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Blog du taulard #3 : « Enfermé, le prisonnier voit avec ses oreilles »
Le blog du taulard inconnu
Le taulard inconnu risque de sévères sanctions en publiant ses écrits, alors il est anonyme. C'est aussi pour protéger son identité que le nom de la prison dans laquelle il se trouve n'est pas révélé pour l'instant. C'est une prison de la région Rhône-Alpes, quelque part dans une zone grise près de l'autoroute, bref, une prison banale.
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Blog du taulard #3 : « Enfermé, le prisonnier voit avec ses oreilles »

par Le taulard inconnu.
Publié le 8 janvier 2014.
Imprimé le 04 juin 2023 à 06:58
7 579 visites. 6 commentaires.
Si tu rentrais dans une prison, lecteur, la première chose qui te frapperait c’est le bruit. Un bruit incessant, très reconnaissable et très particulier. Dès 7 heures du matin commence la complainte des clefs, les claquements automatiques des grilles, des portes qui s’ouvrent et se ferment. Il y a aussi la litanie des talkie-walkies des matons : leurs bips moins harmonieux que ceux de R2D2 dans la Guerre des étoiles et les voix nasillardes qui sortent en permanence de ces boîtes en plastique noir.

Comme il est enfermé, le détenu voit avec ses oreilles. Côté coursive, il sait quand un uniforme vient à la cellule voisine, à côté ou en face. S’il a mis son drapeau (une feuille glissée entre la porte et le chambranle) ou son voyant extérieur pour signaler une demande, il en profite pour taper à la porte et crier à travers celle-ci afin d’être entendu.

Si le contraire se produit et que le maton ne répond pas, ou lance dans la coursive un « plus tard » ou « je n’ai pas le temps », les coups sur la porte redoublent et la frustration s’exprime encore plus fort.

Multiphonie : un tel gueule, l’autre demande du tabac…

Ce qui peut te paraître surprenant, lecteur, est que tout s’entend. Les bruits ne se confondent pas en se chevauchant, ils se surajoutent distinctement. Le brouhaha est une multiphonie où rien n’est noyé.

Car, côté fenêtre, le bruit est là aussi. Ça parle ou ça gueule selon la distance de l’interlocuteur. Untel veut un renseignement sur l’heure de la promenade par exemple. Un autre demande du tabac, un sachet de café ou du sucre. Un troisième s’engueule avec celui qui a dit ceci ou fait cela, ou au contraire n’a pas dit et n’a pas fait. Et puis il y a les cris, soudains, défoulatoires, intermittents, qui surgissent comme une soupape, une ironie, un désespoir, une revendication.

Bref : un « j’existe » ou un « je ne suis pas encore mort ».

Il y a ceux qui sont en promenade et s’interpellent dans la cour, ou appellent ceux qui sont en cellule. Il y a ceux qui empruntent les passages pour aller de bâtiment à bâtiment, qui vont ou rentrent des parloirs, de l’infirmerie, du greffe… Ils en profitent pour discuter avec ceux qui qu’ils ne voient pas souvent, demandent des nouvelles, font passer des messages, ou s’engueulent à nouveau.

Quand vient le soir, les télévisions

Ce bruit s’intensifie à 18h30 lorsque les portes des cellules sont condamnées (elles aussi) pour la nuit et que les matons quittent les coursives pour n’y revenir que par rondes sporadiques. La musique déboule et roule dans toute la prison. Le volume des raps emplit l’espace. Malgré cela les conversations continuent et elles aussi grimpent en décibels.

« Vas-y donne du mou, vas-y, tire ça y est ? Tu l’as ! »

vocifèrent les joueurs de yoyo (corde ou lien lancé de fenêtre à fenêtre qui permet les échanges mutuels).

Et d’autres échanges, d’autres engueulades. Et lorsque vers 2 heures du matin, quand s’arrêtent les syncopées des CDs et la tchatche, on entend encore les télévisions devant lesquelles s’abrutissent les prisonniers qui n’arrivent pas à dormir ou qui ont peur du sommeil.

Pourquoi tout ce bruit lecteur ? Parce qu’il faut du bruit dans une prison, même s’il est parfois insupportable. Parce qu’en prison, le silence, c’est la mort qui s’installe.

 

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Article actualisé le 28/01/2014 à 20h13
L'AUTEUR
Le taulard inconnu
Le taulard inconnu
J'ai parlé de mon quotidien en prison et maintenant de ma vie dehors. Je ne me plains pas, ni ne cherche à me faire plaindre. Je n'ai nul besoin, ni moi ni les autres prisonniers, de compassion, ou encore pire, de pitié. Je témoigne, simplement.

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