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Flore, DJ à Lyon : « J’ai bossé comme une dingue pour faire taire les rageux »

Une interview de Flore, DJ bien connue à Lyon, réalisée par L’influx, magazine de la bibliothèque municipale.

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portrait influx flore

le cadre de l’événement « À corps et à cris » proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon, L’Influx, le magazine de la bibliothèque, a souhaité mettre à l’honneur des femmes du milieu de la musique lyonnais en publiant leurs portraits.

À travers cette série de portraits, Influx souhaite « contribuer à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et montrer la multiplicité des métiers qu’ils occupent ».

Suite au portrait de Sophie Broyer, celui-ci sera consacré à Flore. La lyonnaise s’illustre en 2010 avec son premier album Raw produit au Royaume Uni. Elle est l’une des premières à produire en  France de la Bass-music. En 2014 elle crée son propre label POLAAR, fort actuellement de plus d’une vingtaine de productions. Parallèlement elle devient en juin 2016 la première française a être certifié par Abelton.

Elle est depuis formatrice en production musicale à E.M.I.L. (European Music Industry Lectures).

Quel est votre parcours, comment vous a-t-il amenée jusqu’aux différents projets que vous menez aujourd’hui ?

J’ai suivi un cursus scolaire classique jusqu’au Bac. À mon adolescence, j’ai eu la chance d’être proche du milieu électronique sans trop comprendre le côté avant-garde de la chose. Mon frère travaillait dans un magasin de disques (Expérience) qui fut l’un des premiers à importer de la drum’n bass et de la techno à Lyon…

Beaucoup de djs gravitaient autour, et à l’époque (on parle des années 1995/96) Couleur 3 s’était installée à Lyon. C’était l’époque ou le trip hop émergeait, je me rappelle en écouter lorsque je me préparais pour aller au lycée, TrickyPortishead… J’étais déjà attirée par la musique, je pratiquais un peu de piano/guitare mais sans grand talent. Le premier choc a été ma découverte de « Human Behaviour » de Björk.

Björk: Human Behavior

Ce morceau m’a hantée et j’ai couru acheter  Debut  en cassette quelques jours plus tard. Et le deuxième choc, celui qui a changé ma vie, c’est lorsque j’ai eu la chance d’aller la voir au Transbordeur (en 1997 je crois) : en première partie, il y avait Goldie. Ça a changé la trajectoire de ma vie.

J’ai instantanément voulu composer de la musique comme celle-ci. Mais à l’époque, sans internet, il n’y avait rien comme source d’infos sur quel matériel utiliser, toute la partie technique. Le coup du sort a voulu que je rencontre quatre producteurs de House au magasin de mon frère. Ils m’ont donné les premières pistes de recherche. Et quelques mois plus tard, je plaquais la fac pour travailler et m’acheter mes premières machines (sampleur Yamaha, expander Roland).

Le djing est arrivé un peu plus tard, un peu par hasard. Mon frère avait des platines et j’avais déjà eu la chance de l’accompagner dans ses soirées. Mais je ne saisissais pas trop l’intérêt de la chose. C’est lors d’une après-midi chez lui, où je me suis essayée à caler des disques ou là, j’ai réalisé à quel point ce partage était exaltant. Quelques mois plus tard, avec un pote, on a commencé à investir dans du matos en commun, et c’était parti !

« On attendait plus de moi que de n’importe quel homme »

Vous êtes aujourd’hui une artiste reconnue dans le milieu de la scène électro : est-ce que vous avez rencontré des difficultés, en tant que femme,  à vous faire une place sur cette scène à vos débuts ?  Qui plus est en étant autodidacte ?

La chance que j’ai eue, c’est que mon frère était une personnalité lyonnaise connue à l’époque, donc j’ai eu peu de mauvaises expériences. Les gens ne se le permettaient pas. J’ai eu droit au classique « c’est pas mal ce que tu fais pour une fille » ou à des remarques remettant en cause ma légitimité. Car ces remarquent donnaient l’impression que je bénéficiais d’un passe-droit avec mon frère.

Il y aussi eu la rumeur que ce n’était pas moi qui composais mes morceaux, que j’avais un ghost producer… Mais je m’en foutais: j’ai bossé comme une dingue pour avoir la technicité qui allait faire taire tous les rageux.

Ce qui est certain, c’est qu’on attendait plus de moi que de n’importe quel homme. Je n’avais pas le choix, il fallait que je sois excellente. En tant que femme, on te laissera moins une seconde chance à tes débuts. Je pense que c’est différent aujourd’hui.

« Pour donner de la visibilité aux femmes, il faut que les programmateurs changent leurs habitudes basées sur les hommes »

En 2019, une étude montrait que seulement 13% des DJ programmés étaient des femmes. Quels freins identifiez-vous dans les parcours de femmes évoluant dans l’industrie musicale ? A titre personnel, avez-vous vécu ce type de situation ? Peut-on être optimiste pour le futur ?

Je suis totalement optimiste. En tant que formatrice, je croise beaucoup de musiciennes·iens. Je vois clairement plus de femmes utiliser des ordinateurs et composer avec des machines. Mais je constate aussi que la relation homme/femme dans la génération des 20/30 ans est totalement différente de celle dans laquelle j’ai grandi.

Selon moi, le manque de visibilité des femmes dj s’explique par de mauvaises habitudes qui datent de plusieurs décennies. Aujourd’hui il y a beaucoup de femmes DJ de talent. Mais pour leur donner de la visibilité, il faudrait encore que les programmateurs (j’utilise bien le masculin, car dans les postes de programmation il y a aussi une majorité d’hommes) changent leurs habitudes de programmation. 

De façon purement statistique, il y a plus d’hommes dj, donc tu te retrouves facilement à toujours programmer des hommes. Et vu que les femmes ont souffert de manque de visibilité pendant longtemps, beaucoup n’ont pas atteint la notoriété leur permettant de devenir « bankable » aux yeux de ces mêmes programmateurs. C’est un cercle vicieux.

Ces dernières années certaines femmes ont vraiment explosé (je pense à the Blessed Madonna ou Peggy Gou) mais la perversion de la chose c’est qu’elles sont devenues la caution « femme » sur beaucoup de festivals.

Maintenant il est temps de laisser de la place aux femmes qui sont à un stade débutant et intermédiaire de leur carrière afin qu’elles deviennent les artistes majeures de demain.

[…] Lire l’article original sur le site de L’Influx.


#Bibliothèque municipale de Lyon

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