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A Lyon 2, une enquête sur la perception étudiante des violences sexistes et sexuelles

Une enquête a été menée en mai dernier auprès des étudiants de l’Université Lyon 2 pour évaluer leur perception des violences sexistes et sexuelles. Les résultats ont été dévoilés ce mercredi 24 novembre, veille de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

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Affiches de la campagne contre les violences sexistes et sexuelles de l'Université Lyon 2

« Soyons à l’écoute », « Ne fermons pas les yeux » ou encore « Libérons la parole » peut-on lire sur les posters affichés dans les couloirs de l’Université Lumière Lyon 2. Ces affiches colorées barrées d’un gros « Non » sont signées de la « cellule discrimination, harcèlement, violence » qui a été mise en place il y a quelques mois, en mars 2021.

Pour cette année universitaire 2021-2022, l’Université Lumière Lyon 2 a décidé de mettre en place une large campagne d’information et de sensibilisation à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à travers plusieurs activités, conférences et expositions tout au long de l’année.

Le point d’orgue en est la restitution d’une enquête sur la perception des situations de violences sexistes et sexuelles réalisée sur demande de la fac par l’observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur (OVSSES), qui avait déjà publié en octobre 2020 une enquête similaire à l’échelle nationale. Les conclusions de l’enquête réalisée auprès des étudiant·es de Lyon 2 ont été dévoilées ce mercredi 24 novembre, à la veille de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Affiches de la campagne contre les violences sexistes et sexuelles de l'Université Lyon 2
Affiches de la campagne contre les violences sexistes et sexuelles de l’Université Lyon 2Photo : OM/Rue89Lyon

« Ne pas laisser passer » les violences sexistes et sexuelles à l’Université Lyon 2

Venues assister aux conclusions de ladite enquête, une trentaine d’étudiantes de l’université et quelques personnels. Pour la présenter, deux étudiantes de l’OVSSES autrices de l’enquête accompagnées de Christine Morin-Messabel, professeure de psychologie sociale à Lyon 2 et vice-présidente Égalité et lutte contre les discriminations, et bien sûr de la présidente de l’université, Nathalie Dompnier, qui introduit ainsi le sujet :

« Ne pas laisser passer. C’est notre devoir au sein de la société, de contribuer à ce mouvement de libération de la parole, de prise au sérieux de ces sujets de violences sexistes et sexuelles. »

C’est dans cette optique que la fac s’est dotée en mars dernier de cette cellule anti-discrimination, harcèlement et violences sexistes et sexuelles à destination des étudiant·es.

Quelques semaines plus tard, celle-ci était saisie par plusieurs étudiantes anciennes et actuelles de l’université, qui accusent toutes un enseignant de cinéma de harcèlement voire d’agression sexuelle : Jacques Gerstenkron. Dans la foulée, elles avaient décidé de témoigner de leurs années d’étudiantes sous l’emprise de ce professeur auprès de Rue89Lyon.

Du 7 au 26 mai, les étudiant·es de Lyon 2 étaient donc invité·es à répondre à un questionnaire sur leur réaction face à différentes situations de violences sexistes et sexuelles et sur leur connaissance des dispositifs universitaires existants dans ces cas-là – dont la cellule.

912 étudiant·es ont répondu, en grande majorité des femmes (78%).

Dans les situations qui leur étaient soumises, on retrouve notamment le cas où un directeur de recherche insiste pour discuter de manière informelle des travaux d’un·e étudiant·e et lui fait des avances. Des circonstances qui font écho à ce qu’ont vécu il y a 15 ans Louise Hémon et Marianne Palesse, deux ex-étudiante de cinéma de Lyon 2 qui ont témoigné auprès de Rue89Lyon.

« 40% des étudiant·es de l’Université Lyon 2 ne connaissent pas la différence entre agression et harcèlement sexuel »

Les violences présentées ont été identifiées par la quasi-totalité des étudiant·es. En revanche, la possibilité de porter plainte n’est pas évidente pour un tiers des étudiant·es. De même, les motifs de plainte sont moins bien identifiées : les trois-quarts des étudiant·es se sont trompé·es pour au moins une des situations.

« 40% des étudiant·es ne connaissent pas la différence entre agression et harcèlement sexuel », commente Margot, de l’OVSSES.

D’une manière générale, les étudiant·es qui ont répondu au questionnaire identifient la responsabilité de l’agresseur. Mais cette affirmation est moins vraie dans le cas où ce dernier aurait consommé de l’alcool ou des stupéfiants.

D’après les résultats de l’enquête, 1 étudiant·e sur 20 pense qu’une personne sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants est moins responsable de ses actes. Moins de la moitié des étudiant·es savent qu’il s’agit au contraire d’une circonstance aggravante en cas de procédure pénale.

« Il y a un travail à faire sur la confiance en l’institution »

Concernant la possibilité de déclencher une procédure au sein de l’université, les trois-quarts des étudiant·es mentionnent cette possibilité pour les situations de violences commises par des enseignant·es sur des étudiant·es. Un peu plus de la moitié des répondant·es l’identifient aussi pour les situations impliquant uniquement des étudiant·es. 39% des répondant·es disent se tourner vers la cellule de Lyon 2 tandis que 14% déclarent ne pas savoir à qui s’adresser.

« Si les femmes sont les plus touchées, elles sont moins enclines à se tourner vers un dispositif universitaire », observe Margot.

« Il y a un travail à faire sur la confiance en l’institution, reconnaît Nathalie Dompnier. C’est une chose de connaître les dispositifs, c’en est une autre de s’adresser à eux. »

Emilie Tardieu, médecin et directrice du service de santé universitaire (SSU) de Lyon 2, en profite pour rappeler le fonctionnement de la cellule.

« La cellule reçoit tous les témoignages, que ça se passe à l’université ou non, développe-t-elle. Un rendez-vous sera proposé avec un professionnel de santé, puis avec une assistante sociale si besoin est. Un accompagnement médico-psychologique est systématiquement proposé. Il n’y a aucune obligation d’entamer des démarches ensuite. Si l’étudiant le souhaite, il peut entamer des démarches auprès de l’université, si c’est dans son champ d’action. Sinon il sera orienté vers des associations extérieures. »

Depuis la mise en place de cette cellule il y a environ neuf mois, Emilie Tardieu a pu remarquer un réel besoin d’écoute des étudiant.es.

« Nous avons beaucoup de situations extérieures à l’université, parfois très anciennes, relate-t-elle. Les étudiants portaient des choses parfois très lourdes sans avoir un lieu d’écoute. »

L'Université Lyon 2, campus de Bron.
L’Université Lyon 2, campus de Bron.Photo : OM/Rue89Lyon

« On avance toujours avec les personnes concernées, précise Nathalie Dompnier. L’université ne fera pas de démarches au pénal, sauf en cas de signalement au Procureur de la République quand les faits le justifient. On est très fragiles et parfois démunis. Par exemple, pour engager une procédure disciplinaire, ma position c’est d’en engager une si on est sûrs qu’elle aboutisse. »

Au printemps dernier, contactée par Rue89Lyon dans le cadre de notre enquête sur Jacques Gertenkorn, Nathalie Dompnier évoquait déjà cette nécessité selon elle de constituer un dossier suffisamment solide pour qu’il ne puisse être contesté. Début septembre, au terme d’une enquête de plusieurs mois du service juridique de la fac, la présidente de l’université avait décidé de suspendre l’enseignant de cinéma et de lancer une procédure disciplinaire à son encontre. Celle-ci, toujours en cours, touche à sa fin.

Des pistes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’Université Lyon 2

L’OVSSES conclut sa présentation par quelques préconisations pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’université. Parmi celles-là, la distribution d’un guide des dispositifs existant aux nouveaux et nouvelles étudiant.es, la création d’un MOOC [module de cours en ligne, ndlr] de formation aux violences sexistes et sexuelles obligatoire pour l’ensemble des étudiant.es et des personnel·les de la fac ou encore la possibilité d’imposer aux associations organisatrices des soirées et week-end d’intégration la mise en place de campagnes de sensibilisation.

Et les étudiantes présentes, que pensent-elles de cette cellule ? Et de la campagne de sensibilisation mise en place par leur fac ?

Une jeune femme en pull-over rouge, au fond de la salle, prend la parole d’une voix assurée :

« J’ai l’impression que cette campagne contre les violences sexistes et sexuelles est faite pour déculpabiliser les victimes, ce qui est très bien, mais y aura-t-il des actions pour une prise de conscience de la part de potentiels agresseurs ? Plutôt que de se tourner toujours vers les victimes… »

« Une difficulté, c’est qu’on touche les personnes qui sont déjà sensibilisées, reconnaît la présidente de l’université. L’enjeu, c’est de donner à voir que ces comportements ne sont pas admissibles. Ce qui nous porte préjudice, c’est cette normalisation. »

« Il ne faut pas penser qu’aux première année, réagit un des rares étudiants présents. Beaucoup d’étudiants arrivent en première année de master et ils ne savent pas du tout ce qui existe. »

Une autre étudiante, en chemise mauve, propose une piste :

« Au Canada, ils organisent des réunions d’entrée pour parler de consentement à des promos entières. C’est une bonne petite piqûre de rappel à la rentrée. »

Plusieurs des étudiantes présentes ont justement pour objectif de former un groupe de travail sur la question du consentement. Ce mercredi 24 novembre, toutes semblent déterminées à ce que leur lieu d’études deviennent un espace un peu plus safe qu’il y a 15 ans, à l’époque où Julie Siboni, Louise Hémon et Marianne Palesse tentaient d’échapper tant bien que mal à leur enseignant de cinéma.


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