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A Lyon, peut-on boire du lait cru juste sorti du pis des vaches ?

11 heures. Comme chaque matin, Christian Rozier, agriculteur, quitte sa ferme en voiture. Après avoir trait ses vaches, il remplit de lait une cuve réfrigérée et parcourt 18 km jusqu’à la place de la Gravière de Sainte-Foy-lès-Lyon. C’est le rituel de la fontaine à lait, imaginée en 2009 comme un moyen de sauver les producteurs.

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A Sainte-Foy, Christian Rozier ravitaille quotidiennement sa machine. (Crédit : Ugo Moret)

Né en 2009 d’une grève contre la baisse du prix du lait (surtout synonyme de baisse du pourcentage reversé à l’agriculteur), le concept de fontaine à lait s’inscrit dans une démarche de circuit court. Le principe est simple, 11 agriculteurs du Rhône se sont associés et s’occupent chacun d’un distributeur de lait en libre service, en le ravitaillant quotidiennement de leur production.

Le lait distribué vient ainsi directement d’une vache située à moins de 20 kilomètres du point de vente, au prix fixe de 1 euro le litre. La machine fournie également une bouteille en verre pour 70 centimes, mais toutes les bouteilles d’un litre au moins sont admises.

 

Pas toujours rentable, la fontaine

Sur les 160 000 litres de lait annuels que produit l’agriculteur, 11 000 partent dans la fontaine à lait, soit 30 litres par jour. Le reste va à une coopérative. Une quantité loin d’être suffisante pour Christian Rozier.

« Pour rentabiliser convenablement le distributeur, il faudrait que j’arrive à vendre environ 60 litres par jour. Franchement, on pensait que ça marcherait mieux. »

Dans ces conditions, difficile de rembourser les 36 000 euros que coûte un distributeur (pris en charge par la région et l’Europe à hauteur de 12 000 euros). Pour l’instant, la marge que les laitiers font passe dans le remboursement de la machine. les bénéfices ne sont pas pour tout de suite.

L’association d’agriculteurs a déjà essuyé deux abandons. Deux des onze fermiers de départ ont arrêté purement et simplement la production laitière, à cause de la crise qui frappe ce domaine. Les deux fontaines à lait ont pu être revendues par la suite sur le marché de l’occasion. De plus, ces deux pertes ne sont pas contrebalancées par de nouveaux arrivants. Pour Jean-Marc Faye, propriétaire du distributeur de Tassin-la-Demi-Lune, l’aspect financier est prépondérant.

« On sait que le coût des machines freinent beaucoup ceux qui voudraient se lancer dans les fontaines à lait. L’amortissement d’un distributeur se fait sur 5 ans au moins, avec des objectifs minimums de 50 litres par jours. »

Selon Christian Rozier, l’emplacement de sa fontaine à lait, qui se négocie avec les mairies, n’est pas étranger à ses difficultés de vente.

« J’aurais préféré me retrouver au centre de Sainte-Foy, ça aurait dynamisé les ventes plus facilement. Mon collègue de Tassin-la-Demi-Lune s’en sort mieux par exemple. »

Le distributeur automatique peut également fournir une bouteille. (Crédit : Ugo Moret)

Le contact avec les clients buveurs

Oui, Jean-Marc Faye s’en sort mieux. L’agriculteur vend en moyenne 55 litres de lait par jour, mais reste loin des pics à 80 litres de la première année. Sa machine se trouve en plein centre ville de Tassin.

« 55 litres par jour, faut pas que je descende en dessous. Aujourd’hui la fontaine c’est surtout un plus, puis on est au contact des consommateurs, mais je pourrais pas vivre de ça. »

La relation avec le client, c’est ce qui motive les agriculteurs à continuer la fontaine à lait.

« Livrer directement aux consommateurs un lait cru de qualité, c’était le premier de nos critères et c’est ce qu’on continue de faire. L’important, c’est le rapport avec le consommateur, quand ils sont satisfaits, on le sait de suite, c’est gratifiant. »

Même son de cloche pour Christian Rozier, qui préfère ce mode de vente directe à celui de la coopérative, qu’il juge moins humain. La proximité certes, mais les distributeurs permettent également une certaine autonomie aux agriculteurs. Cette apparente autonomie montre ses limites quand il s’agit de l’emplacement des distributeurs.

Situés autour de l’agglomération lyonnaise et dans le département, les distributeurs n’entrent pas dans le cœur de la ville, et ne sont pas prêts de franchir la frontière selon Christian Rozier.

« Être autour de Lyon pour les agriculteurs c’est facile, il y a peu de kilomètres et peu de bouchons. Dans Lyon en revanche, c’est une autre histoire. Le réapprovisionnement de la machine serait long et les emplacements seraient plus chers. »

Mauvais coup du sort (ou faute à la crise), l’entreprise française qui distribue les fontaines à lait a fait faillite. Résultat : les pièces de rechange sont plus difficiles à trouver. L’association des laitiers est obligée de se déplacer en Italie, pays où les distributeurs sont fabriqués, pour les obtenir.

 

Ne jamais dire « fontaine, je ne boirai pas de ton lait »

Le lait vendu peut aussi rebuter certains acheteurs. Le lait cru, s’il est adapté à toutes les formes de consommation, ne se conserve que trois jours à moins de 4 degrés, à moins de le faire cuire. Les grandes surfaces ne sont pas habilitées à en vendre, la loi autorisant son achat uniquement en vente directe chez le producteur, par souci d’hygiène. Une aubaine pour les agriculteurs, puisqu’ils sont les seuls à pouvoir en vendre.

Pour les sceptiques, sachez que la machine dispose d’un système de sécurité qui rend impossible la vente si le réfrigérateur est passé au dessus des 4 degrés.

La création en octobre 2009 d’un « fond laitier » européen d’urgence de 280 millions d’euros n’aura eu qu’un effet sur le court terme. Aujourd’hui, les agriculteurs n’arrivent toujours pas à sortir la tête de l’eau. La hausse des coûts de production et la fin des quotas laitiers, ajouté à la loi de modernisation agricole de 2010 leur font craindre un rapprochement forcé avec les industriels.

 

Du lait cru a réussi à rentrer dans la ville

Pourtant, en mars 2012, un distributeur de lait cru s’est installé au cœur de Lyon. Il ne s’agit pas du réseau « fontaine à lait », mais d’un projet monté par quatre laitiers des monts du lyonnais. Les chanceux ont gagné le prix de la fondation Macif, « l’alimentation autrement » et les 10 000 euros qui vont avec. Ils ont lancé avec cet argent les premiers distributeurs du projet.

Le principe est le même que les fontaines à lait : du lait cru de qualité en circuit court. Mais le moyen de vente est différent : les fermiers sous-traitent l’approvisionnement des machines, pour ne pas avoir à affronter les routes lyonnaises. Les machines, réduites à de simples réfrigérateurs, vendent le litre à l’unité, sous vide, dans une poche en plastique. Johan Héron, chargé de communication des laitiers des monts du lyonnais, explique :

« Le distributeur est du coup plus compact et moins onéreux (4 200 euros, ndlr) que les fontaines, ça permet de le mettre à peu près où on veut. »

Le coût de distribution et les frais de fonctionnement font monter le prix du litre à 1,20 euros. Aussi, ces distributeurs se trouvent-ils sur des zones privées, ce qui permet de ne pas avoir à négocier la place avec la mairie, et surtout de se trouver à côté du magasin qui les accueille. L’association est payante quand il s’agit comme à Villeurbanne d’une boulangerie qui achète ce lait pour ses pâtisseries.

Avec 20 litres en moyenne vendus par jour, les laitiers des monts du lyonnais vendent moins que les fontaines, mais gagnent plus. Et la marge réalisée dans les coopératives ne tient pas la comparaison :

« Les fermiers se font une marge de 33 centimes par litre quand ils vendent à une coopérative. Avec les distributeurs, cette marge monte à 53 centimes. »

Le pari semble en passe d’être gagné, cinq distributeurs sont implantés dans Lyon et Villeurbanne. Le dernier, financé à moitié sur une plateforme participative, a reçu la totalité des fonds nécessaires le 20 mai dernier. Le projet est en pleine expansion, douze machines devraient à terme trouver leur place à Lyon.


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