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A Lyon, le procès du voyeur de l’Ehpad de Saint-Priest et d’une enquête « bâclée »

Ce vendredi, Ludovic M. comparaissait devant la justice pour avoir filmé, à leur insu, dans les toilettes, ses collègues de l’Ehpad Le Château, à Saint-Priest. Derrière cette affaire, la partie civile est revenue sur une enquête « bâclée », selon elle, et sur l’inertie du parquet autour des faits.

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Tribunal de Lyon

La salle J du palais de justice de Lyon affiche complet ce vendredi 5 novembre. Dans le public, une douzaine d’employées de l’Ehpad du Château, à Saint-Priest, sont venues, avec leur directrice d’établissement. Tendues, elles revoient, parfois pour la première fois, un de leur ancien collègue, Ludovic M. Devant le tribunal, l’homme de 59 ans, ex-technicien de la résidence, est accusé de les avoir filmées, à leur insu, aux toilettes et dans les vestiaires pendant une période de près de trois ans.

Juste derrière lui, deux avocates, l’une représentant l’Ehpad de Saint-Priest, l’autre une bonne partie des victimes de ce jour. En tout, elles sont 28 soignantes à avoir déposé plainte.

Révélée par Rue89Lyon, l’affaire remonte au 21 octobre 2020. Ce jour-là, une infirmière se rend aux toilettes du vestiaire réservé au personnel féminin. Elle est alors attirée par une lumière rouge qui clignote, au bas des WC. Cette lumière vient d’une boîte de souricide posée sur le tuyau d’évacuation. En la prenant en main, elle découvre un système électronique complet. Il permet de filmer les employées se rendant aux toilettes.

De là, elle avertit sa direction. Dans la carte SD de la mini-caméra, elle découvre des vidéos des soignantes et des images du technicien en train d’installer le matériel vidéo. Ce dernier avoue immédiatement devant sa direction et la police.

Voyeur de l’Ehpad de Saint-Priest : « Je le prenais comme un jeu »

En tout, des centaines de vidéos de femmes aux toilettes seront retrouvées. Sur l’ordinateur du prévenu, les policiers mettront la main sur six mois de données auxquelles s’ajoutent 11 clefs USB permettant de faire des transferts et un power point comportant 222 photos centrées sur le sexe des victimes. Un disque dur comptant trois ans de données est également trouvé. Cassé, il ne pourra pas être exploité.

A la barre, Ludovic M. tente de faire amande honorable. Légèrement courbé, l’imposant technicien essaye de se retourner vers ses anciennes collègues, avant d’être rappelé à l’ordre par la présidente : « Adressez-vous au tribunal, s’il vous plaît ! »

« Je tenais à présenter mes excuses aux personnes blessées, tente-t-il. Je n’ai pas grand-chose à rajouter si ce n’est que je n’ai jamais eu des gestes déplacés au sein de l’établissement. »

Après cela, il tente de justifier un délit « qu’il prenait alors comme un jeu. » Dans l’assemblée, ses collègues manquent de s’étouffer. Alors que des voies s’élèvent, elle sont rapidement rappelées à l’ordre par le tribunal.

Le père de famille, ayant avoué parfois se masturber devant ces images, indique ne pas avoir pris conscience du problème. Dodelinant, il explique avoir répondu à des « pulsions » et assure qu’il ne recommencera pas. Licencié par la direction de l’Ehpad, il a repris un travail dans un hôpital à Bourgoin-Jallieu.

Pour la partie civile : la responsabilité de la police et du parquet

Un discours qui indigne ses anciennes collèges présentes. Ces dernières, explique leur avocate, Sarah Just, sont particulièrement « en colère ». La « nonchalance » du prévenu, certes, les irrite. Mais il n’y a pas que ça. Depuis novembre 2020, elles ont eu le sentiment de n’être prises au sérieux par personne. Ni par le prévenu, ni par les policiers du commissariat de Saint-Priest, ni par le parquet.

« Le prévenu a eu affaire à des enquêteurs plus que bienveillant à son égard, ils se sont contentés de peu, rage l’avocate Sarah Just. Quand des fonctionnaires de police disent aux victimes : « Ça va, c’est pas si grave que ça, il a déjà assez payé comme ça » et les découragent de porter plainte, ce n’est pas possible. »

L’enquête a ainsi été bouclée en trois semaines. « 300 vidéos de cinq minutes chacune analysées en une heure, il y a de quoi être furieux », renchérit sa consœur, chargée de défendre le réseau de maison de retraite Omeris. Bref, un travail « bâclé » par la police, comme par le parquet, pour la partie civile. Le technicien devait, initialement, comparaître en convocation sur reconnaissance préalable de culpabilité. Une option qui ne correspondait pas du tout aux victimes.

« Il y a une vraie rupture de confiance avec les policiers de Saint-Priest, poursuit l’avocate Sarah Just en s’adressant au procureur. Donc oui, ça réagit dans la salle. La banalité avec laquelle ces événements sont racontés a un impact énorme pour elle. »

Les employées de l’Ehpad de Saint-Priest « non identifiées » sont aussi victimes

Anxiété, insomnie, stress post-traumatique… Elle rappelle les difficultés psychologiques connues par ses clientes. Ludovic M. a travaillé plus de dix ans à l’Ehpad. Elles le connaissent bien. Certaines lui reprochaient ses manières de « coq », très à l’aise, se voulant séducteur. N’empêche qu’elles ne s’attendaient pas à ça. Elles travaillent toujours, pour une partie, sur les lieux et sont encore hantées par l’affaire.

Pour régler ce préjudice, l’avocate Sarah Just demande à ce que le délit soit requalifié avec le caractère sexuel aggravant. Une option que n’a pas suivi le parquet initialement.

De même, elle a plaidé pour que les employées de l’Ehpad, non-identifiées dans les vidéos, soient également considérées comme victimes. Pour elle, il ne fait pas de doute qu’elles ont été sur le disque dur « cassé » du technicien. En trois ans, toutes ont probablement été filmées.

« Il y a un préjudice d’anxiété au même titre que les personnes qui ont pu être exposé à l’amiante », affirme-t-elle.

Ehpad de Saint-Priest
Le procès s’est tenu au tribunal de Lyon.Photo : PL/Rue89Lyon

« On passe beaucoup de temps sur le choix du ministère et moins sur les actes du prévenu »

Face à elle, la procureure lui a donné raison sur la requalification du délit. Pas sur le deuxième point. « Le choix a été fait de ne pas suivre les personnes non-identifiables. »

Déclarant reprendre tout juste le dossier, Sylvia Perticaro a admis quelques possibles maladresses côté policier.

« Oui, c’est un dossier important, car il y a beaucoup de victimes. Mais, malheureusement, c’est aussi un dossier complexe. Ce sont des faits qui existent et dont le traitement judiciaire peut relever d’un commissariat. »

Visiblement gênée, elle a regretté que l’audience passe « beaucoup de temps sur le choix du ministère et du commissariat et pas sur les actes du prévenu » en tant que tel.

Une manière de remarquer que, derrière l’affaire, un déraillement général était à analyser.

Six mois de sursis et une victoire pour les soignantes de l’Ehpad de Saint-Priest

L’avocat de la Défense a défendu, une fois n’est pas coutume, les forces de l’ordre. Compte tenu de la teneur des vidéos, il a admis comprendre que les agents, notamment, aient accéléré la lecture.

« Certes, on peut reconnaître au mouvement post « Mee too » des progrès. Mais celui-ci a, comme tout, sa part d’excès », a voulu marquer Kevin Chapuis, dans sa plaidoirie.

Jugeant excessives les sommes demandées par la partie civile à son client, il est également revenu sur l’identification ou non des victimes. « Ce sont des victimes potentielles et alléguées. » De même, il s’est opposé à ce que le délit soit inscrit dans le casier judiciaire B2 du technicien de maintenance. Sa crainte : que celui-ci perde son travail actuel. Une demande justement de la partie civile. Ludovic M. effectue le même travail, et dispose des mêmes possibilités, que dans son ancien emploi.

Sur ce point, la présidente du tribunal a donné raison à la partie civile. Il a été interdit d’exercer le métier d’agent d’entretien dans des lieux accueillant du public durant trois ans. Ludovic M. est condamné à six mois de prison avec sursis « pour atteinte à la vie privée par captation d’image ». Le caractère sexuel aggravant a été retenu. La justice a de plus donné raison aux parties civiles en le condamnant à verser 1000 euros à chaque victime identifiée dans les vidéos. Les personnes non identifiées auront elle une indemnité de 500 euros.


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