Absolument aucun bruit, reprise légèrement mollassonne
Au vu du communiqué reçu à la rédaction pour faire le test, on s’attendait à trouver une DeLorean DMC-12, le professeur Emmett Brown sortant au ralenti, cheveux aux vents, des portes à ouverture verticale, et Marty McFly s’accrochant au pare-choc en lévitation sur son overboard. Sur place, au siège de la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), point de cheveux blancs hérissés noircis par l’électricité. Encore moins de K2000.
Non. Un Kangoo dans toute sa banalité. À l’essai, le véhicule est agréable à conduire : en tant que voiture électrique, elle ne fait absolument aucun bruit – le visage déconfit des journalistes radio tentant de capter un son lors de l’allumage a été un grand moment de la présentation.
La maniabilité est celle d’un Kangoo classique. La reprise est légèrement mollassonne et le frein assez sensible, mais dans l’ensemble, hormis le bruit, c’est un véhicule utilitaire normal.
Une recharge en six minutes
Du côté de la technique, il faut se faire une place parmi la troupe de journalistes présents pour apercevoir une bosse de plastique noire, d’environ un mètre sur 30 centimètres, pesant 80kg, posée à l’arrière du véhicule. Dessous, un kit comprenant, entre autres, une pile à combustible et un réservoir à hydrogène.
La composition de la pile est relativement simple : une anode, contre laquelle est envoyé du dihydrogène, une cathode et, entre les deux, un « polymère dopé » qui permet de faire passer les protons ; le tout génère du courant qui vient alimenter la batterie. Le système (anode + cathode + polymère) fait à peine un millimètre d’épaisseur. On en additionne un certain nombre, les uns à côté des autres, pour arriver à fournir jusqu’à 27kW.
La pile est positionnée derrière les sièges avant du Kangoo ZE H2. Par-dessus, un réservoir d’hydrogène de 76 litres (compressé à 350 bars, ce qui nous donne un poids d’environ 1,8kg), qu’on recharge en six minutes… contre six heures pour le Kangoo Z.E. en mode véhicule simplement électrique.
27 000 euros : le coût de la pile… mais sans la voiture
En six minutes donc, on remplit le Kangoo de 76 litres d’hydrogène. Un plein ? À peine « l’équivalent en énergie de six litres de gazole », tempère Pierre-Yves Le Berre, co-fondateur de Symbio FCell, l’entreprise qui conçoit, produit et industrialise les piles à hydrogène.
Mais qu’on se rassure :
« Avec ce système, on gagne plus de 100 kilomètres d’autonomie par rapport à une voiture uniquement électrique », annonce Pierre-Yves Le Berre.
La voiture parcourrait ainsi jusqu’à 300 kilomètres. D’où la qualification de « prolongateur d’autonomie H2. » Et en plus, c’est propre. Enfin, presque : hormis le fait que 95 % du dihydrogène est produit à partir de combustibles fossiles, la voiture à hydrogène ne rejette que de l’eau.
Le Kangoo ZE H2 n’est pas destinée aux particuliers. Son coût est la principale raison de cela : la pile vaut 27 000 euros, auxquels il faut ajouter le prix du Kangoo (15 300 euros sans les bonus, selon Le Progrès) et la location des batteries. Mais le prix pourrait s’abaisser « à moins de 15 000 euros lorsqu’on aura atteint les 1000 ou 2000 pièces, et presque 7000 euros dès les 10 000 pièces », selon le co-fondateur de Symbio FCell.
La France fait des « flottes captives » pour développer le marché de l’hydrogène
« 25 modèles seront livrés à Lyon, et 25 à Grenoble d’ici la fin de l’année », nous indique Ingrid Milcent.
Elle est chargée de mission innovation chez Tenerrdis, un pôle « energy cluster » qui a pour vocation « d’accroître la compétitivité des filières industrielles des nouvelles technologies de l’énergie grâce à l’innovation. »
Ces 50 véhicules sont subventionnés pour moitié par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et la région Rhône-Alpes. Le coût du projet, pour les deux institutions, s’élève à trois millions d’euros. Seulement pour ces 50 Kangoo. Pour les suivants, il faudra aligner le cash. Ou compter sur une production qui décolle à minimum 1000 pièces pour espérer une baisse du prix.
Pour ça, Ingrid Milcent croit avoir trouvé la solution :
« On a décidé de partir, en France, sur un système de flotte captive, c’est-à-dire qu’on vend des véhicules propres aux entreprises ou administrations qui ont besoin de véhicules utilitaires pour des usages précis et définis. »
C’est, selon elle, « l’inverse de ce qui s’est fait en Allemagne, par exemple. Là-bas, ils ont lancé des gammes de véhicules grand public, dans l’espoir de toucher plus de monde. Seulement, ce sont des investissements beaucoup plus coûteux. On va essayer de prouver que notre système marche mieux. »
Une station à hydrogène ouvrira à l’automne à Lyon
Le prix à la pompe, lui, sera d’environ 8,5 euros par kilo d’hydrogène. Soit environ 15 euros pour un plein sur le Kangoo ZE H2. Les pompes, justement. Parlons-en. Couplé avec ce système de flotte captive :
« On démarre par des initiatives locales autour d’une station, au lieu d’en mettre partout au bord des autoroutes comme en Allemagne », analyse Ingrid Milcent.
Ainsi, deux stations à hydrogène vont ouvrir, d’ici à l’automne prochain, en Rhône-Alpes. L’une à Grenoble et l’autre à Lyon, sur le port Edouard-Herriot. L’endroit n’a pas été choisi par hasard : les acteurs du projet comptent sur la « mobilité fluviale », et sur la proximité du port avec le centre ville, pour développer, à terme, d’autres gammes de moyens de transports : bus et bateaux.
La station de Lyon sera exploitée par le géant français Air Liquide, déjà coté en bourse. C’est à McPhy Energy, l’industrie grenobloise qui fabrique et commercialise des procédés de stockage de l’hydrogène, que reviendra la tâche de fournir les électrolyseurs.
Bientôt un système d’énergie auto-géré ?
Mais on peut aller plus loin. Si, à terme, on pouvait se passer des stations à hydrogène ? Gabor Laurenczy, professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), a mis au point avec son équipe un procédé permettant de transformer de l’hydrogène en acide formique, et inversement. L’avantage ? Le stockage. L’acide formique, un acide carboxylique qu’on retrouve dans le vinaigre ou les piqûres d’abeille, est inoffensif et peut être transporté dans de simples bouteilles en plastique.
En plus de dompter la relative dangerosité du gaz, l’invention paraît révolutionnaire au vu de l’autonomie qu’elle confère. Gabor Laurenczy imagine par exemple la construction de petites unités de stockage d’énergie : le courant de panneaux photovoltaïques produit de l’hydrogène par électrolyse, le gaz est transformé et stocké sous forme d’acide formique, puis transformé de nouveau en hydrogène à la volée pour restituer de l’électricité quand le soleil ne brille plus. Un système productif d’énergie auto-géré, en somme.
Les stations à hydrogène sont-elles pour autant mort-nées ? Pas vraiment, tempère-t-on à l’EPFL. Le professeur Laurenczy pense d’abord à un « usage domestique, stationnaire ». Un projet de « générateur de secours » est déjà sur les rails, mais pour les voitures, ce n’est « pas pour tout de suite » : « des étapes de miniaturisation et de design sont nécessaires », juge-t-il.
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