
Des familles croyaient trouver un foyer d’hébergement, elles se sont retrouvées assignées à résidence dans un centre de préparation au retour, nouvellement créé à Gerland.
C’était à la Une des médias en novembre : des établissements scolaires occupés pour mettre à l’abri des familles SDF et leurs enfants scolarisés et alerter sur leur situation (lire ici ou là).
Après plusieurs jours de mobilisation, 34 familles (représentant 68 enfants) avaient été hébergées par la préfecture du Rhône.
Certaines, déboutées du droit d’asile, sont allées à l’hôtel. Une dizaine de jours plus tard, ces familles ont été visitées par des employés de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII, un établissement du Ministère de l’Intérieur).
On a trace d’au moins cinq familles qui ont connu pareille expérience.
A chaque fois, on leur remet un courrier qui annonce :
» Vous avez été placés temporairement à l’hôtel pour qu’une solution de prise en charge adaptée à votre situation administrative puisse être étudiée.
Vous devez quitter l’hôtel ce lundi 12/12 à 9h .
Toutefois, je vous informe que vous avez la possibilité de poursuivre votre mise à l’abri en vous présentant ce même jour à 10h au dispositif d’aide au départ situé au 22 rue de l’Effort. Sur place, une équipe de l’OFII vous accueillera pour envisager avec vous les différentes possibilités. »
Fini l’hôtel, direction le 22 rue de l’Effort, dans le 7ème arrondissement de Lyon, pour un mystérieux rendez-vous préparant au « dispositif d’aide au départ ».

Une des lettres remises pour se présenter au « centre de préparation au retour », à Gerland.
Un centre « expérimental » à Gerland
Au 22 rue de l’Effort, à Gerland, l’OFII a pris ses quartiers dans un ancien foyer pour personnes âgées aveugles. Il s’agit d’un « centre de préparation au retour », selon la terminologie officielle. Après la Moselle, le Rhône expérimente ainsi ce type de dispositif.
Ouvert le 15 novembre, le centre lyonnais héberge aujourd’hui 15 familles, soit environ 45 personnes pour l’essentiel albanaises. Il une capacité d’accueil de 60 places. Un objectif de 80 places a été fixé (chiffres préfecture). C’est Adoma qui assure la gestion du lieu.
Toutes sont déboutées d’asile. En arrivant, les adultes sont assignés à résidence et doivent donc aller pointer deux fois par semaines au commissariat du 7ème arrondissement.
Les familles sont là pour une durée de 45 jours, renouvelable une fois. Le temps de « préparer le retour ». Un premier départ est prévu mi-janvier.
« On propose aux déboutés de l’asile un retour dans la dignité. L’OFII est là pour accompagner ce retour au pays », tient à préciser la préfecture du Rhône.
Une aide financière au retour sera également versée. Mais le montant n’a pas été précisé. Il est encadré par un arrêté d’avril 2015 mais peut être revu à la hausse.
En visite mercredi au gymnase ouvert dans le cadre du plan « grand froid », le préfet délégué à l’égalité des chances, Xavier Inglebert, se félicitait de ce dispositif :
« Cela nous permet d’inciter les personnes à retourner dans leur pays en leur faisant prendre conscience qu’il y a une aporie à rester ici ».
L’incitation est claire : soit vous acceptez le dispositif d’aide au retour et vous restez hébergé ; soit vous refusez de rentrer chez vous et vous avez de très fortes chances de vous retrouver à la rue.

L’ancien foyer pour personnes âgées aveugle de Lyon-Gerland devenu « centre de préparation au retour » de l’OFII ©CGD/Rue89Lyon
« Chantage à l’hébergement »
Les collectifs formés autour des écoles où ces familles ont scolarisé leurs enfants dénoncent une « forme de chantage à l’hébergement ».
Jean-Paul Vilain, militant de RESF, apporte son aide à une famille bosniaque dont l’un des fils est scolarisé à l’école Veyet dans le 7ème arrondissement. Il se remémore au téléphone le rendez-vous rue de l’Effort, au foyer de l’OFII, début décembre :
« Dès que l’OFII leur a remis la lettre à leur hôtel, ils nous l’ont amenée. Ils ne comprenaient pas. Nous, on s’est dit qu’il y avait quelque chose de bizarre. On a décidé de les accompagner, le jour où on leur demandait de se présenter. »
A l’OFII, la famille bosniaque et les militants de RESF se présentent également avec une personne de confiance qui parle la langue bosnienne. Mais il n’y a que la famille qui entre dans le bureau où un interprète « OFII » est présent. Soutiens et interprète « amie » restent à la porte. En sortant, la famille finit par refuser de signer les papiers et se retrouve à la rue.
Jean-Paul Vilain l’a finalement hébergée chez lui :
« Ce dispositif est une souricière bien organisée : on cache au maximum la vérité aux familles jusqu’à les coincer à l’intérieur de ce bureau où on leur notifie qu’elles sont assignées à résidence dans ce nouveau foyer d’hébergement et qu’elles n’ont plus de toit si elles refusent ».
Dans un communiqué de presse, le réseau « Jamais sans toit » qui regroupe tous ces collectifs de soutien parle d’un « centre de rétention qui ne dit pas son nom ».
La préfecture se défend en expliquant que les personnes sont volontaires et qu’elles savent qu’il s’agit d’une aide au retour.
Le droit à l’hébergement d’urgence ne s’applique plus
On pourrait imaginer que ces personnes, qui étaient mises à l’abri à l’hôtel et qui refusent le dispositif d’aide au retour, puissent faire valoir leur droit à la continuité de l’hébergement (prévu par la loi sur le droit au logement) pour se maintenir à l’abri.
C’est ce qu’a tenté l’avocat de la famille bosniaque, Morade Zouine. Mais il a été débouté par le tribunal administratif de Lyon qui a suivi l’argumentaire de la préfecture du Rhône.
La préfecture comme le tribunal administratif s’appuient sur une série de jurisprudences restrictives en matière de droit à l’hébergement d’urgence. La dernière, majeure, date de juillet 2016 et émane du Conseil d’Etat.
Morade Zouine explique :
« Ces familles répondent bien aux critères de l’article L345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles : détresse médicale, psychique ou sociale justifiant que toute personne dans cette situation a droit à un hébergement d’urgence.
Mais vu qu’elles sont en situation irrégulière, elles n’y ont pas droit puisque le Conseil d’Etat nous dit clairement que les déboutés d’asile n’ont pas « vocation » à bénéficier de l’hébergement d’urgence. Le droit à l’hébergement est donc dévoyé aux seules fins d’exécution des mesures d’éloignement, en jouant sur la précarisation des familles et de leurs enfants. »
« On ne les force pas à rentrer chez elles »
Le pouvoir discrétionnaire du préfet peut oeuvrer dans un sens comme dans un autre. Deux familles albanaises hébergées suite à la mobilisation de l’école Gilbert Dru à la Guillotière ont décidé de se maintenir dans le foyer alors qu’elles ont refusé l’aide au retour. Après un court passage par l’hôtel, elles étaient arrivées rue de l’Effort mi novembre, au début de l’expérimentation.
Nouveau bras de fer. Au bout d’une quarantaine de jours, l’OFII les a invitées à trouver une autre solution d’hébergement.
La veille de leur départ, ce jeudi 4 janvier, le collectif « Jamais sans toit » appelait à un rassemblement devant les portes du foyer pour protester contre cette remise la rue.

Un rassemblement le 4 janvier d’une quarantaine de personnes à l’appel du collectif Jamais sans toit, devant le foyer d’hébergement de l’OFII qui sert de « centre de préparation au retour », à Lyon. ©CGD/Rue89Lyon
Le directeur de l’OFII du Rhône est allé au devant de la quarantaine de manifestants pour tenter de déminer.
Pour lui, il s’agit d’un « malentendu ». Et de s’engager à leur trouver un hébergement. Il a répété la doctrine du dispositif :
« On ne force pas les gens à rentrer chez eux. C’est leur propre volonté ».
Mais preuve que l’expérimentation en est à sa phase la plus expérimentale, le directeur territorial de l’OFII a également promis que ses agents ne feraient plus la tournée des hôtels pour recruter des candidats au « foyer/centre de préparation au retour ».
Il semblerait que le recrutement s’oriente désormais directement vers les sorties de Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Et, comme le préfet à l’égalité des chances le soulignait lourdement lors de sa visite, « 70% du dispositif d’hébergement hivernal est composé de déboutés de l’asile », peut-être verra-t-on des agents de l’OFII dans le gymnase récemment ouvert.

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"les déboutés d’asile n’ont pas « vocation » à bénéficier de l’hébergement d’urgence"
Pire, les séides gouvernementaux disent carrément que les déboutés du droit d'asile n'ont pas vocation à rester en France.
D'où un OQTF dès le refus de la CNDA en cas de procédure "normale", dès le refus de l'OFPRA en cas de procédure accélérée.
Comme il y a à peine 30 % de délivrance de statut de réfugiés sur le nombre de demandeurs d'asile, ça veut dire que 70 % de ces demandeurs d'asile sont expulsables très rapidement. Il ne faut surtout pas qu'ils aient le temps de s'intégrer en France, de solliciter des soutiens, ils seraient moins facilement expulsables.
Dans l'Isère, la préf envoie des OQTF et obligations de quitter les hébergements à tous ceux qui n'ont pas pu demander une régularisation ou pour qui elle a été refusée, même s'ils sont ici depuis des années et répondent aux critères définit par la circulaire valls (sans majuscule) donnant droit à régularisation.
Et toujours la même lettre doucereuse de l'OFII pour les aider à partir.
La France sans étrangers ? le FN en rêve, ce gouvernement soi-disant de gauche est en train de le réaliser.
Au fil des rencontres que nous avons pu avoir avec le "Préfet à l'égalité des chances" (c'est le beau titre officiel), une évidence saute malheureusement aux yeux : pour les services de la Préfecture, dès que les demandeurs d'asile ont reçu une première réponse négative de la part de l'OFPRA et de la CNDA (refus quasi automatique pour les personnes qui "bénéficient" de la "procédure prioritaire" puisque les dossiers sont à peine lus et que les réponses ne sont que des "copiés / collés" du même texte de base ...), ces personnes deviennent pour la Préfecture des "déboutés", n'ayant pas vocation à rester sur le territoire.
C'est oublier un peu vite que des voies de recours sont normalement possibles ... et que ces recours sont d'ailleurs très souvent "gagnants", contrairement à ce que voudrait laisser croire la Préfecture !
Et pourquoi les recours sont-ils souvent gagnants ?
Tout simplement parce que, grâce au soutien des associations militantes et des avocats compétents, on prend alors le temps d'écouter vraiment ces personnes, de traduire avec précision ce qu'elles disent, de lire les témoignages des habitants originaires de la même région victimes des mêmes mafia et de confronter enfin toutes ces déclarations ...
Il serait d'ailleurs intéressant que la Préfecture publie un jour des statistiques sur le nombre de ces "anciens déboutés" qui, finalement, au bout de nombreux mois de procédure et de galère, bénéficient enfin pour eux et leur famille du statut officiel de "réfugiés" ou du statut de la "protection subsidiaire". Sans parler de ceux et celles qui finissent parfois par demander la nationalité française !
Des chiffres ?