En novembre dernier, un projet de réfection et d’amélioration des lieux stratégiques (pour le tourisme) de la Presqu’île cherchait à évincer les skateurs du centre-ville. Dans le dossier de presse listant les travaux à réaliser, il était écrit « insertion de dispositifs anti-skate ».
Cette annonce provoqua une levée de bouclier de la part de la communauté lyonnaise : les skateurs craignant surtout pour un de leurs spots mythiques, la place Louis Pradel (rebaptisée « HDV » pour Hôtel de Ville). Ils lancent alors la pétition « Save HDV », signée par plus de 12 000 personnes.
Depuis, ils ont obtenu une réunion avec la Métropole, ont présenté un dossier clair et argumenté. La discussion avec les élus est, de l’avis des deux parties, constructive, et des compromis sont trouvés. Les riders seront consultés et associés au processus de reconstruction de la place, comme d’autres sites.
Cet épisode met en pleine lumière une communauté skate bien vivante, qui a écrit son histoire dans la ville, y possède une culture propre et tient à la conserver.
Le skateboard vit une histoire passionnée avec la capitale des Gaules : c’est ici que des skateurs professionnels comme JB Gillet, Flo Mirtain ou le jeune Aurélien Giraud (qui intègre l’équipe de France pour la première compétition de skate aux JO de 2020) ont fait leurs preuves avant de connaître un succès international.
C’est ici que sont nées les marques Cliché ou Antiz Skateboarding.
Lyon est devenue une place forte de la discipline sur la scène européenne, notamment grâce à ses spots célèbres : la place Louis Pradel bien sûr, avec son revêtement usé, ses curbs et sa pyramide, mais aussi le skatepark de Gerland, le bowl de la Guillotière et le Lyon 25.
Ça ne vous dit rien ? C’est le nom donné par les skateurs du monde entier aux 25 marches de la Cité Internationale, réputées infranchissables.
Fin 2015, après plusieurs tentatives, l’américain Aaron « Jaws » Homoki rentre un ollie monumental et surmonte cet obstacle, qui avait résisté à la légende Ali Boulala treize ans plus tôt, dans une vidéo restée mémorable.
« Des beaux quartiers jusqu’aux zones industrielles »
Cet instant magique, c’est le Lyonnais Fred Mortagne alias « French Fred » qui l’a immortalisé. Mondialement reconnu pour des vidéos tournées ici pour des grandes marques de glisse, puis partout dans le monde, il a grandement contribué à faire connaître Lyon aux skateurs du monde entier :
« Les mecs que j’ai connu à HDV venaient de tous horizons et de tous les métiers. C’est un ensemble d’acteurs très différents, qui se rassemblent autour du skate. C’est une grande communauté, solidaire, et c’est aussi ce qui fait sa force. »
Il insiste sur les valeurs d’ouverture et de partage :
« Quand tu es skateur, tu vas dans des beaux quartiers jusqu’aux zones industrielles, ou dans les cités. C’est ce qui fait la richesse du skate : tu te confrontes à toute la diversité sociale, tu n’es pas enfermé dans ta propre catégorie. »
Le skateboard diffuse des ondes positives et n’est plus seulement considéré comme une nuisance visuelle et sonore.
Kevin est l’ancien responsable d’un des nombreux skateshops de Lyon (notamment ABS, Namasté, Wall St. ou CDK). Il a pu constater l’ampleur du phénomène, qui s’étend aussi au-delà du sport depuis quelques années :
« J’ai vu passer des tonnes de gamins qui faisaient passer le look avant le skate. Les mecs avaient les dernières Osiris D3 qui coûtaient un bras, un gros baggy Volcom, mais n’étaient jamais montés sur une planche. »
Une communauté hyperactive
Il a vu passer tous types de clients : des skaters « core », qui usaient leurs boards jusqu’à la rupture, avec aux pieds des shoes rapiécées à la Shoe Goo (pâte réparatrice pour les chaussures), jusqu’aux ados qui venaient le samedi en compagnie de papa et de son American Express pour s’offrir un nouvel ensemble board+shoes, à fréquence régulière.
L’évolution continue. Longtemps marginalisé, autrefois contre-culture, le skate est aujourd’hui beaucoup plus accepté, et cette hype dépasse le contexte du sport.
En voyant la réaction qu’a provoquée l’annonce des travaux sur la place Louis Pradel, on prend conscience que les différentes cultures skate se retrouvent autour des sujets qui importent.
Avec une communauté hyperactive et fière de son histoire, Lyon s’installe durablement comme une place forte de la planète skate.
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