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[PODCAST] Comment enseigner l’anthropocène à l’université ?

La Convention Citoyenne pour le Climat, qui a permis à 150 personnes de travailler ensemble d’octobre 2019 à l’été 2020 sur une proposition commune d’adaptation de la société au changement climatique a-t-elle fait des petits ? Comment réagit l’université côté enseignant et côté étudiant ? Comment enseigner l’anthropocène à l’université ?

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Campus universitaire de l'Université Grenoble Alpes. ©UGA

Cette question des suites de la Convention Citoyenne pour le Climat à l’université sera abordée dans le cadre de cette session des « Mercredis de l’anthropocène » ce mercredi 6 octobre. Plus particulièrement, la focal sera mise sur une expérience grenobloise avec l’« Université éphémère du Design : vers une convention citoyenne universitaire ».

Cette première séance de la saison 6 se déroulera de 17h à 18h30 à l’Université Claude Bernard Lyon 1, sur le campus de la Doua, salle Fontannes (Faculté des Sciences, Bâtiment Charles Darwin D RdC – Pass sanitaire et masque obligatoire). A écouter également en podcast.

Cette conférence s’inscrit également dans le cadre de la Rentrée Anthropocène #2021.

Retrouvez ci-dessous le texte d’Agathe Malbet, designer, stagiaire à la Design Factory Grenoble; Eric Fache, designer, maître de conférences associé à l’Ecole Nationale d’Architecture de Grenoble; et Joel Chevrier, physicien, professeur à l’Université Grenoble Alpes.

A l’Université Grenoble Alpes (UGA), dans le cadre de sa nouvelle « Design Factory pour les transitions », un atelier «  Faire école ensemble… » s’est déroulé en février 2021. Inspiré par la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), et par le mouvement de contestation des élèves de l’école de design l’ENSCI Les Ateliers, « L’ENSCI fait le mur ! », ce fut un moment d’intelligence collective. Il en émerge un projet de Convention Citoyenne Universitaire Climat et Biodiversité (CCU-UGA) : identifier et mettre en avant des valeurs fondamentales communes, c’est un socle pour apprendre ensemble, enseignants, chercheurs et étudiants, et pour devenir ces citoyens engagés, acteurs dans le monde de l’anthropocène au-delà de, voire grâce à nos différences.

Apprendre le réchauffement climatique à l’université  ?

Dans une tribune datée de 2019, le climatologue Jean Jouzel et dix universitaires du monde entier interpellaient :

« Face à la dégradation de l’environnement et à la perte très importante de biodiversité, les universités devraient prioriser la préparation adéquate de leurs étudiants et de leur personnel à des temps de plus en plus difficiles. » et d’autre part, « En tant qu’établissements d’enseignement, les universités ont par ailleurs un potentiel inégalé. Plusieurs millions d’étudiacnts à travers le monde obtiennent leur diplôme chaque année. Ils sont et seront de plus en plus touchés par les changements climatiques. L’humanité a besoin de citoyens engagés qui comprennent les innombrables implications des perturbations climatiques et peuvent y faire face dans l’urgence. »

La question est difficile pour les universités  : comment être vite à la hauteur de l’enjeu  ? Pratiquement 3 millions d’étudiants en France. Les enseignants qui, en face des étudiants, peuvent afficher une réelle légitimité sur des sujets comme l’évolution du climat, l’effondrement de la biosphère, les ressources énergétiques, en eau et en matériaux sont une minorité, en nombre très largement insuffisant. Et puis qu’enseigner à tous les étudiants  ? Ces questions systémiques et complexes, à la fois globales et locales, ne se découpent pas aisément en sujets isolés et se projettent encore moins sur les disciplines universitaires en place.

Jean Jouzel parle de citoyens engagés. Comment l’université peut-elle accompagner les étudiants et leur permettre de se construire sur ces sujets en citoyens engagés, acteurs tous différents mais rassemblés dans une société ? Le système universitaire actuel n’a pas été construit pour répondre à ces immenses défis. Pour l’université, un futur dentiste sera d’abord un dentiste, et un futur juge, un juge.

Comment « faire université » dans l’anthropocène  ?

Accompagner les étudiants dans l’Anthropocène devient donc toujours plus un enjeu majeur mais aussi un réel casse-tête pour les universités ! Alors où a-t-on vu des personnes étrangères les unes aux autres, venir s’organiser collectivement pour d’une part mobiliser des connaissances, et d’autre part chercher au creux de leurs différences, ce qui les rassemble, les valeurs fondamentales partagées à partir desquelles construire un récit commun  pour atterrir dans le monde réel, et faire ensemble  ? Nous avons retenu deux expériences dans cette construction de la CCU-UGA  : d’une part, «  faire société  !  » avec la CCC, et d’autre part, «  faire école  !  » avec le mouvement «  l’ENSCI fait le mur  ».

La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) inspire l’université

Un universitaire note rapidement que, en seulement 7 week-ends, la CCC est parvenue à mettre en route un collectif apprenant de 150 personnes totalement différentes et étrangères les unes aux autres.

Le collectif CCC, participants et accompagnement, sur la base de connaissances partagées et validées, s’est interrogé au grand jour en citoyens engagés : “Quel est le monde dont nous voulons aujourd’hui et que nous allons construire, en sortant de la civilisation thermo-industrielle ?” Peut-être est-ce le résultat le plus important de cette expérience même si le seul. Par ses principes fondamentaux et ses méthodes, la CCC est bien une inspiration pour les universités.

« L’ENSCI fait le mur » : ou comment «  faire école  ! »

En novembre 2019, les élèves et le personnel de l’école de design, l’ENSCI Les Ateliers, ont occupé ses locaux. Tout est parti d’un refus de la nomination d’un nouveau directeur de l’école par les tutelles. Les membres de l’école (élèves, enseignants, personnels…) ressentaient cette nouvelle direction comme un danger en regard des principes et des valeurs de l’école. Les élèves ont alors bloqué l’école et ont travaillé avec le personnel et les enseignants sur la gouvernance de l’école. L’intérêt ici est que les contestataires, en designers, ont aussi recherché collectivement des dispositifs, d’une part, ancrés dans des principes et des valeurs, mais aussi opérationnels pour construire une gouvernance s’articulant sur l’ensemble des acteurs appelés à s’engager dans ce projet collectif d’école. Et nous bénéficions aujourd’hui de leur effort collectif de documentation, caractéristique des designers. Il nous permet d’explorer les archives de ce mouvement et de nous en inspirer.

université anthropocène
« L’ENSCI fait le mur » : Réalisation d’affiches de présentation des différents thèmes du workshop auxquels s’inscrivent les étudiants. «Temps précieux est un workshop de réflexion autour des problèmes internes à l’ENSCI- les Ateliers. Suite au mouvement ENSCI-Fait le mur qui agite l’école en novembre 2019, nous décidons collectivement de travailler sur le fonctionnement interne de l’école. Divisé en 9 thématiques différentes (diversité; bien- être ; accès aux ressources ; rayonnement à l’international ; gouvernance ; modes pédagogiques ; local ; inégalités liées au genre ; développement durable), ce workshop est un temps dédié à la réflexion commune pour imaginer des scénarii de solution en réponse aux problématiques posées. Élaboré pendant deux mois, nous proposons ce workshop à l’ensemble des étudiants et personnels de l’école en février 2020. »

L’atelier de l’Université Éphémère du Design à l’UGA : « Faire école  ! »

Des élèves de l’ENSCI sont venus accompagner les étudiants grenoblois engagés autour de la question : «  À quoi ressemblerait l’école dans laquelle nous voulons étudier ?  » En vue de la CCU-UGA, ce pas de côté a permis de mettre au centre de l’expérimentation une nouvelle perspective. Dans «  Faire école  !  », les étudiants partent de ce qu’il partage, des valeurs qu’ils ont en commun et qui les installent dans un échange et une collaboration qui peut alors se nourrir des différences. Et donc, avant tout, revisiter et expliciter les valeurs partagées qui fondent cette aventure collective entre étudiants et enseignants qu’est l’université.

Une Convention Citoyenne Universitaire (CCU-UGA) pour un monde en commun(s)

La CCC est partie du climat en cherchant d’abord à équiper collectivement ses participants d’une base de connaissances partagées. Au terme de ce cheminement et de ces expériences, nous envisageons d’explorer dans l’université, un scénario différent de construction d’un collectif apprenant, qui cherche à agir dans l’anthropocène. Ce sera la CCU-UGA. Bien sûr, appréhender les conséquences des évolutions en cours reste au centre. Évidemment, bâtir sur des connaissances partagées, pertinentes et validées est au cœur de la démarche scientifique et de recherche qui définit l’université.

Mais nous souhaitons explorer avec des étudiants, comment ces deux dimensions peuvent prendre appui sur un questionnement premier  : qu’est-ce qui nous est commun  ? Qu’est ce qui nous importe par-dessus tout et fait récit commun pour une humanité qui vient recréer le monde futur dans lequel elle veut atterrir  ? Finalement, dans l’université, il s’agit de partir des valeurs fondamentales que nous avons en partage au-delà de toutes nos différences et qui fondent notre humanité aujourd’hui. En 2022, la CCU-UGA, sera un dispositif pédagogique expérimental de co-construction avec les étudiants qui cherchera à suivre Jean Jouzel :

« … L’humanité a besoin de citoyens engagés qui comprennent les innombrables implications des perturbations climatiques et peuvent y faire face dans l’urgence. »

« Vers des conventions citoyennes universitaires en faveur du climat et de la biodiversité ? » une conférence en direct le 6 octobre de 17h à 18h30 puis disponible en podcast.

Avec :

Joël Chevrier, professeur de Physique à l’Université Grenoble Alpes, en délégation Université de Paris (CRI Paris). Son activité 2020-2021 portait sur Être enseignant à l’université dans l’anthropocène : Convention Citoyenne Universitaire Climat/Biodiversité, en préparation pour la rentrée 2021, à l’Université Grenoble Alpes.

Éric Fache, designer, enseignant à l’ENSA de Grenoble, et chercheur à la Cité du Design.

Jérémie Klein, élève-ingénieur à G-INP, il fait partie des étudiants très engagés à l’Université de Grenoble dans son évolution et l’accompagnement des étudiants en anthropocène.

Animation : Valérie Disdier


#Mercredis de l'anthropocène

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