
Blog du taulard #3 : « Enfermé, le prisonnier voit avec ses oreilles »
Comme il est enfermé, le détenu voit avec ses oreilles. Côté coursive, il sait quand un uniforme vient à la cellule voisine, à côté ou en face. S’il a mis son drapeau (une feuille glissée entre la porte et le chambranle) ou son voyant extérieur pour signaler une demande, il en profite pour taper à la porte et crier à travers celle-ci afin d’être entendu.
Si le contraire se produit et que le maton ne répond pas, ou lance dans la coursive un « plus tard » ou « je n’ai pas le temps », les coups sur la porte redoublent et la frustration s’exprime encore plus fort.
Multiphonie : un tel gueule, l’autre demande du tabac…
Ce qui peut te paraître surprenant, lecteur, est que tout s’entend. Les bruits ne se confondent pas en se chevauchant, ils se surajoutent distinctement. Le brouhaha est une multiphonie où rien n’est noyé.
Car, côté fenêtre, le bruit est là aussi. Ça parle ou ça gueule selon la distance de l’interlocuteur. Untel veut un renseignement sur l’heure de la promenade par exemple. Un autre demande du tabac, un sachet de café ou du sucre. Un troisième s’engueule avec celui qui a dit ceci ou fait cela, ou au contraire n’a pas dit et n’a pas fait. Et puis il y a les cris, soudains, défoulatoires, intermittents, qui surgissent comme une soupape, une ironie, un désespoir, une revendication.
Bref : un « j’existe » ou un « je ne suis pas encore mort ».
Il y a ceux qui sont en promenade et s’interpellent dans la cour, ou appellent ceux qui sont en cellule. Il y a ceux qui empruntent les passages pour aller de bâtiment à bâtiment, qui vont ou rentrent des parloirs, de l’infirmerie, du greffe… Ils en profitent pour discuter avec ceux qui qu’ils ne voient pas souvent, demandent des nouvelles, font passer des messages, ou s’engueulent à nouveau.
Quand vient le soir, les télévisions
Ce bruit s’intensifie à 18h30 lorsque les portes des cellules sont condamnées (elles aussi) pour la nuit et que les matons quittent les coursives pour n’y revenir que par rondes sporadiques. La musique déboule et roule dans toute la prison. Le volume des raps emplit l’espace. Malgré cela les conversations continuent et elles aussi grimpent en décibels.
« Vas-y donne du mou, vas-y, tire ça y est ? Tu l’as ! »
vocifèrent les joueurs de yoyo (corde ou lien lancé de fenêtre à fenêtre qui permet les échanges mutuels).
Et d’autres échanges, d’autres engueulades. Et lorsque vers 2 heures du matin, quand s’arrêtent les syncopées des CDs et la tchatche, on entend encore les télévisions devant lesquelles s’abrutissent les prisonniers qui n’arrivent pas à dormir ou qui ont peur du sommeil.
Pourquoi tout ce bruit lecteur ? Parce qu’il faut du bruit dans une prison, même s’il est parfois insupportable. Parce qu’en prison, le silence, c’est la mort qui s’installe.

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En complément de l'article, je me permets de vous suggérer l'écoute d'une petite création sonore que j'ai réalisé pour ARTE Radio avec des détenus de la Maison d'arrêt de Villefranche/Saône, c'était en 2009.
A retrouver sur
Le lien vers le reportage sonore d'Arte Radio est ici :
http://www.inattendus.com/2009/12/le-chaos-sonore-de-la-prison-sur-arte-radio-com/
www.arteradio.com/son/451263/son_de_prison/
"cette fois-ci ce n'est pas la télé qui a dérangé mon sommeil, ce sont d'autres cris, d'autres voix qui viennent d'ailleurs.
"Des phrases dont je ne comprends pas le sens, des appels auxquels répondent d'autres appels. Voilà que dans ma prison les cellules se parlent en écho. Des insultes grossières, des vociférations, puis des coups de pieds sur des portes qu'on cogne. La clameur augmente et se propage. Le bruit devient vacarme. Je n'ai aucune idée de ce qui cause tout ce tapage.
"C'est à présent tout l'étage qui se met à vibrer, ou plutôt : à faire le waï. J'ai la sensation d'être suspendu dans la canopée d'une jungle tropicale, parmi une troupe de singes hurleurs. Décidément, l'être humain n'est pas un animal furtif. Est-ce par un besoin impérieux de communiquer ? Il est une heure du matin, pourtant : l'heure de dormir pour les gens honnêtes !
"Certes, me dis-je, c'est aussi ici pour eux une façon d'exister, de hurler leur existence au-delà des quatre murs qui les contiennent. A un moment je crois reconnaître la voix d'un des gaillards que j'ai croisé les jours précédents en promenade : « Ho ! surveillant ! Ho ! Surveillant ! ».
"A son âge, j'en aurais fait de même peut-être : j'aurais gueulé moi-aussi et frappé à la porte. Pour dire quelque chose, au moins. A présent, je reste silencieux. Je n'ai rien à gueuler, rien à revendiquer, rien à déclarer.
[Plus tard, j'apprendrai qu'il s'était sûrement agi d'une coupure de courant, coupures très ... courantes dans les étages, et qui déclenchent, de cellule en cellule l'ire des détenus qu'on laisse ainsi dans le noir ou privés de télé, selon le type de panne, parfois des heures durant, surtout la nuit. Peut-être ont-ils loupé ce soir le film porno de Canal plus ?]..."