Pour autant, les invité.e.s de La Chose publique, festival des idées, ont tenté de décortiquer vendredi soir au cours de deux débats la façon dont les méthodes managériales ont infusé les services publics, mais aussi de plonger dans les origines du travail et dans son évolution.
Parmi ce que l’on retient d’une soirée passée sur un travail salutaire de définitions (de quoi l’Etat est-il le nom ?), il y aura, pour démarrer et en étant à dessein un peu injuste, la frustration ressentie par quelques spectateurs. L’une demandant à entendre parler davantage d’économie sociale et solidaire. L’autre ne comprenant pas que le débat n’ait pas tourné uniquement sur le sentiment démocratique.
La question du travail et celle du fonctionnement de l’Etat, développées dans deux conférences distinctes, suscitent en fait les mêmes crispations et le constat d’une incapacité, d’une difficulté, à se mettre d’accord sur une définition commune.
Les allemands et les scandinaves, super-héros ?
Parmi les propos marquants et dans les oppositions riches, ceux concernant le “modèle social allemand”. Pour Jean Peyrelevade (haut fonctionnaire, ex-PDG du Crédit lyonnais, président de la banque Stern ou encore de Suez, et essayiste), le fait qu’il n’y ait (quasi) pas de grève chez nos voisins européens serait lié à un dialogue social particulièrement intense et permanent. Réussi ?
Thomas Coutrot, économiste et statisticien, a plutôt pointé la défaite de l’action syndicale allemande, au sein des structures des entreprises -en donnant notamment l’exemple des scandales chez Volvo au cours desquels les syndicats auraient pu jouer un rôle mais n’ont finalement pas servi de contre-pouvoir face à une dérive.
“Le modèle allemand est quand même très malade”, a-t-il estimé. Il a rejoint Jean Peyrelevade en revanche sur le fait que celui qui résiste le mieux serait le modèle scandinave (où « l’entreprise est un intérêt collectif »).
“Mais il reste sous pression de la mondialisation, avec une montée de la xénophobie aussi”, a relativisé Thomas Coutrot.
Dans la foulée, l’économiste a poursuivi son propos, déclarant qu’il existe un lien entre la façon dont les citoyens sont gouvernés dans leur entreprise et la façon dont ils ont voté en 2017 : des résultats d’enquêtes montrent une corrélation forte entre le manque d’autonomie dans l’entreprise vécu par le citoyen et le taux d’abstention ou encore le vote pour Marine Le Pen au premier tour.
“Le travail est au coeur de la démocratie”, a-t-il lâché.
Et les conférenciers qui ont suivi pour répondre à la question « L’Etat est-il une entreprise comme les autres ? » n’étaient pas loin de pouvoir lâcher la même sentence.
La start-up nation et l’intérêt général
Thibault Le Texier, docteur en économie et chercheur en sciences sociales, a posé un intéressant propos préliminaire concernant le management. A l’origine, le terme signifie aider l’autre à développer son potentiel. Ce à quoi l’ingénieur américain que l’on connaît, Frederick Winslow Taylor, a mis fin pour définir une organisation performante, mettant à mal le maillon pénible de la chaîne, l’humain.
Là aussi, beaucoup de travail de définition. Raphaël Bourgois (France Culture), excellent modérateur, était d’abord parti de l’expression de start-up nation qui a été utilisée par Emmanuel Macron pour définir son lieu de gouvernance.
Bertille Bayard, journaliste au Figaro, est en quelques sortes venue à la rescousse de l’actuel président de la République, en traduisant plutôt ce terme comme l’envie d’un grand dynamisme à infuser dans la société.
Thibault Le Texier a voulu rappeler que le rôle de l’Etat et de sa gouvernance élue est de se demander si ce qu’il fait est juste plutôt que s’interroger sur une éventuelle efficacité des services publics.
Dans cette partie des débats, la loi Pacte a fait l’objet d’échanges fournis, et notamment son aspect présentant l’entreprise comme une instance en capacité de se donner une « mission » estimable.
Bertille Bayard estime qu’en faisant participer l’entreprise à la définition de l’intérêt général, il y a débat : “c’est au politique de définir cet intérêt général”. Cette fois rejointe par Thibault Le Texier, plus radical toutefois :
“L’entreprise à mission, c’est pipeau”.
Prenant l’exemple des marchands d’armes qui voudraient tout à coup faire la paix dans le monde -une mission simplement contre-productive avec son objet.
Vous pouvez écouter l’intégralité des échanges ci-après.
L’Etat est-il une entreprise comme les autres ?
Démocratie dans l’entreprise, casser les codes
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