
Blog du taulard #13 : « chez nous, on n’était pas riche mais on n’a pas déconné »
C’était pour son bien, expliquait-on. Une infime minorité a refusé d’obéir aux injonctions de l’animateur qui dirigeait cette expérience. Malgré les cris perçants de l’homme enfermé, les cobayes suivaient les consignes et augmentaient l’intensité du courant. Heureusement, celui qui criait était un comédien et ne subissait pas cette torture.
C’étaient des gens totalement « normaux », lambda et pourtant. Pourquoi je te raconte ça ? Pour que tu ne me dises plus lorsque je parle des maltraitances faites aux taulards que j’exagère et que les matons sont des êtres humains. Nous sommes tous des êtres humains ! Le concept de monstre n’est qu’une enflure journalistique.
« On n’a pas délinqué »
Je veux mettre le doigt sur quelque chose que tu refuses de connaître : toi-même. N’importe qui peut être saisi par un « passage à l’acte » comme disent les psys, les tyrans des sciences dites humaines. Il suffit de peu, d’un faisceau de circonstances défavorables où s’entrecroisent l’environnement et une fatigue personnelle. Personne n’est à l’abri, ni toi ni le fils du baron, ni la star ni l’ouvrier.
Tous, nous sommes peut-être capables de voler, tuer, violer. Chaque être humain y a pensé au moins quelques fois dans sa vie. Mais il refoule en se disant que ce ne sont que des idées. Chacun s’enferme dans son soit-disant équilibre mental. L’humain semble incapable d’écouter, de comprendre, de voir en dehors de sa propre rationalisation, de ses croyances, de son milieu social et culturel, en un mot de son déterminisme accepté.
Madame, Monsieur Tout le monde a du mal à concevoir que les autres ne pensent pas comme eux, ne font pas comme eux. Il suffit d’écouter les réflexions habituelles devant le vol par exemple :
« Chez nous, on était pas riche, on a connu des échecs, mais on n’a pas délinqué pour autant ».
Ils ajoutent : « Je me suis battu, moi ! J’avais de la volonté ». Cela ne veut rien dire du tout. Il y a simplement la chance que rien ne les a fait glisser en dehors des normes. Chacun refoule sa part d’ombre et ce qu’on hait le plus en soi devient ce qu’on rejette le plus chez les autres et que l’on juge sans appel.
Laissez toute espérance, vous qui entrez

En prison. © Sébastien Erome / Signatures.
C’est ce qui explique en grande partie le sadisme des matons, la façon dont tous les jours, ils trouvent un bouc émissaire dans les murs pour le mettre à la trique. D’autant plus que dans leurs conditions humaines, ils ont ce petit pouvoir de chefaillon qu’on leur a donné. A longueur de journée, je le constate ici, en taule. Ces temps-ci j’ai l’occasion de circuler dans la prison, et les mêmes scènes se répètent : insultes, humiliations, provocations, coups… Ça ne s’arrête jamais.
Si tu venais visiter un proche au parloir lecteur, tu ressentirais en entrant dans les murs, sans que cela ne soit écrit nulle part, cette phrase de Dante dans la Divine comédie : « Laissez toute espérance, vous qui entrez ». Tout enfermement génère cela : prisons, hôpitaux psychiatriques, mouroirs… C’est ce que fait surgir tout lieu de concentration. Et tu le sais lecteur, ce processus peut aller à l’extrême. Cela a déjà existé et existe encore.

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Afin d'étudier scientifiquement le comportement humain, le professeur Thon enferme vingt volontaires, des hommes ordinaires, dans un univers carcéral. Huit d'entre eux sont désignés pour être les "gardiens", les douze autres étant les "prisonniers". La règle est simple : comme dans une vraie prison, les détenus doivent obéir aux gardiens qui sont chargés de faire régner l'ordre.
Ce film s’appuie sur l’expérience de Stanford (« effet Lucifer ») une étude de psychologie expérimentale menée par Philip Zimbardo en 1971 sur les effets de la situation carcérale.
Elle fut réalisée avec des étudiants qui jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. Elle visait à étudier le comportement de personnes ordinaires dans un tel contexte et eut pour effet de montrer que c'était la situation plutôt que la personnalité des participants qui était à l'origine de comportements parfois à l'opposé des valeurs professées par les participants avant le début de l'étude. Les 18 sujets avaient été sélectionnés pour leur stabilité et leur maturité, et leurs rôles respectifs de gardiens ou de prisonniers leur avaient été assignés ostensiblement aléatoirement. En d'autres termes, chaque participant savait que l'attribution des rôles n'était que le simple fruit du hasard et non pas de prédispositions psychologiques ou physiques quelconques. Un gardien aurait très bien pu être prisonnier, et vice-versa.
Les prisonniers et les gardes se sont rapidement adaptés aux rôles qu'on leur avait assignés, dépassant les limites de ce qui avait été prévu et conduisant à des situations réellement dangereuses et psychologiquement dommageables. L'une des conclusions de l'étude est qu'un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques, tandis que de nombreux prisonniers furent traumatisés émotionnellement, deux d'entre eux ayant même dû être retirés de l'expérience avant la fin.
Malgré la dégradation des conditions et la perte de contrôle de l'expérience, une seule personne parmi les cinquante participants directs et indirects de l'étude s'opposa à la poursuite de l'expérience pour des raisons morales. C'est grâce à celle-ci Zimbardo prit conscience de la situation et fit arrêter l'expérience au bout de six jours, au lieu des deux semaines initialement prévues.
Les problèmes éthiques soulevés par cette expérience la rapprochent de l'expérience de Milgram destinée à mesurer le degré d'obéissance d'un individu menée en 1963 à l'Université Yale par Stanley Milgram, un ancien camarade de classe de Zimbardo au lycée…