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[Podcast] Néolithique et anthropocène : nous n’avons pas la fin de l’histoire

Quelle sera la suite ? À défaut de pouvoir la prédire, l’histoire de l’anthropocène permet de voir sa construction. Et précisément comment l’homme et les sociétés se sont adaptés aux transformations entraînées par leurs volontés de maîtrise du vivant et de leur environnement. Le recul historique nous montre que tout n’est pas forcément inéluctable. Si la période néolithique s’est achevée sur le début de l’ère de l’anthropocène, la suite de notre monde aujourd’hui globalisé n’est pas forcément synonyme de fin de l’histoire.

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Maison du néolithique

Cette conférence du 7 avril fait directement écho à un autre évènement démarré à Lyon. Le 2 avril 2021, s’est en effet ouverte au musée des Confluences, l’exposition La Terre en héritage : du Néolithique à nous, à laquelle le néolithicien Jean-Paul Demoule et le géographe Michel Lussault ont contribué scientifiquement. Cette exposition montre la richesse des échanges entre les spécialistes de ces époques qui révolutionnent le Monde et questionnent l’habitabilité de la Terre.

On retrouvera les deux hommes ce mercredi 7 avril. Jean-Paul Demoule a signé le texte de présentation qui suit. Pour écouter la conférence en direct.

« Il n’est jamais très honnête chez les cruciverbistes (dont je ne fais pas partie) de finir, en panne d’inspiration, par regarder la solution d’un mot croisé. Pour ma part, il m’arrive, un polar à peine commencé, de passer tout de suite aux dix dernières pages, afin de m’épargner plusieurs heures d’une lecture haletante qui, au bout du compte, m’auraient laissé l’impression frustrante d’avoir perdu mon temps. Concernant le néolithique en revanche, il est tout à fait passionnant, pour un néolithicien, d’observer les conséquences à long terme (mais provisoires) de sa période de prédilection, dans un dialogue abouti avec les anthropocénistes.

Quand tout a commencé

Rembobinons le film, donc. Il y a douze mille ans, dans un éternel recommencement, un nouvel interglaciaire commence, au rythme des oscillations de l’axe de la terre par rapport au soleil, ainsi que l’a démontré il y a déjà près d’un siècle le savant serbe Milutin Milankovitch.

Là, un certain nombre de petits groupes d’homo sapiens, qui depuis 300.000 ans vivaient fort bien de chasse, de pêche et de cueillette et dont le nombre total ne dépassait pas un ou deux millions d’individus sur l’ensemble de la planète, entreprennent, indépendamment en divers points du globe, de prendre le contrôle d’un certain nombre d’espèces animales et végétales, disponibles dans leur environnement immédiat.

Cela ne fut pas une « révolution » brutale et immédiate. D’une part certains d’entre eux avaient déjà transformé, depuis plusieurs millénaires, des loups en chiens, tandis que l’apprivoisement, pour l’agrément, de petits animaux sauvages était bien attesté chez divers groupes de chasseurs-cueilleurs récents, voire même une petite horticulture d’appoint. D’autre part, cette prise de contrôle d’une partie de la nature fut tâtonnante, progressive, et certainement semée d’échecs provisoires et de retours en arrière.

Maison du néolithique
Maison néolithique reconstituée, site de Cuiry-lès-Chaudardes (Aisne), vers – 4900 avant notre ère Photo : UMR 8215 – Trajectoires – du CNRS

Homo sapiens se transforme en une espèce invasive

Néanmoins, en deux ou trois millénaires, la démographie humaine va partout exploser. En effet, avec la sédentarité et une nourriture mieux sécurisée, malgré d’inévitables aléas climatiques, les nouvelles agricultrices mettent désormais au monde un enfant presque chaque année – au lieu d’un tous les trois ou quatre ans chez les chasseuses-cueilleuses.

Certes, la nouvelle alimentation à base de céréales, plus molle et sucrée, convient moins bien à ces estomacs de chasseurs-cueilleurs, la proximité d’avec les animaux et le confinement dans des villages en dur favorisent les épidémies, la mortalité infantile est massive et les gestes répétitifs et pénibles de l’agriculture entrainent des troubles musculo-squelettiques importants, au point que dans un premier temps la taille des agriculteurs diminue. Il n’empêche, homo sapiens se transforme peu à peu en une espèce invasive qui élimine, et de plus en plus, toutes les espèces biologiques qui ne lui conviennent pas.

Les trois conséquences majeures

Ce boom démographique a eu trois conséquences majeures qui mènent à l’anthropocène, si tant est que l’anthropocène ne commencerait pas avec le néolithique, d’abord en signaux très faibles – pour devenir étourdissants aujourd’hui.

  • La première conséquence fut qu’il fallait nourrir de plus en plus d’humains sur une planète finie. Donc déboiser de plus en plus les sols pour les mettre en culture, mais aussi en augmenter sans cesse la fertilité en développant outils et machines, tout comme en multipliant engrais et pesticides, avec des effets sanitaires aujourd’hui catastrophiques, même si les lobbys agro-alimentaires les nieront jusqu’à la limite du possible, comme ce fut le cas pour le tabac ou l’amiante. L’élevage intensif, de même, contribuera à la dégradation environnementale et climatique. Plus globalement, la fabrication en nombre exponentiel d’objets censés indispensables à ce nombre exponentiel d’humains entraine aussi le rejet dans ce qui reste de la « nature » de leurs objets devenus obsolescents, avec une dégradation exponentielle des terres comme des mers.
  • La seconde conséquence est qu’avec l’ancrage, chacune sur son territoire, de communautés humaines de plus en plus denses, les conflits armés n’ont pu que se développer, tout comme la sophistication des armes – ce que l’archéologie confirme aisément, avec la multiplication des charniers, la fortification des habitats et la course aux armements, qui commence avec les premières épées, il y a près de 4.000 ans, et n’est pas près de s’achever.
  • La dernière conséquence est que l’on voit apparaître au sein de ces sociétés, et dès le néolithique, des individus beaucoup plus riches que les autres et qui ont, grâce aussi à des relations visiblement privilégiées avec le surnaturel, un pouvoir politique et économique croissant sur leurs semblables.

La fin de l’histoire ?

Tout cela était-il écrit d’avance, du moins si l’on regarde (en trichant, donc) ce point d’aboutissement (provisoire) du néolithique qu’on appelle anthropocène, terme qui déplait si fortement à certains de nos collègues climatologues et géologues et qui inscrirait encore un peu plus l’emprise humaine (anthropos) sur la planète ?

D’une part toutes les sociétés n’ont pas traité aussi brutalement leur environnement et toutes les sociétés n’ont pas été aussi fortement inégalitaires, certaines se gardant de pouvoirs trop forts et tâchant, à toutes époques, d’instituer au moins des prises de décisions collectives. Symétriquement, un bon nombre de sociétés sont allées dans le mur, soit pour avoir surexploité leur environnement, soit parce que les abus de leurs dirigeants ont conduit à des révolutions politiques plus ou moins violentes, quelles qu’en aient été les suites.

Si cette espèce invasive, homo sapiens, s’est imposée sur toute la planète, sinon au-delà, c’est aussi que ses facultés d’adaptation sont fortes. Il sera donc très intéressant d’observer à l’avenir comment, dans un mode désormais globalisé, elle arrivera à surmonter les inévitables crises, environnementales comme politiques, qui sont devant elle. Et là, nous n’avons pas encore la fin de l’histoire. »

Avec :

Jean-Paul Demoule. Archéologue et préhistorien, professeur émérite de protohistoire européenne à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Ses travaux portent sur la néolithisation de l’Europe, ainsi que sur les sociétés de l’âge du Fer, sur l’histoire de l’archéologie et son rôle social, ou encore sur ses constructions idéologiques et, à ce titre, sur le « problème indo-européen ». Ses derniers livres : Aux origines, l’archéologie. Une science au coeur des grands débats de notre temps (La Découverte, 2020), Trésors, les petites et les grandes découvertes qui font l’archéologie (Flammarion, 2019), Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire. Quand on inventa l’agriculture, la guerre et les chefs (Fayard, 2017).

Michel Lussault. Géographe, professeur à l’Université de Lyon (Ecole Normale Supérieure de Lyon), membre du laboratoire de recherche Environnement, villes, sociétés et du Labex IMU. Dans son travail, il analyse les modalités de l’habitation humaine des espaces terrestres, à toutes les échelles et en se fondant sur l’idée que l’urbain mondialisé anthropocène constitue le nouvel habitat de référence pour chacun et pour tous. Afin de pouvoir amplifier de telles recherches qui exigent une véritable interdisciplinarité, il a créé, en 2017, l’Ecole Urbaine de Lyon. Ses derniers livres : Chroniques de géo’ virale (École urbaine de Lyon & Deux-cent-cinq, coll. À partir de l’Anthropocène, 2020), avec Yann Calberac, Olivier Lazzarotti, Jacques Lévy, Carte d’identités. L’espace au singulier (Hermann, 2019), Hyper-lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation (Le Seuil, Coll. la Couleur des idées, 2017).

Animation :


Bérénice Gagne. Issue d’un parcours de formation pluridisciplinaire entre littérature, sciences du langage et sciences politiques, elle réalise, depuis 2019, la veille hebdomadaire de l’École urbaine de Lyon sur l’Anthropocène.

Pour suivre ou réécouter la conférence :

À lire aussi sur le sujet : Néolithique Anthropocène. Dialogue autour des douze mille dernières années (coédition École urbaine de Lyon & Deux-cent-cinq, coll. À partir de l’Anthropocène, printemps 2021) 

Tout le programme du mois d’avril 2021 des Mercredis de l’Anthropocène saison 5.


#Mercredis de l'anthropocène

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