent avoir disparu. Le parquet de Lyon a également changé. Mais les problèmes avec la police, et notamment la brigade anti-criminalité, demeurent. 

« On sait que ce n’est pas forcément facile pour la police d’intervenir, note le Vénissian. N’empêche, je me dis qu’il y a une réforme de la police à faire en profondeur. On dirait que l’Etat ne la contrôle plus, voire qu’il en a peur. » 

Djamel Atallah a aussi vu la population changer. Les « classes moyennes » sont parties, laissant les plus pauvres. Beaucoup d’immigrés italiens et espagnols ont plié bagage, alors que des immigrés d’origine turque, roumaine ou moldave sont arrivés en plus des Maghrébins. Sociologiquement, il a vu aussi l’arrivée de familles monoparentales. Des femmes seules au foyer, avec leurs enfants.

« Les Minguettes d’aujourd’hui sont plus égayées [en termes de bâti, ndlr] mais moins mixées qu’il y a quarante ans », abonde le père Delorme.

Bref, la ghettoïsation s’est poursuivie dans des zones où les médecins, notamment, manquent cruellement. « On a jamais mis l’humain au centre de la politique de la ville », critique Djamel Atallah. 

« J’ai l’impression qu’ils préparent une guerre inter-ethnique »

En quatre décennies, le grand-père militant n’a rien perdu de sa colère. En 1983, il avait eu du mal à être convaincu par l’action pacifique. Aujourd’hui, il comprend les « révoltes » de cet été après la mort de Nahel. Plus jeune, il aurait sûrement été de leur côté. 

Son regard se fait sévère. Il s’inquiète d’un débat politique où les « anathèmes » et les « amalgames » sont légions. Signe d’un temps nouveau, en bas d’un immeuble du quartier, le très droitier média C-News passe en boucle dans un kebab. 

« C’est grave, personne ne mesure ce qui est en train de se passer. Ces gens participent à une fracturation de la société, lâche-t-il en évoquant notamment ce média. J’ai l’impression qu’ils préparent une guerre inter-ethnique. » 

Des dizaines d’années plus tard, le souvenir de la Marche paraît bien loin dans le quartier des Minguettes. Mais pas dans le cœur de Djamel Atallah.


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