

prison-bourg-en-bresse
Eh oui, nous sommes au temps du politiquement correct, qui en vérité signifie langue de bois, ou parler pour ne rien dire. Parce que quand tu appelles un chat un chat, lecteur, on vient te dire que tu n’es pas pédagogique, qu’il ne faut pas brusquer la compréhension, que ton message est rejeté car pas assez rond ni assez délicat, que tu peux blesser la dignité des écoutants et autres messages de censure.
Je ne dirai plus…
Rue89Lyon
Alors pour être dans le coup on va jouer au jeu du « pas parler » dont voici les commandements :
je ne dirai plus enculés de keufs mais forces républicaines de sécurité. Je ne dirai plus salauds de corbeaux mais juges indépendants. Je ne dirai plus massacre au tribunal, mais mesure judiciaire ou mise sous main de justice. Je ne dirai plus baveux mais auxiliaire de justice. Je ne dirai plus condamnation mais action de prise de conscience. Je ne dirai plus saloperie de taule mais lieu de rédemption. Je ne dirai plus torture blanche mais réinsertion et je ne dirai plus maton mais surveillant.
Tu as compris la subtilité, lecteur. Exactement comme on ne dit plus classes sociales mais partenaires sociaux, patrons exploiteurs mais force de croissance, balayeurs mais techniciens de surface, ghetto mais zone sensible, encore moins voleurs mais élus ou non plus UMP mais LR.
Tu vois, ça a plus de gueule non ? Tout le monde, ou presque, est content même si on parle alors en virtuel. Pas d’émotivité, pas de crispation, du lisse sur lequel tout glisse. Aussitôt dit, aussitôt oublié.
A l’inverse, pour manipuler dans le sens où ils veulent que ça tourne, il ne faut plus dire conséquence de la misère, mais racaille. Il ne faut plus dire injustice sociale et inégalité, mais voyous irrécupérables. Il ne faut plus dire colère mais inadaptation. Il ne faut plus dire individu, mais profil. Il ne faut plus dire passé mais casier judiciaire.
Ceux qu’on prend pour des batraciens
Ça, c’est la face cachée de la sémantique qui mobilise contre les boucs émissaires et oriente les choses pour éclipser la façon dont on a décidé pour toi, mais que tu gardes l’impression d’y avoir participé afin d’aller aux urnes comme un gentil mouton. Là ça marche pas toujours, mais le taux d’échec est négligeable, surtout lorsqu’on ne compte pas l’abstention.
Bon, cette sémantique là, est-ce une mode, une péripétie éphémère de culture comme le verlan. Est-ce que de parler pour ne rien dire et de dire pour conditionner est un phénomène provisoire ?
Non point ! C’est un langage pour grenouilles qui se développe chaque jour davantage ! Je m’explique :
Tu sais, lecteur, que si tu mets des grenouilles dans une casserole où l’eau est bouillante, elles ont un réflexe qui les font sauter hors du récipient. Par contre si tu les mets dans une casserole d’eau froide, et que progressivement tu fais chauffer, docilement, elles s’adaptent à la chaleur de plus en plus élevée et lorsqu’elles s’aperçoivent qu’il serait temps de fuir le danger, il est trop tard pour elles car elles n’ont plus la force d’évacuer la casserole.
Cette sémantique là, c’est la façon de parler aux citoyens qu’on prend pour des batraciens. Prenons un exemple concret : Rocard quand il était premier ministre (hé oui, dans les année 80 à l’heure de la victoire de l’économique sur le social) avait dit, à propos de l’immigration, que la France n’avait pas vocation à accueillir toute la misère du monde. Tollé général et articles de journaux lapidaires. Valls, sur le même sujet, il y a presque deux ans, dit : « les roumains n’ont pas vocation à s’intégrer« , approbation quasi générale.
Christiane Taubira à la tête du conseil constitutionnel ?
Lorsque Taubira est arrivée et qu’elle a promis qu’on allait voir ce qu’on allait voir, elle n’avait oublié de préciser qu’avant de changer de conception carcérale pour sortir la France de la barbarie, il fallait gagner la bataille sémantique (sic) et elle nous a sorti alors du chapeau sa conférence de consensus (je ne ferais aucun jeu de mots hasardeux sur la sémantique de ce mot) qui n’a été en fait qu’un vaste bla-bla, où beaucoup se sont fait avoir.
Cette stratégie, elle l’a appliquée et elle a fait ce qu’elle a dit. Elle a fait de la sémantique.
C’est d’ailleurs la seule chose qu’elle a faite, à l’exception des peines plancher. La suppression de la peine de rétention de sûreté, à savoir maintenir quelqu’un en taule alors qu’il a fini sa peine car soupçonné de dangerosité (les psy de tous poils, d’accord entre eux, pour une fois, disent qu’un diagnostic sur la dangerosité est une sorte de loto) a été rejeté aux calendes grecques.
Elle n’a rien fait non plus pour empêcher les prisons de haute sécurité (QHS moderne) de Condé sur Sarthe et de Vendin le veuil, à côté de quoi Alcatraz et Guantanamo font figure de colonie de vacances, d’ouvrir leur portes sous cette forme.
Elle a beau surjoué son coup de frondeuse cachée à propos des 32h de travail hebdomadaire, la réforme pénale des mineurs attendra elle aussi.
Paraîtrait qu’elle veut se faire virer du gouvernement pour être recasée à la tête du conseil constitutionnel, mais ce sont des bruits hors sémantique puisque c’est le canard enchaîné qui les susurre. Si, néanmoins, cela arrivait, c’est son nouveau dircab qui serait soulagé. (c’est le 5ème en à peine 3 ans).
Ma brosse à dents
Voilà, c’est comme ça, lecteur. On fait semblant de te parler de la prison pour que l’horreur carcérale passe comme une lettre à la poste, pour que tu l’acceptes en discours normal et banal, et que l’opinion dite publique, déjà préparée par la presse, y adhère encore plus.
La sémantique, utilisée ainsi, et non comme branche scientifique de la linguistique, est faite pour que rien ne change et surtout pour dissimuler le mensonge.
Et si tu arrives à trouver une différence entre un ballon et un objet transitionnel rebondissant, j’accepte, pendant une heure, de me faire un nettoyage de langue à la brosse à dents.

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Votre introduction m'a téléportée 25 ans en arrière, quand on tentait à tout prix de me museler, de m'empêcher de faire des remous dans la quiétude apparente d'un bon petit village Français...
Je me suis rappelée la douleur face au rejet des familles bien pensantes qui empêchaient leurs progénitures de me côtoyer parce qu'à leurs yeux j'étais potentiellement toxique dans mon vocabulaire et comportement..
Je me suis rappelée la chaleur des seuls à m'avoir acceptée telle que j'étais devenue. Ils m'ont accueillie, entourée, relevée. Ce sont ceux qu'on appelle aujourd'hui "racailles, voyous". En fait juste des blessés de la vie, de la misère financière, affective, sociale, tous milieux culturels ou sociaux confondus.. Je me suis souvenue de cette fille, rejetée par sa famille de la haute bourgeoisie à particule, parce que non conforme à leurs critères.. d'apparence !
Je me suis rappelée la déception quand, il n'y a pas si longtemps, la maladie m'a alitée 6 mois. Les excuses que j'ai entendues une fois debout étaient : on ne voulait pas te fatiguer, on prenait des nouvelles par untel, ca me faisait trop de peine... Les seuls, encore eux, à ne pas avoir eu peur d'entendre et d'écouter mes peurs, doutes et douleurs, sont les mêmes qu'il y a 25 ans !
Ce que je ne comprend toujours pas et que je ne comprendrais jamais, c'est pourquoi un blessé, (et peu importe l'origine de la blessure) devrait témoigner avec un vocabulaire qui n'est pas le sien, qui n'exprime en rien ce qu'il ressent ! Ce n'est pas plutôt à son interlocuteur de faire l'effort de se mettre à la portée de celui qui témoigne ? Quitte à traduire avec ses propres mots ensuite si ca lui fait plaisir !
Un dernier témoignage. Conseil de discipline dans une école. J'essaie d'expliquer que le gamin, issu d'une famille défavorisée est juste en rébellion, qu'il essaie maladroitement d'exister . Je dis un truc du genre " mais c'est juste un ado qui fait son petit con comme tant d'autres au même âge". Tollé général puisque j'avais osé utiliser le mot "con". Par contre silence approbateur au moment de la sanction d'exclusion !
Pour conclure, elle est où la violence ? Dans les mots ou dans les actes, non-actes et silences ???
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