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29/03/2024 date de fin
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Prix de la cantine en prison : des « Fouquet’s carcéraux » ?

Une révolution pour le quotidien des 66.445 détenus des prisons françaises : l’administration pénitentiaire a figé depuis dimanche le tarif de 200 produits d’usage fréquent vendus dans les cantines. Les prisons de Rhône-Alpes sont les premières à appliquer la mesure. Cette amélioration pour les détenus réclamée par les associations et évoquée dans des rapports publics, est vivement critiquée par des syndicats de surveillants, pour qui les prisons deviendraient des « Fouquet’s ».

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Dans le langage carcéral, la « cantine » n’est pas le lieu de restauration mais le magasin interne, où les détenus peuvent acheter ou commander des produits alimentaires, des journaux, du tabac ou encore des vêtements. Ce qui a tout d’un commerce en milieu carcéral n’est pourtant pas soumis aux lois du marché
comme l’explique François Korber, ex-taulard et président de l’association Robins des Lois, qui milite pour l’amélioration des conditions de détention :

 » C’était un véritable racket institutionnel. Ces boutiques, dont la gestion est souvent sous-traitée, profitait d’une situation de monopole. Elles n’ont aucune concurrence alors qu’elles ont « clients » par centaines. On ne reproche pas à l’administration pénitentiaire d’être malhonnête mais d’être incompétente.

Les produits étaient achetés dans les boutiques les plus proches à des tarifs excessifs. Ils ne profitaient pas de prix de gros. Les détenus n’avaient pas d’autre alternative que de payer le prix fort. « 

 

Grand écart tarifaire

La fixation des tarifs des 200 produits les plus achetés doit justement compenser cet abus. L’administration pénitentiaire a signé un accord cadre national qui rentre progressivement en action dans les 191 prisons françaises. C’était le cas ce week-end dans les prisons de la région Rhône-Alpes.

Les prix ont été indexés à la moyenne des tarifs les plus bas des différents établissements pénitentiaire afin d’éradiquer la disparité des prix d’une « taule » à l’autre, second effet pervers de ce commerce carcéral. Jean-Luc (nom d’emprunt) est actuellement détenu à Varces, près de Grenoble, mais il a connu d’autres prisons. Il témoigne par l’intermédiaire de son avocat :

 » Un savon coûtait 2 euros à la maison d’arrêt de Corbas contre 90 centimes à la prison de Varces. Il y a certains produits du quotidien dont le prix varie du simple au triple d’une taule à l’autre comme le papier hygiénique ou les boites de sardines. »

Cet écart des prix a été signalé à de multiples reprises par les associations militantes. Un rapport de la cour des comptes de 2010 évoque même « la nécessité d’une remise en ordre ». C’est ce texte qui est d’ailleurs à l’origine de cette réforme.

 

« Un somptueux cadeau » ?

Si la semaine dernière encore, le tarif des cantines avait de quoi indigner les détenus et les militants associatifs, ce sont désormais les syndicats de surveillants qui se soulèvent contre ce qu’ils appellent un « somptueux cadeau ». Inévitablement, les prix fixés par l’administration pénitentiaire ne correspondent pas toujours à ceux des entreprises sous-traitantes ou des fournisseurs.

A titre d’exemple, le lot de quatre piles LR6 doit désormais être commercialisé 22 centimes d’euros, 1,10€ pour la livre de beurre demi-sel et 1,22€ le pot de 400 grammes de Nutella. La différence entre le prix d’achat et le prix de vente aux détenus doit être prise en charge par l’administration carcérale. C’est le principal point d’échauffement des syndicats de surveillants, à l’image de Pascal Rossignol, secrétaire général de l’UFAP Rhône-Alpes, majoritaire :

 » C’est l’argent du contribuable qui vient compenser les bénéfices que se font les entreprises privées sur les cantines. A l’inverse, les restrictions budgétaires nous sont systématiquement opposées pour l’évolution de nos statuts. Le budget d’amélioration des conditions de travail a été divisé par deux à la maison d’arrêt de Corbas. Cette mesure veut préserver le pouvoir d’achat des détenus alors que dehors, les citoyens n’ont pas ce droit là. »

A l’extérieur, le pouvoir d’achat n’est cependant pas le même qu’en prison. En 2010, date des derniers relevés disponibles, seul 24% des détenus avaient accès à un travail en milieu pénitentiaire et la rémunération moyenne était de 318€ par mois.

 

« Fouquet’s carcéraux »

Pour l’UFAP, les critiques se portent donc davantage sur le financement que sur le principe général de cette réforme carcérale. Ce n’est pas le cas de FO Pénitentiaire qui fait circuler un tract en salle de repos des surveillants de Corbas, Bourg-en-Bresse et Varces depuis plusieurs semaines. Le secrétaire général adjoint signataire du prospectus s’en prend directement à l’administration pénitentiaire, en tenant des propos salés à l’encontre des détenus :

 » Honte à ces décisionnaires de notre administration, qui une fois de plus, nous montrent leur vrai visage en mettant en place une tarification de cantine nationale à un prix défiant toute concurrence pour les crapules, qui remplissent nos détentions.

A l’heure de la lutte contre la récidive, dada du gouvernement, tout est fait à travers cette mesure pour conforter la voyoucratie et l’école du crime ! Comment voulez vous que ces individus fassent l’effort d’une éventuelle réinsertion sociale ? Nos prisons sont devenues des Fouquet’s carcéraux. »

Autant de réactions syndicales qui ne sont pas restées longtemps sans riposte. L’association Robin des Lois envisage de porter plainte contre FO Pénitentiaire. De son côté, l’Observatoire international des prisons (OIP), association d’origine lyonnaise devenue baromètre des lieux de détention à travers le monde, a envoyé un courrier le 24 février dernier à Michel Mercier, Ministre de la Justice pour solliciter des mesures disciplinaires :

« Afin de mettre un terme à ce qui relève de pratiques injurieuses malheureusement fréquentes de la part de certains syndicats pénitentiaires, il appartient à vos services de veiller au respect du code de déontologie du service public pénitentiaire (…).

Plus largement, si la liberté d’expression et la liberté syndicale constituent des droits fondamentaux garantis par la constitution et qu’il convient de protéger, l’article 10 de la déclaration universelle des droits de l’Homme les limite notamment à « la protection de la réputation ou des droits d’autrui ». »

L’administration pénitentiaire ne porte pas grand intérêt à cette grogne syndicale qu’elle qualifie de « feuille de choux » et préfère répondre sur le fond de cette réforme par la voix de Francis Le Gallou, sous-directeur de l’organisation et du fonctionnement pénitentiaire :

« Le budget de l’Administration Pénitentiaire n’est pas directement impacté par cette mesure. L’équilibre de trésorerie est assuré par les recettes du travail pénitentiaire. En 2011, les dépenses de cantine représentaient 93 millions d’euros contre 94 millions de recettes. C’est seulement si l’équilibre n’est pas atteint que l’administration pénitentiaire va renflouer. « 

 

Un système carcéral « à deux vitesses »

Dernier hic de cette mesure déjà controversée. Elle ne s’applique pour l’instant qu’aux 132 établissements pénitentiaires en gestion publique sur les 191 prisons françaises, confirmant ainsi la mise en garde d’un second rapport de la cour des comptes datant de 2011 et qui soulignait « le risque de voir s’installer un système à deux vitesses, avec des prisons de première et d’autres de deuxième classe ».

Les détenus des 59 établissements en gestion déléguée ou en partenariat public privé (PPP), où les prix sont pourtant 10% à 15% plus chers, devront encore mettre la main à la poche un an ou deux, le temps que l’administration pénitentiaire renégocie les contrats qui les lient aux gestionnaires privés (Sodexo, Elior, Compass, entre autres).

Selon Pascal Rossignol de l’UFAP :

« L’Etat se désengage de ses missions par manque d’argent. L’exception tarifaire des cantines en gestion privée n’est qu’un seul des points noirs de cette privatisation progressive de tous les services « .

La tendance à la privatisation des services carcéraux est une nouvelle fois mise en avant. Si l’Etat conserve ses fonctions régaliennes de direction, de surveillance et de greffes, les autres services, blanchisserie, restauration, transport et maintenance, n’échappent pas à la tendance des partenariats public-privé. Syndicats et militants associatifs trouvent ici un point d’accord.

Pour Elsa Dujourdy de l’OIP, « le choix de la privatisation pose de sérieux problèmes. Avant, l’accueil des familles pour les parloirs était géré par le milieu associatif, ce qui n’avait pas de coût. Désormais c’est en gestion privée. Le lien social se restreint alors que les familles ont souvent besoin de conseils juridiques et de soutien. »

 

Des prisons cotées en bourse

L’intervention du privé est censé permettre de réduire les coûts de détention et d’améliorer la vie quotidienne. Mais la modernité des nouveaux établissements pénitentiaires a déjà subi quelques revers : déshumanisation des relations, augmentation des agressions de surveillants, durée des trajets décuplée pour les familles de détenus… Quant aux économies, l’avantage de la privatisation est atténué lorsqu’on y ajoute le coût des constructions.

François Korber de l’association Robin des Lois, s’inquiète pour l’avenir :

« La dérive à l’américaine des prisons cotées en Bourse, on n’y va pas, on y court. »

C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a adopté le 29 février dernier une loi de programmation de 25.000 places supplémentaires dont la plus grande partie devrait être en gestion privée pour un coût de 16 milliards d’euros. Alors que la cour des comptes divise le budget par deux si le programme était réalisé sur des fonds publics.

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#Michel Mercier

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