Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Lyon sous les SUV

Reno Bistan, habitant de la Croix-Rousse à Lyon, prend la plume pour nous parler cette fois de la progression étonnante des SUV (sport utiliy vehicle) en ville. Des automobiles ultra-lourdes et polluantes dont le succès ne décroît pas et que la « Zone à faibles émissions » prévue par la Métropole der Lyon ne sanctionne pas spécialement. Au contraire.

,

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Voitures et SUV à Lyon

Au début des années 2000, les préoccupations écologiques commençaient à poindre et nombreux étaient ceux qui trouvaient complètement anachronique de voir circuler ces SUV qu’on appelait encore 4X4.

L’humeur était parfois au dégonflage, mais d’une certaine manière on pouvait se rassurer en se disant que ces bagnoles hors de propos restaient l’apanage de la catégorie « vieux bourge » et que, si un grand changement vers une société plus écologique n’était pas certain, au moins, un tel non-sens dans une période inquiète était décidément trop grossier et disparaitrait rapidement.

Eh bien il faut croire, mais l’engouement pour les croisières ou les capuches en fourrure nous avait déjà mis la puce à l’oreille, que la mode « vieux bourge » est, au contraire, arrivée à se diffuser largement.
Car, défiant tout pronostic et toute logique, les SUV représentent aujourd’hui presque la moitié des voitures neuves vendues en France, dévorant un espace urbain pourtant précieux, rendant plus mortels les cas de collision et représentant la deuxième plus forte source d’augmentation du CO2 ces dernières années dans le monde, devant l’industrie lourde, les poids lourds ou l’aviation.

Ainsi, le couple de retraité.e.s, le père ou la mère de famille dynamique, le jeune homme branché à la barbe bien taillé conduisent de manière égale leur tank en toute décontraction. Et on a l’impression en marchant dans les rues d’assister à une marche anti-climat permanente bien plus nourrie en activistes que toutes les mobilisations écolos, d’entendre un « fuck la planète ! » tranquillement asséné par une population automobiliste absolument décomplexée.

Alors, bien sûr, comme pour la plupart des questions écologiques, il serait absurde de remettre l’entièreté de la faute sur les personnes qui achètent ces véhicules. Nous sommes des époques au moins autant que nous sommes des individus. Et l’époque valide !

Taxi, voiture présidentielle ou commerciale, le SUV est partout

En ce sens, il est toujours surprenant d’entendre dire que la publicité ne ferait que refléter le désir de consommateurs « libres d’acheter ou non ». Un discours qui fait fi de toute la recherche sur le sujet en terme de sociologie, de psychologie cognitive, de marketing et laisserait penser que l’industrie automobile dépenserait ces sommes à pure perte.

En fait, il n’y a pas eu un désir spontané des consommateurs pour de grosses roues, de grosses consommations de carburants et de gros prix à l’achat. En revanche, il y a clairement eu une stratégie commerciale de la part des constructeurs automobiles qui représentent une part fort importante du marché publicitaire, de vendre ces véhicules qui leur rapportent beaucoup.

L’acquéreur d’un SUV paie, en moyenne, lors de son achat, 2300 euros en publicité, et chaque jour ce sont 3h50 de messages pour les SUV qui sont déversés sur les chaines de télé. En « placements de produits », ces véhicules ont aussi largement arrosé le champ culturel, notamment celui des films, des clips et des « séries ». Que les productions soient américaines ou européennes, que leurs héros soient journalistes ou enseignants, les SUV remplissent les écrans et sont de plus en plus présents parmi les voitures des personnages. Bref, nul doute que si le vélo, par exemple, bénéficiait d’une telle visibilité, la face des mobilités en serait quelque peu changée.

Car cette stratégie commerciale mise en place aux Etats-Unis assez précocement puis adaptée à un marché européen a priori plus rétif à ces engins a largement fonctionné. On les retrouve désormais nombreux parmi les taxis mais aussi les véhicules de fonction de différentes administrations, la police depuis récemment, et jusqu’à la voiture présidentielle confortant encore, s’il le fallait, leur légitimité dans l’espace public.

Le coût de ces véhicules étant, bien sûr, supérieur à leur équivalent « standard », la propension à se conformer aux nouvelles modes pousse de plus en plus de foyers, y compris peu fortunés, à consacrer un budget important, à travers la multiplication des crédits, à ces autos qui, d’ici peu, inonderont le marché de l’occasion et laisseront d’autant moins de choix à qui n’en voudrait pas.

Chercher à tout prix une « protection » individuelle

Alors on essaye de saisir les ressorts psychologiques actionnés pour rendre désirable ces voitures. Ils sont multiples, en phase avec un certain imaginaire de l’époque et ses contradictions, et pourraient donner lieu à de longues interprétations sémiologiques.

On trouve dans la publicité le rapport à la nature, magnifiée/détruite, qui va parfois jusqu’à intégrer une dose de « conscience » écologique notamment à travers la promotion des SUV électriques (« Rien ne vous retient » proclame la pub du dernier Volkswagen) ; il y a l’idée de domination, de maitrise sur l’environnement et sur la circulation ; celle de la protection des « siens » au détriment de la sécurité des autres.

Et comment ne pas penser à une sorte de « collapsologie inversée », un genre de pédagogie où on apprendrait non pas un mode de vie plus adapté aux exigences écologiques de notre époque mais à chercher à tout prix à compter au nombres des « survivants », comme une sorte d’effet « Walking dead » (la série est d’ailleurs associée à la marque Hyundai à travers un de ses modèles).

Cette mise à distance du reste de la société, très raccord avec la construction de résidences de plus en plus fermées, sécurisées, où le voisin est censé être vigilant et où le SUV est roi, s’incarne aussi dans le rehaussement de la « ceinture de caisse » (quand ce ne sont pas carrément les vitres teintées) qui réduit encore l’interface entre l’intérieur et l’extérieur et prolonge cette tendance au « séparatisme » valorisée dans l’habitat.

La mode des SUV constitue en fait une image assez saisissante de ce qui pourrait advenir lorsque la pression sociale et écologique poussera tout.e un.e chacun.e à aggraver la situation collective en cherchant à tout prix une « protection » individuelle.

La Zone à Faibles Émissions de la Métropole de Lyon inutile face aux SUV

Mais qu’est ce qu’on fait alors ? Il est évident qu’il y a une quinzaine d’années, lorsque cette tendance à commencé à se généraliser, il aurait fallu opposer un « ça ne va pas être possible ! » déterminé aux constructeurs autos. Comme une interdiction nette de circulation dans les villes pour ce type de véhicules (et il est d’ailleurs rageant de voir comment d’autres tendances absurdes et écocides se développent de manière similaire, à l’instar des panneaux de publicité numérique, et dont il sera beaucoup plus difficile de se débarrasser une fois qu’ils se seront immiscés dans toute la ville) .

Au niveau national, comme on peut s’y attendre, le « malus » sur ces véhicules n’aura aucun rapport avec ce qu’avait proposé la Convention climat puisqu’il ne concerne qu’une toute petite minorité de véhicules parmi lesquels aucun ne fait partie de ceux les plus vendus en France, et que l’amendement sur la publicité a été retoqué. Ce qui ne doit pas empêcher évidemment de continuer à mettre la pression.

Au niveau local, les SUV sortent malheureusement grands gagnants d’une Zone à Faibles Emissions (ZFE) qui, paradoxalement, encourage l’achat de véhicules neufs dont quasiment 1 sur 2 immatriculé dans le Rhône est un SUV.

Les modèles hybrides (plus lourds) et électriques ne sont évidemment pas une réponse à la question globale que posent ces voitures : le ratio entre le poids du véhicule et le nombre de personnes transportées ayant au moins autant d’importance que le type d’énergie utilisée.

En ce sens, il faudrait que la ZFE, malheureusement centrée sur la seule question des émissions de NO2, exclue, a minima, les SUV, sur le pare-brise desquels la vignette Crit’air 1 constitue un véritable symbole d’injustice et d’incohérence écologique.

« Non ce n’est pas OK de rouler en SUV »

En marge, existent des possibilités de rendre le stationnement plus cher en surface comme dans les parkings en fonction du poids du véhicule, et bien sûr de supprimer la publicité car il est difficilement compréhensible que puisse être étalée une bâche de 10X10 m aux couleurs d’un Porsche Cayenne sur un immeuble de la place Bellecour.

Et puis, il y a bien sûr toutes les actions imaginables pour « shamer » les constructeurs autos, et, au niveau individuel, diffuser l’idée que « non ce n’est pas O.K de rouler en SUV », c’est à dire dans une voiture qui pèse, a minima, 200 à 300 kg de plus que son équivalent « classique» ». Et jusqu’à 3000 kg au total pour un pick-up.

Nous avons une idée assez précise en ce moment de ce à quoi ressemble une réduction drastique de nos libertés individuelles, de ce à quoi nous tenons vraiment dans notre vie intime et collective pour savoir que cette « liberté » là n’en fait pas partie.

Ne pas en vouloir et le faire savoir ni même comme voiture de location ou comme taxi, faire émerger l’idée dans les discussions, à travers des actions, que la chose suscite critiques, débats. Qu’il est absurde de parler poubelles vertes et poubelles jaunes, d’inciter à couper l’eau en se brossant les dents, lorsque l’usage quotidien et solitaire d’un SUV est banalisé par une industrie automobile qui a tout intérêt à ce qu’on le considère comme un choix personnel inaliénable et non comme une pollution majeure.

Une bataille culturelle à mener pour « ringardiser » le SUV

Il y a là une bataille culturelle à mener pour « ringardiser » un type de véhicule dont l’achat ne répond à aucune nécessité, et qui amoindrit la portée de mesures visant à réduire de manière plus générale la place de la voiture dans la ville.

Bien sûr, les S.U.V ne sont que l’épiphénomène d’un société entièrement bâtie autour de l’automobile qu’il s’agit de repenser complètement. Les virer de nos rues ne changera pas la face du monde. Un peu celle de nos villes. Mais cela participe, à son niveau, de la promotion d’une forme de sobriété en termes de moyens de transports.

En termes de convivialité comme de durabilité, de santé, de jouabilité et autres « plantabilité », nous avons tou.te.s à gagner à ce que le « commun » reprenne des droits face à l’extension sans limite de la sphère du privé dont l’omniprésence des SUV est une des expressions.


#Environnement

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Plus d'options