Le départ est donné sur le quai Rambaud, à proximité de la caserne de Lyon-Confluence. En quelques minutes, cinq sapeurs-pompiers du SDMIS embarquent à bord d’un bateau polyvalent de secours sur la Saône.
Chacun sait ce qu’il doit faire et chaque geste est effectué avec précision.
Cet entraînement rythme le quotidien des sapeurs-pompiers plongeurs de la métropole de Lyon et du département du Rhône. De jour comme de nuit, quelque soit la saison, ils doivent s’exercer au sauvetage.
Ce mercredi 11 août, à la satisfaction générale, le thermomètre dépasse les 30 degrés et il n’y a pas un nuage à l’horizon.
120 sapeurs-pompiers dédiés aux noyades dans le Rhône
Le lieutenant Luc David, chargé de coordonner les cinquante plongeurs et les soixante-dix sauveteurs de surface des sapeurs-pompiers du Rhône met en avant la nécessité de l’entraînement en extérieur :
« Les sapeurs-pompiers plongeurs doivent être prêts à affronter toutes les conditions météorologiques. »
Crâne rasé et lunettes de soleil sur le nez, Luc David a d’abord été un passionné de plongée avant d’en faire son métier. Cet après-midi, c’est lui qui dirige l’exercice, donnant les ordres, sans jamais perdre sa bonhomie.
« La plongée est une spécialité exigeante »
Le moteur du bateau s’arrête face au Palais de Justice des 24 colonnes, sous le regard curieux des Lyonnais sortis profiter du soleil sur les berges.
C’est l’heure pour Stéphane et Neil, deux-sapeurs pompiers plongeurs, de se mettre à l’eau. Vêtus de leurs combinaisons de plongée, ils doivent porter un grand sac à dos de 17kg. Tout en chaussant ses palmes, Stéphane détaille :« Il contient deux bouteilles qui nous permettent d’avoir plus de 3000 litres d’air sous l’eau. »
Pour devenir plongeurs, les sapeurs pompiers doivent d’abord passer plusieurs tests. Leur corps doit pouvoir s’adapter aux contraintes physiologiques de la plongée, telles que la pression de l’eau. Leur rétine doit également être dans un état irréprochable, pour leur permettre de voir le plus loin possible.
Après une formation de plusieurs mois, les plongeurs bénéficient d’un important suivi médical, détaille le lieutenant Luc David. Devenir un pompier plongeur n’est pas à la portée de n’importe qui :
« La plongée est une spécialité très exigeante sur le plan technique et physiologique. »
Exercice d’orientation dans la Saône
L’immersion de Stéphane et Neil est chronométrée. Pour cet exercice d’orientation, ils doivent faire un aller-retour entre les deux berges. Les plongeurs ont pour objectif de ressortir à un endroit précis, tout en ayant une marge d’erreur autorisée de quatre mètres.
Mais dans la Saône verdâtre, impossible de mesurer la profondeur de l’eau ou de voir à plus de deux mètres. Les plongeurs doivent s’orienter grâce à leurs sensations, à la direction du courant et à la position du soleil. Ils sont aussi munis d’une boussole.
Les minutes s’étirent et les deux plongeurs ne sont toujours pas réapparus à la surface. Pas de quoi inquiéter l’équipage à ce stade, rassure Luc-David :
« En regardant à la surface de l’eau on peut apercevoir la pluie de bulle que les plongeurs laissent sur leur passage. Si au bout d’un certain temps ils ne sont pas remontés, il faut engager des recherches pour les retrouver. C’est aussi pour cela que les plongeurs portent sur eux une balise qui nous permet de les repérer. »
La Saône et le Rhône : des eaux dangereuses
Les deux plongeurs finissent par remonter puis se hisser sur le bateau, après avoir nagé dans une eau à 20 degrés. Stéphane, plongeur depuis dix ans, s’exclame sous le regard complice de ses collègues :
« Quand l’eau est chaude comme ça, on peut y rester des heures ! »
Si à la surface la Saône semble calme, ses fonds cachent pourtant de nombreux dangers. Fils métalliques, débris de ponts et objets en ferraille sont autant d’obstacles que peuvent rencontrer ceux qui s’y aventurent.
S’immerger dans cette eau très polluée, signifie aussi s’exposer à certaines maladies, comme l’explique le sapeur-pompier plongeur Jean-Philippe :
« Il y a un risque d’être infecté par la leptospirose, alors les plongeurs sont vaccinés. »
Quand la baignade vire à la noyade
Interdite dans le Rhône et la Saône, la baignade dans ces eaux troubles continue pourtant d’attirer des baigneurs les jours de fortes chaleurs. Même constat pendant les beaux jours, dans le plan d’eau du parc de la Feyssine à Villeurbanne.
« Les baigneurs sont généralement des jeunes âgés de moins de 25 ans et qui n’ont pas accès à une piscine privée », note Luc David.
Lorsqu’elle croise des contrevenants dans l’eau ou prêt à faire le grand saut, l’équipe de sapeurs-pompiers met l’accent sur la prévention.
« En 2021 la météo a été salvatrice »
Peu de temps après l’amarrage du bateau, le téléphone des pompiers sonne. Stéphane, qui a toujours le mot pour rire, arbore soudainement un visage grave. L’équipe doit intervenir à Miribel pour sauver de la noyade un enfant de trois ans.
En quelques secondes, les cinq hommes remontent à bord de leurs véhiculent, allument les gyrophares et partent à toute allure en direction du lac. « On s’adapte », souffle le lieutenant Luc-David tout en gardant son sang-froid.
Dans le Rhône, les pompiers interviennent, en moyenne, une centaine de fois par an pour des cas de noyade. Il s’agit de la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans à l’échelle nationale.
« En 2021, la météo a été salvatrice, mais les températures remontent , remarque Luc-David, les pics de noyades ont lieu l’été. »
Des noyades liées au manque de vigilance
Le lieutenant s’inquiète particulièrement des effets du confinements sur l’apprentissage de la nage chez les jeunes enfants :
« Les enfants qui n’ont pas pu apprendre à nager ou qui n’ont pas pu pratiquer la nage en 2020 ont plus de risque de se noyer cette année. »
Finalement ce mercredi, il n’y aura pas d’intervention en urgence, car l’enfant a été retrouvé. « Les fausses alertes sont rares mais peuvent arriver l’été à cause du manque de vigilance », soupire Luc-David, toujours le téléphone à la main :
« C’est typique, en général les gens se réveillent de leur sieste et ne voient plus leur proche dans l’eau. Ils pensent alors que la personne s’est noyée mais elle finit par être retrouvée. »
Chaque année le Rhône enregistre une cinquantaine de décès liés aux noyades, rapporte le lieutenant Luc David. La majorité surviennent dans les piscines de particuliers.
Les pompiers réquisitionnés par la police
La fin de journée approche, mais pas de répit pour l’équipe. Les sapeurs-pompiers doivent repartir en direction de la commune d’Oullins.
La police a sollicité l’aide des plongeurs pour une réquisition à la confluence du Rhône et l’Yzeron. C’est à cet endroit qu’un homme s’est noyé mardi 10 août alors qu’il tentait de sauver son neveu tombé à l’eau.
Les cinq pompiers ne font pas partie de l’équipe intervenue la veille pour venir en aide aux victimes. Mais ils doivent récupérer des échantillons d’eau et mesurer sa profondeur pour les besoins de l’enquête policière.
Un endroit où flotte détritus et restes de nourriture avariés. Stéphane ironise :
« Il y a un rat dans l’eau, ça donne envie.»
Finalement c’est Neil, vêtu de sa combinaison de plongée orange, qui se jettera à l’eau en serrant les dents et en avançant prudemment. Impossible de distinguer la profondeur de l’eau tant elle est boueuse.
Resté au bord, Jean-Philippe, surnommé « Jean-Phi » par ses collègues, revient sur les changements qu’il a observé au cours de ses plongées durant les vingt dernières années :
« Globalement les cours d’eau et les rivières sont plus propres qu’avant, en raison des obligations légales liées au traitement de l’eau et à la gestion des égouts.»
Pas le temps pour les sapeurs-pompiers plongeurs de s’éterniser à Oullins. Une fois la réquisition terminée, toute l’équipe repart à la caserne de Confluence. Juste le temps de reprendre sa respiration, avant la prochaine intervention.
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