
La question environnementale est au centre des préoccupations de bien des Lyonnais (mobilisations, manifestations, résultats électoraux…). C’est ce que cette tribune rédigée par Renaud Pierre démontre à nouveau, publiée sur Rue89Lyon.
« Le thème de la pollution atmosphérique s’est retrouvé au cœur des récentes marches climatiques lyonnaises, et, de fait, il semble évident que la lutte contre la pollution de l’air et la lutte contre les dérèglements écologiques sont étroitement liées.
En ville particulièrement, les transports sont à l’origine de la plus grande partie des polluants de l’air (PM et Nox) comme des émissions de gaz à effet de serre (CO2). Il apparaît clairement qu’une action ambitieuse de changements de nos modes de déplacements est une opportunité d’agir sur les deux fronts à la fois, qui plus est, dans une des métropoles européennes où la voiture est la plus présente en terme de déplacement domicile-travail.
Mais, là où les citoyens mobilisés semblent faire assez facilement les liens et considérer les solutions dans une approche globale, le monde politique, empêtré dans son modèle de développement, a tendance à segmenter les choses et, in fine, à tenter d’en améliorer une en aggravant l’autre.
Ainsi, la lutte contre la pollution de l’air dont la ZFE (Zone à Faible Émission ) lyonnaise est une des pierres angulaires ne remet absolument pas en cause la place de la voiture individuelle dans notre rapport à la mobilité et vise, au contraire, et de manière paradoxale à encourager l’achat de véhicules neufs.
Les véhicules professionnels responsables en partie de la pollution à Lyon
L’équation de la Métropole est la suivante : une moitié de la pollution dans la ville est due aux véhicules professionnels (poids-lourds et utilitaires), ceux-ci représentant quantitativement moins de véhicules et, puisqu’on ne souhaite pas attenter au « pouvoir d’achat » des ménages, c’est sur ces professionnels que va peser la contrainte de s’équiper d’un véhicule neuf et donc moins polluant.
Par la suite, peut-être irons-nous plus loin en incitant également les particuliers à changer de voiture, voire les aiderons-nous financièrement à acquérir une automobile répondant aux meilleurs objectifs Crit’air.
Concernant la pollution de l’air, si le renouvellement des véhicules peut effectivement participer à réduire certains polluants atmosphériques il laisse de côté plusieurs éléments : la qualité des filtres repose en grande partie sur la foi des tests de constructeurs automobiles dont on sait que certains ont été confondus pour fraude.
Par ailleurs une grande partie des filtres à particules catalysés réduisent certes les PM mais au prix d’une augmentation du No2. Enfin, et surtout, les scientifiques alertent sur le fait que les nouveaux filtres agissent en fragmentant les PM 10 et 2,5 en particules ultra-fines non décelées par les capteurs.
Ainsi, on pourrait être amenés à considérer que la qualité de l’air s’améliore alors que ce même air serait saturé d’éléments trop fins pour être détectés par les capteurs d’Atmo mais d’autant plus nocifs car passant directement dans le sang et au cerveau, sans être « filtrés » par la barrière pulmonaire.
La voiture non polluante, un faux Graal
Il est donc nécessaire de rappeler que le véhicule le moins nocif est bien celui qui ne circule pas.
Et, partant de ce constat, il est somme toute assez étrange de s’attaquer en premier lieu à qui a un besoin professionnel de son véhicule pour transport d’outils ou de marchandises en laissant de côté celui qui l’utilise pour commodités personnelles dans une ville où existent des alternatives. Car l’argument social que défendent les élu.e.s ayant initié cette ZFE pour justifier de ne pas y intégrer la voiture individuelle a fait long feu.
Les citoyens les plus en difficultés dans l’agglomération sont aussi souvent des utilisateurs des transports en commun dont les tarifs ont une nouvelle fois augmenté en début d’année, et, à l’inverse, les études montrent que dans les métropoles, le nombre de kilomètres domiciles-travail a plutôt tendance à augmenter avec les revenus.
Si, au niveau national, le démantèlement des lignes de train, l’installation de grandes surfaces au détriment des commerces de proximité et la disparition des services publics entretiennent une forte dépendance à la voiture, il est fallacieux d’utiliser cette grille de lecture dans le cas d’une ville comme Lyon, et d’associer défense de la voiture individuelle et politique sociale.
En fait, tabler sur des améliorations fortes de la qualité de l’air en continuant à miser sur un saint Graal d’une voiture non polluante, est voué à l’échec.

Ciel pollué à Lyon. ©Mickaël Draï.
La Métropole de Lyon « noie le poison »
En s’appuyant sur les études montrant qu’au niveau national les émissions de polluants atmosphériques se répartissent à égalité entre le résidentiel, l’industrie et les transports, les autorités métropolitaines laissent entendre que la voiture ne serait qu’un élément parmi d’autres et qu’il ne serait pas raisonnable d’y concentrer tous nos efforts.
Malheureusement, elles oublient de préciser que cette proportion n’est plus du tout la même si l’on considère les zones fortement urbanisées (Lyon-Villeurbanne) où l’automobile est la principale source de pollution, responsable jusqu’à 80% des émissions de polluants le long des grands axes routiers.
Aujourd’hui, presqu’un véhicule neuf sur deux vendu en Europe est un SUV, c’est à dire un gros consommateur de carburant dont le succès explique en partie la reprise à la hausse des émissions de CO2 du secteur automobile après des années de baisse. Il faut ajouter à cela que les SUV sont de gros consommateurs d’espaces et augmentent très sensiblement la mortalité lors d’accidents de la route.
Moins de degrés pour des « villes vivables »
Favoriser les achats de véhicules neufs au nom de la lutte contre la pollution, c’est donc, indirectement, favoriser l’achat de ces grosses voitures qui peuvent bénéficier d’une vignette de « bonne conduite » crit’air 1 ou 2 puisque l’idée d’introduire un « malus » écologique qui prenne en compte la consommation du véhicule a été abandonnée.
Favoriser l’achat de véhicules neufs pour lutter contre la pollution, c’est aussi oublier que la majeure partie des émissions de CO2 d’une automobile se font lors de sa construction et qu’une fois mis au rebut il continue à polluer sous d’autres latitudes ou lors de sa destruction.
La question de l’obsolescence vaut aussi pour les voitures, et c’est d’ailleurs une des recommandations faite suite aux derniers rapports du GIEC que de ne plus acheter d’automobile neuve .
Favoriser l’achat de véhicules neufs, c’est également continuer à se placer dans un modèle de mobilité automobile auxquels sont associés l’émiettement urbain, l’artificialisation des sols et des émissions toujours à la hausse.
Les diverses projections, à courte échéance, des scientifiques intègrent une marge d’incertitude mais s’accordent sur le fait que les bouleversements en cours vont s’aggraver et qu’il est urgent d’agir non seulement car le moindre dixième de degré « gagné » est important ; mais aussi parce que les villes qui auront changé leur modèle de mobilité et réduit l’empreinte des infrastructures routières au bénéfice d’espaces végétalisés et de sociabilité ont plus de chance de rester « vivables ».
Des choses ont été faites dans la Métropole, et qui vont dans le bon sens, notamment le développement des voies vélos, la réduction de la vitesse sur le périphérique, la multiplication de voies dédiées pour les bus, la transformation future du tronçon A6/A7 en boulevard urbain et très récemment l’annonce d’une piétonisation, à titre expérimental, de la presqu’île.
Mais cela est loin d’être suffisant et doit être porté par un discours qui vise clairement à changer la «norme» en termes de déplacements. Il n’est pas possible de continuer à ménager la chèvre et le chou, à ne pas vouloir « opposer les modes » et à ne pas arbitrer clairement en faveur des alternatives à la voiture qui est hégémonique sur l’espace urbain, alors que son bilan énergétique global est désastreux.
Le « dévoiturage » : une mesure urgente pour le climat
Sur le territoire de la métropole, en terme de déplacements, de nombreuses mesures urgentes peuvent et doivent être prises au nombre desquelles :
- intégration des trains régionaux à l’offre de transports, tant en terme d’informations que de prix et de subsidiarité dans les projets de nouvelles lignes ; 2X1 voie automobile maximum généralisé à l’ensemble des axes, 2X2 voies automobiles maximum sur périphérique, rocade, tronçons de raccordement ;
- réaffectation de l’espace gagné au profit du cheminement piéton, des voies transports en commun/vélo et de la végétalisation ; ticket de transport à 1 euro (ne pouvant en aucun cas dépasser celui du litre d’essence) et gratuité pour les enfants de moins de 12 ans ;
- mise en place de rues entièrement cyclables ;
- droit opposable pour le bus à bénéficier d’une voie de circulation dédiée en toute circonstance au détriment si nécessaire du double sens automobile ou du stationnement en surface, et généralisation du système de priorité en temps réel aux feux ;
- extension des plages horaires et fréquences des transports en commun ;
- larges zones à trafic limité ;
- évènements à visée pédagogique telle la journée sans voiture à l’échelle de la ville ;
- développement des taxis-vélos comme réel moyen de transport complémentaire notamment pour les personnes à faible mobilité ;
- création des zones commerciales et résidentielles conditionnées à un accès transports en commun et modes actifs ;
- généralisation des garages à vélos sécurisés et gratuits ;
- suppression de la publicité (monopolisée en grande partie par le secteur automobile et les compagnies aérienne) ;
- aide à l’acquisition de vélo-porteurs électriques pour les professionnels ;
- planification de la sortie des véhicules particuliers de la ZFE…
La liste est longue des mesures, et il y en a bien d’autres, qui permettraient aux transports en commun et aux mobilités actives de devenir la norme en terme de déplacements, d’incarner pour tou.te.s la manière la plus simple, économique, conviviale de se déplacer. Bien sûr, il s’agît aussi d’accepter d’aller à l’encontre de certains intérêts privés.
Mais cette nécessité de « dévoiturer » nos imaginaires, nos espaces et nos vies est aussi porteuse d’une vision nouvelle et réjouissante.
Elle dessine des possibles nouveaux en terme d’urbanisme, de tissu social. Elle est surtout, à son niveau, une des manières d’être à la « hauteur » de notre époque. »
A ce rythme si il n'y a pas de politique plus volontariste en terme de qualité de l'air + végétalisation, la Métropole et Lyon en particulier vont perdre de leur attractivité dans les années à venir avec risque de crise économique locale et baisse de l'immobilier.
Bruno Cateland
Globalement d'accord avec vous, Renaud Pierre, mais qu'entendez vous par "mise en place de rues entièrement cyclables" ?
Et puis, même si on n'est plus dans le déplacement :
il faut planter des arbres, dans une majorité de rues, même si les tuyaux sous la chaussée empêchent de les aligner comme un rang d'oignons : tans pis s'il faut un peu "slalomer".
Oui oui bien sûr comme je l'évoque dans l'article, les espaces gagnés sur l'automobile permettraient de multiplier les arbres et la végétation. Le problème que vous évoquez quand à la manière de les planter nous renvoie à la manière dont nous envisageons la "nature" en ville. Les arbres plantés dans un cube de béton sans aucune possibilité d'étendre leurs racines les rendent vulnérables à des évènements climatiques et sans réel lien avec la vie des sols. Il y a donc effectivement une réflexion à mener sur cette "cohabitation" souterraine entre nos réseaux d'alimentation et la vie végétale.
Concernant la rue entièrement cyclable c'est une rue où la chaussée est entièrement affectée à un double sens cycliste. Les jeunes pour le climat en ont matérialisé symboliquement une au sol, récemment, devant l'école Michel Servet. Dans certaines villes existe aussi la "vélorue" où les véhicules moteurs sont autorisés mais doivent rester à la vitesse des vélos sans possibilité de les doubler.
Mais il me semble que l'axe le plus important est bien celui d'une réduction drastique des voies de circulations automobiles (3X3 voies voire 4 sur les quais du Rhône n'est plus tenable), des prix extrêmement attractifs pour les TC (gratuité à discuter) et l'image très incitative de Transports en commun et de vélos qui bénéficient d'une voie réservée en toute circonstances et ne soient jamais tributaires de la congestion automobile pour circuler. Enfin, le rapprochement TCL / SNCF sur la Métropole en termes de maillage, d'info et de prix semble assez évident.
Et puis, dans une période comme, semble t-il, nous allons traverser cette semaine où canicule et pic de pollution vont aller de pair, une mesure de circulation alternée et de libre accès aux transports (ou ticket unique pollution) paraitrait largement souhaitable pour tempérer un tant soi peu le phénomène d'ilots de chaleur.
Encore d'accord. Je "milite" pour que l'axe nord-sud (rive droite du Rhône), du pont Churchill à Oullins, voit le trafic distribué autrement :
- piétons, vélos et bus sur trottoir et chaussée ouest (côté immeubles)
- circulation motorisée privée sur chaussée est (côté Rhône), en 2 x 2 voies :
https://www.google.com/maps/d/u/0/edit?mid=1mvEXfMUYAZYnYvfuWyhnib8Zz90&ll=45.74939288478261%2C4.8259807174590605&z=17
https://www.google.com/maps/d/u/0/edit?mid=1TdwSiEH8g94qZPYidVbFSWOws-c&ll=45.73052510142283%2C4.815364572293674&z=17
Jamais on n'y remet en cause fondamentalement notre rapport au travail, ces 8 heures longues et inutiles, sa localisation, l'impératif de l'entreprise de générer des flux pour en tirer un profit, qui présupposent tous ces déplacements humains et de marchandises.
Jamais d'ailleurs on n'y remet en cause le transport maritime ou aérien, justifié par nos petits modes de consommation forcés ("Le Pouvoir d'achat"), ou confortables et égoïstes (tourisme, climatisation).
Jamais on n' y remet en cause la course aux profits obligatoires des entreprises, à la base de cet emballement cauchemardesque.
On préfère dire "tiens toi qui va bosser tous les jours, pour payer ta bouffe, ton loyer, ton crédit stratosphérique pour 4 pauvres murs, eh bah va falloir que tu fasses autrement".
Cela ne change pas beaucoup du "Tiens, j'ai une idée: on va te taxer".
Quelle paresse idéologique, quelle médiocrité collective!
Le plus dingue c'est de croire encore que la solution est dans le "dialogue politique"... Ça fait bien 40 ans que le politique ne décide plus rien d'important pour l’intérêt général (celui-ci n'existe pas, il parait).
Au moins on voit maintenant la réalité de son décors mou: des discussions, des clashs de marionnettes, des votes inutiles, des décisions soit désespérantes, soit réservées à un petit cénacle trop intéressé à préserver ses intérêts, qui ne voit même pas sa fin, à force d'obstination.
Car celle-ci viendra sans doute plus tard que pour le traditionnel bonhomme coupable d'aller bosser: plus feutrée, plus douce j'imagine, mais elle viendra.
Alors bon. Ces propositions agiront sans doute plus comme un anti-dépresseur palliatif pour être humains socialement atomisés façon puzzle que comme "solution".
Cela étant dit, je pense qu'il est également vain de chercher à changer les choses sans interroger un tant soit peu nos imaginaires consuméristes au rang desquels l'automobile fait partie des fondamentaux. La voiture n'est pas une fatalité dans nos modes de déplacements, elle est le fruit de choix politiques et industriels qui ont conditionné notre habitat, nos relations, nos habitudes et est, à mon sens, une des responsables principales de cette "atomisation sociale" que vous évoquez.
Comme je le rappelle dans l'article, l'automobile représente directement et indirectement notre plus grosse contribution en gaz à effet de serre, à la pollution de l'air en ville et au phénomènes des "ilots de chaleur", mais elle est aussi un frein à notre imagination pour une société plus écologique, plus juste et plus solidaire.
Par ailleurs, je crois que c'est aller un peu vite que de considérer la défense de la liberté de circulation automobile comme une mesure sociale. On a parfois une nécessité absolue de la voiture, mais dans beaucoup de cas, dans une ville comme Lyon, l'automobiliste est un privilégié qui s'ignore. Le slogan "transports collectifs de partout et accessibles à tous" est assurément plus égalitaire que celui de l'essence à bas prix.