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À Lyon, le procès du « Penelope Gate du pauvre »

Elle était censée être l’assistante de son mari et travailler à la maison. Mais lui n’est pas candidat à l’élection présidentielle et elle ne s’appelle pas Penelope. C’est Marion T., épouse de Louis T., dirigeant d’une grande agence de communication lyonnaise.

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Nouveau palais de justice. Férvier 2017. Lyon ©Léo Germain/Rue89Lyon

Marion T. et son mari comparaissait le 3 février devant la cinquième chambre du tribunal correctionnel de Lyon. Lui est poursuivi pour abus de bien social ; elle pour recel.

Jusqu’à ces deux dernières années, Médiacité faisait des envieux sur la place lyonnaise. Spécialisée dans la communication des collectivités territoriales, l’agence avait pour clients la Ville de Lyon, la communauté urbaine, le Département ou encore le Sytral (l’autorité organisatrice des TCL).

Dès l’ouverture du procès, la présidente Michèle Agy n’a pas l’air franchement impressionnée par ces états de service. Elle interroge vertement les prévenus, leur faisant comprendre de quel côté de la barre ils se situent.

La présidente reprend les témoignages des salariés de Médiacité. De 2011 à 2014, aucun salarié n’a vu la femme du patron dans les locaux de la rue de la République. Elle cite trois dépositions affligeantes.

« Je l’ai vue deux heures en un mois ».

Un autre :

« Je ne l’ai jamais vue. Elle n’était jamais à la société ».

Quant à la comptable, elle l’a croisée car elle venait « déposer des notes de frais ».

La présidente interroge le patron de Médiacité qui nie en bloc : ces dépositions sont un «tissu de mensonges ».

« Votre rôle ? » demande la présidente à la femme du patron.

Marion T. vacille :

« Je ne sais pas bien. Avec ma maladie, je me sens fragile ».

C’est sa principale justification :

« Depuis quinze ans, j’ai développé une hypersensibilité aux produits chimiques. J’ai repris à mi-temps en 2002 et en parallèle j’ai créé une association sur cette maladie. Ça m’était impossible de remettre les pieds au bureau. »

La question de la présidente reste sans réponse. On ne connaîtra pas le rôle exact de Marion T. :

« Je fais des recherches sur Internet. Je montais des appels d’offres. Je m’occupais de l’international. Je continuais à faire la petite main. »

Une voiture de fonction et des cours d’anglais

La présidente n’est pas troublée par la prévenue qui demande à s’asseoir puis à sortir pour boire de l’eau. La juge reprend sur ce ton cassant :

« Vous aviez un véhicule de fonction, une Mercedes Classe B. Pourquoi avoir dit aux policiers que ce n’était pas votre voiture ? »

Et l’interrogatoire se poursuit. On apprend ensuite que ce sont des cours d’anglais que l’assistante de Monsieur T. a suivis. Deux sessions de cours à 1 500 euros, payées par l’entreprise. La dernière a été réalisée alors qu’elle avait déjà pris sa retraite en 2014.

« Vous dites que vous n’êtes pas intervenue en Chine mais surtout en Suisse. On ne parle pas anglais à Lausanne, non ? »

Les accusations d’abus de biens sociaux ne s’arrêtent pas là. En janvier 2016, lors de la perquisition dans la maison des T., dans l’ouest lyonnais, la police a trouvé, accrochées aux murs du salon, trois photos achetées pour la somme de 24 000 euros. Toujours pour le compte de la société.

Les policiers ont également trouvé une caisse de champagne. La juge souligne qu’il s’agit de la même marque que les caisses achetées en décembre 2013 pour la somme de 1 600 euros.

Nouveau palais de justice. Férvier 2017. Lyon ©Léo Germain/Rue89Lyon
Le tribunal de grande instance de Lyon. ©Léo Germain/Rue89Lyon

Le « Penelope Gate du pauvre »

« Avec un emploi fictif à 1 500 euros par mois, on a affaire au Pénélope Gate du pauvre ».

Le procureur de la République a le sens de l’actualité et de la formule. Il chiffre le préjudice à 90 000 euros sur les trois ans pris dans la procédure. Et d’asséner à l’endroit du patron de Médiacité :

« On a un dirigeant qui confond son patrimoine personnel avec le patrimoine de l’entreprise. »

Le procureur requiert deux ans de prison dont dix-huit mois avec sursis et 50 000 euros d’amende pour monsieur; un an de sursis et 30 000 euros d’amende pour madame.

Ces réquisitions prennent en compte le travail dissimulé dont est également accusé Louis T.
L’avocat du couple, Olivier Gardette, se lance alors dans une interminable plaidoirie pour demander la relaxe :

« Ici, même si des gens attendent l’hallali, on n’est pas au tribunal médiatique. »

Il balaie tout d’un revers de manche. Les photos au mur du salon ou les caisses de champagne, c’est « pour recevoir du monde », dans la perspective du « développement avec la Chine ».

Pour justifier ces réceptions au domicile des T. et non au siège de l’agence, l’avocat lit une unique lettre écrite par une galeriste qui les remercie pour « cette belle soirée ».

Porsche Panamera et travail dissimulé

La défense peine à convaincre, surtout sur le point qui a le plus occupé les débats. Le non-paiement des heures supplémentaires, autrement dit, en matière pénale, du travail dissimulé.

En décembre 2013, après un contrôle de l’entreprise, l’Inspection du travail a dressé un PV :

« Le nombre d’heures de travail indiqué sur les bulletins de paie est inférieur à celui indiqué sur les « listes d’heures ».

Pour le seul mois d’octobre 2013, 79 heures n’ont pas été comptabilisées.

L’avocat de la défense explique la « charrette » :

« En octobre-novembre 2013, il fallait rédiger le bilan de mandat de Gérard Collomb ».

Quant au patron, Louis T., il reconnaît qu’il n’y avait pas de système de récupération des heures supp’ mais que « tout s’était déroulé en harmonie depuis la création de la société en 1984 ».

Dans sa plaidoirie, l’avocate de cinq salariées constituées parties civiles, Lucie Davy, insiste sur un seul point, grosse épine dans la chaussure du dirigeant :

« Il n’y a pas d’accord d’aménagement du temps de travail qui prévoit des récupérations en jours de congés ».

C’est donc à Louis T. de prouver qu’il a bien payé des heures supp’ à ses salariés. Ce qu’il est incapable de faire.

Généralement, les PV de l’Inspection du travail sont classés sans suite par le parquet qui se désintéresse des affaires de droit du travail. Mais une lettre anonyme envoyée aux impôts évoquant l’emploi fictif de l’épouse et les autres dépenses somptuaires a sensiblement alourdi le dossier pénal.

Il n’en fallait pas plus pour l’avocat de la défense qui se lance dans une plaidoirie osée :

« La théorie du complot n’est pas que dans les romans. Ces salariées ce sont liguées contre Louis T. »

Il parle même de « meneuses » qui ont « commis une effraction » et sous-entend lourdement que l’inspection du travail aurait retouché les relevés d’heures. D’« effraction », il n’en a jamais été question dans l’enquête de police.

Ces salariées ont pourtant de quoi être passablement énervées.

En 2013, Louis T. s’est payé (toujours avec l’argent de la société) une Porsche Panamera d’environ 100 000 euros.

Six mois plus tard, trois salariées étaient remerciées. Motif ? Licenciement économique.

À partir de là, la moitié est allée trouver le syndicat SUD et les casseroles ont été sorties.
Trois sont allées aux prud’hommes et ont gagné.

Ce vendredi, elles étaient six, constituées parties civiles, sur la dizaine de salariés que comptait à cette époque Médiacité.

Aujourd’hui, Médiacité est une société sans personnel. Louis T. a récemment changé les statuts de l’entreprise pour y ajouter une nouvelle activité de « développement des échanges artistiques » particulièrement avec la Chine.

Mais pour l’instant pas l’ombre d’un artiste chez Médiacité.

 

> Mise à jour du 20 février : Dans un jugement du 16 février, Louis T. a été condamné pour abus de biens sociaux et travail dissimulé à un an de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende et la confiscation des photos qu’il exposées à son domicile. Sa femme, Marion T., a écopé d’une peine de six mois de prison avec sursis pour recel d’abus de biens sociaux. Ces peines ne prennent pas en compte les accusations d’emploi fictif pour lesquelles le couple a été relaxé.


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