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Le Barrio Club à Lyon : « Il faut abattre les clichés sur la fête »

[Série 4/4] Les boîtes, les clubs et autres dancings sont fermés depuis un an. La nuit lyonnaise est éteinte et on n’entend plus guère parler de ces lieux de sociabilité, de musique et de fête. On a rencontré quelques uns de ces patrons et gérants de boîtes de nuit pour faire le point sur le moral, les finances… Ici Bertrand Dalle, patron du Barrio Club à Lyon.

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Une soirée au Barrio, dans la gare des Brotteaux, avant le Covid. ©BertrandDalle

Le Barrio Club est situé à l’intérieur de la gare des Brotteaux dans le 6è arrondissement de Lyon, près d’autres lieux de sorties nocturnes. Il s’agit d’un club latino. Comme on peut s’y attendre, caïpirinhas et mojitos y sont habituellement servis au son des cajons et des bongos, remixés par des DJ locaux. Avant la pandémie de Covid-19, la boîte de nuit était ouverte du mardi au samedi et accueillait des soirées à thèmes, et proposait des initiations à la danse (latine, évidemment).

Bertrand Dalle est le propriétaire du Barrio Club depuis 1999. Il est aussi propriétaire d’un bar restaurant : le You, anciennement le Voyou, lui aussi situé dans l’ancienne gare des Brotteaux. Il possède un bar concept sur le thème de la réalité virtuelle à Saint-Bonnet-de-Mure, qui s’appelle “l’IVRS”.

Bertrand Dalle est syndiqué à l’UMIH soit l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie), secteur particulièrement touché par la crise. Le Barrio Club est la « plus vieille affaire » de Bertrand Dalle. Estampillée boîte de nuit, elle est fermée depuis plus d’un an :

« J’avais treize personnes qui travaillaient au Barrio, mais ils n’étaient pas tous des salariés, seulement sept sont payés par le chômage partiel. »

« Certains se sont reconvertis dans la peinture en bâtiment »

Pour les six autres, le patron se désole :

« Les autres étaient engagés contractuels, notamment mes gars de sécurité et mes DJs, c’est très compliqué pour eux. »

Certains agents de sécurité du Barrio se sont même reconvertis à regret dans la peinture en bâtiment, ou comme ouvriers.

Le Prêt Garanti par l’Etat (PGE) ainsi que le chômage partiel ont rapidement désamorcé la tension pour le propriétaire.

« J’ai eu mon prêt sans difficulté pour le Barrio, c’est une affaire qui a beaucoup d’ancienneté. »

Bertrand Dalle, syndiqué à l’UMIH et propriétaire du Barrio Club, du You et de l’IVRS

Bertrand Dalle a pu emprunter 300 000 euros, en deux prêts. Le premier en avril 2019, l’autre en février 2021. A titre de comparaison, pour le You, le patron a obtenu un prêt moins important car il s’agit d’un établissement plus récent, « moins solide ». Il a reçu 100 000 euros puis 85 000 euros de PGE.

« Pour le Barrio, j’avais 200 000 euros de trésorerie, pour le You, 40 000 euros. J’ai tout bouffé et je me suis endetté. »

Pour l’IVRS, qui avait été inauguré quelques mois avant le confinement, aucun PGE n’a été accordé. L’établissement était trop récent. La Région a débloqué 30 000 euros dans son effort de solidarité.

« Je plombe la société juste pour me payer moi »

Depuis novembre dernier, l’Etat verse au Barrio 20% de son chiffre d’affaires :

« Ça fait 26 000 euros par mois, c’est suffisant pour payer les charges fixes. C’est de mars à novembre qu’on a dépensé, qu’on s’est beaucoup endetté. »

Bertrand Dalle, propriétaire du Barrio Club

Pour le You en revanche, le forfait du fonds d’aide est fixé à hauteur de 12 000 euros, le propriétaire dépense 14 000 euros par mois. Bertrand Dalle pose un regard critique sur les conditions d’octroi du fonds d’aide :

« C’est un forfait mal fichu. Une affaire qui serait située à Vaise avec un petit loyer va gagner de l’argent si elle touche 20% de son chiffre d’affaires, mais dans le quartier des Brotteaux, le loyer est vraiment important. »

Bertrand Dalle tente de se soustraire à des dettes qui s’amoncellent. En novembre par exemple, il réussit à défiscaliser 50% du loyer dû au You. Mais la situation reste difficile selon lui :

« Pour les bars c’est plus compliqué que pour les boîtes de nuit. La loi ne m’a pas permis de défiscaliser mon loyer sur les autres mois. Ils considèrent que comme c’est un bar je peux proposer mes services à emporter. Tous les établissements ne proposent pas des choses qui peuvent être vendues à emporter. »

Au début de la crise, le patron ne se paye pas. Au bout de quelques mois, ce n’est plus tenable :

« J’ai une maison, une femme, des enfants : il a bien fallu que je me paye. On n’a plus du tout de trésorerie, mais les aides me permettent de me donner un petit salaire. »

Bertrand Dalle, propriétaire du Barrio Club

Le gérant doit toujours cotiser aux charges sociales et patronales et culpabilise presque :

« Je plombe la société juste pour me payer moi. »

Le Barrio Club à Lyon, radié par son assurance

A cela, il faut ajouter que la boîte de nuit de Bertrand s’est fait radier par son assurance.

« C’est très cher les assurances pour les discothèques, je ne pouvais plus payer la mienne. En décembre dernier j’ai reçu un courrier m’annonçant que j’étais radié. Ce qui n’était pas très solidaire, pas très classe. »

Bertrand Dalle, propriétaire du Barrio Club

Le patron s’endette une fois de plus pour ré-assurer sa boîte en urgence :

« Je leur avais demandé de réduire leur prix, ils ont refusé, alors qu’ils assuraient une boîte vide et ils le savaient. Comme je n’avais pas de quoi payer j’ai pris du retard dans mes paiements. »

Bertrand Dalle, propriétaire du Barrio Club
Barrio Club Lyon
Une fête au Barrio Club, dans la gare des Brotteaux, avant le Covid.Photo : BertrandDalle

Il conclut :

« Dans notre milieu, tout le monde a eu des problèmes avec les assurances, c’est des enfoirés. »

Après avoir trouvé une solution d’assurances plus confortable, Bertrand Dalle note avoir épuisé la trésorerie amassée sur une vie, soit 500 000 euros, en seulement une année.

« On n’est pas dans Scarface, on est des chefs d’entreprises »

Bertrand Dalle reste un infatigable optimiste :

« Il y a du positif. Dans les pays anglo-saxons, la nuit fait partie de la vie, au même titre que les magasins ou les restaurants. En France, c’est comme si elle était faite pour les marginaux. Cette crise contredit cela parce que je crois qu’on manque à tout le monde, aux habitués comme aux clubbers occasionnels. »

Il illustre :

« Au premier discours d’Olivier Véran [ministre de la Santé, ndl] à l’assemblée, quand il a parlé du sort des boîtes de nuit, des députés ont ri. Nous ne sommes pas considérés, alors que nous sommes nécessaires à la vie sociale et la vie culturelle. »

Pour le patron, cette idée est issue de vieux stéréotypes sur le monde de la nuit :

« Il y a un fantasme du patron de club mafieux qui a la peau dure. Cela pouvait être vrai dans les années 1970-80, quand la profession était plus rémunératrice, mais on n’est pas dans Scarface, en tout cas on ne l’est plus, on est des chefs d’entreprises. »

Il dit lui aussi avoir mis à profit ce temps de pause forcée pour penser à plein de nouveaux projets :

« On a fait des supers travaux pour offrir une chouette réouverture ! »

Il prévient, le retour sera spectaculaire :

« On a prévu des supers shows, comme amener les mojitos avec du spectacle. J’aime que les gens viennent chez moi pour oublier leur mauvaise journée, là c’est leur mauvaise année qu’il va falloir leur faire oublier. »

« La situation sanitaire a rendu les gens fous »

Malgré cet entrain, comme tous les patrons d’établissements de nuit, Bertrand Dalle est inquiet :

« On ne va plus être aidés, on va nous demander de rembourser, mais l’argent va rentrer à moitié parce qu’ils vont nous mettre des jauges. »

Ses présages sont pour le moins sinistres :

« La deuxième vague de fermeture de boîtes de nuit, elle va être à la réouverture. »

En sus, il redoute que le mauvais climat social global ait un impact sur son travail. Il en a eu un avant-goût en ouvrant la terrasse de son bar restaurant, le You, l’été dernier :

« Je n’ai jamais eu de bagarre, et j’en ai eu trois l’été dernier. Je ne sais pas si c’était la période ou les règles imposées par la situation sanitaire mais ça a rendu les gens fous. »


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Photo : LS/Rue89Lyon

Une soirée au Loft Club, avant la pandémie ©LoftClub

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