La manif-transhumance entre Mornans et Saoû, dans la Drôme. Crédit : Jean-Baptiste Mouttet
« Hier, on nous a imposé une vaccination inutile. Aujourd’hui, il faut mettre des puces électroniques aux moutons. Et demain, nous devrons acheter des béliers dans des centres d’insémination ».
L’éleveuse Laure Charoin s’active autour des clôtures en plastique qui retient encore pour quelques minutes les quelque 200 moutons qui vont s’élancer et marcher jusqu’à Valence.
Ce lundi après-midi, accompagnées d’un bélier, les brebis partent de Mornans, minuscule village niché dans l’un des plus beaux coins de la Drôme.
En huit kilomètres, elles rejoindront Saoû, à quelques encablures de Die, entre la Provence et le Vercors. Là où les touristes les plus fortunés achètent des ruines pour en faire des résidences secondaires. En mode transhumance, les bêtes devraient atteindre vendredi la préfecture de la Drôme.
Le troupeau est conduit par une cinquantaine d’éleveurs venus de tout le département. Les visages sont tendus. Peut-être à cause de la bise qui vous glace le sang.
« Cela me rappelle le Larzac », glisse une des voisines venue en soutien. Comme pour la mobilisation dans les années 1970 contre l’extension du camp militaire, un vent libertaire pousserait ces paysans drômois, réfractaires aux nouvelles normes de traçabilité. Comme pour le plateau aride de l’Aveyron, la Drôme fait figure de terre de résistance contre cette obligation de mettre une puce électronique aux moutons.
« No puçaran »
Depuis janvier 2010, un règlement de l’Union européenne impose pour tous les ovins un système d’identification électronique au moyen d’un « transpondeur », plus communément appelé puce RFID que l’on peut retrouver sur les cartes de transport en commun ou dans les passeports. Pour les brebis, cette puce est placée sur une boucle d’oreille en plastique et comprend le numéro de l’élevage et le numéro de la bête.
Bien que plusieurs syndicats agricoles, dont la Confédération paysanne, soutiennent ce mouvement, le cortège n’a ni banderole, ni drapeau. Tout juste peut-on trouver un carton avec l’amusant message « no puçaran » -en référence au « no pasaran » des antifascistes espagnols. On remarque surtout des t-shirts que portent certains éleveurs, avec inscrit « No Futur, ni pucés, ni soumis ».
Un slogan qui résume la posture de ces éleveurs : défendre une certaine idée de l’agriculture en opposition avec une agriculture plus industrielle et productiviste.
« Un marché juteux pour les nanotechnologies »
Pour ces paysans, les puces sont un des éléments de cette dérive redoutée vers l’industrialisation. Car, pour l’instant, rien ne change :
il y a les mêmes informations que celles écrites sur les deux boucles plastiques déjà obligatoires pour la traçabilité.
Sébastien Pelurson, l’un des principaux organisateurs de la transhumance, mène le troupeau de son village de Mornans jusqu’à Saoû. Il possède 230 brebis et 25 chèvres qu’il n’a pas faites « pucer » :
« Comme d’habitude, ce sont les gros exploitants agricoles qui ont poussé pour que les puces électroniques deviennent obligatoires. Avec plusieurs milliers de têtes de moutons, ils peuvent gérer leurs troupeaux avec des scanners que les petits exploitants ne possèdent pas. »
Les chambres d’agriculture subventionnent jusqu’en juillet 2013 l’achat de puces électroniques à hauteur de 70 centimes sur un euro d’achat. « Une manière d’aider davantage les gros exploitants », précise l’éleveur qui pointe également un potentiel marché juteux :
« L’industrie des micro et nanotechnologies fait du lobbying pour qu’on s’équipe. Sans les aides actuelles, il en coûtera cinq fois plus cher au paysan qu’avec de simples boucles plastiques ».
« De simples exécutants de l’agro-alimentaire »
Le discours est rodé. Car derrière l’apparence désordonnée de la manif-transhumance, l’organisation est minutieuse : site Internet, équipe vidéo, contacts presse. Ce collectif s’est structuré il y a deux ans autour d’une première mobilisation contre l’obligation de vacciner les brebis contre la fièvre catarrhale ovine (FCO). Pour les éleveurs, ce fut la première tentative de leur imposer une façon « inutile et dangereuse » de travailler. Depuis, cette obligation a été levée.
Après les puces, c’est le bélier que les éleveurs seront contraints d’aller acheter dans un centre d’insémination. Date prévue de cette nouvelle obligation : 2015. Elle est au coeur des revendications, explique l’éleveuse Laure Charoin :
« Sous prétexte de lutter contre la tremblante du mouton, ils vont sélectionner génétiquement des béliers. Nous ne pourrons plus échanger nos béliers, en fonction de nos propres critères. Comme pour les OGM, on va perdre en diversité génétique ».
Sans badge, ni drapeau, le porte-parole de la Confédération paysanne de la Drôme, Vincent Delmas, est présent au premier jour de cette transhumance :
« Comme pour le puçage, ce sera une grande perte de liberté pour les éleveurs. »
Cette perte a un nom : « l’intégration ».
« Les éleveurs de brebis deviendront comme nos collègues qui font du porc ou de la volaille, qui sont de simples exécutants de l’agro-alimentaire. Ils nous amèneront un bélier et, puis ils nous imposeront une manière de manger et de les soigner ».
Le « ils » revient toujours dans la bouche des éleveurs. « Ils », ce sont les « technocrates » de Bruxelles ou du ministère de l’agriculture mais aussi les grands exploitants agricoles, qui « travaillent » main dans la main avec les premiers.
Laure Charoin parée du t-shirt officiel de la transhumance. Crédit : Jean-Baptiste Mouttet
« On ne veut pas être des cobayes »
Etienne Mabille et sa femme Irène sont également aux avant-postes de cette transhumance. Le bonnet enfoncé jusqu’à sa barbe de père Noël, Etienne marche. Quant à Irène, elle conduit un des camions qui sert de voiture-balais. C’est à la suite de leurs aventures qu’a été décidée cette manif de brebis. Car ils font partie des premiers éleveurs à être sanctionnés pour avoir refusé de mettre des puces à leur soixante brebis.
Après un contrôle, la Direction départementale du Territoire (DDT, ex-direction de l’agriculture) leur a signifié au mois d’août dernier la perte des primes liées à la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne. Etienne Mabille a évalué la perte totale à environ 8 000 euros.
Heureusement pour les Mabille, leur exploitation des Baronnies, dans la Drôme, est diversifiée. Plantes aromatiques, épeautre… Tout en bio. Et puis, à 55 ans, ils arrivent en fin de carrière. Mais ils ont promis de se battre contre « cette absurde diarrhée législative » :
« Nous voulons seulement qu’on nous laisse le choix de nos outils. Nous ne sommes pas des cobayes. Aujourd’hui, ce sont les brebis. Demain, est-ce que ce seront les enfants qui porteront une puce pour ne pas qu’on les perde ? »
Le combat, Etienne en a l’habitude :
« Quand nous nous sommes installés en bio il y a 26 ans, on nous prenait pour des illuminés. Il a fallu se battre pour obtenir les mêmes soutiens que les autres agriculteurs. »
Etienne Mabille va perdre près de 8 000 euros d’aides pour s’être opposé au puçage de ses brebis Crédit : Jean-Baptiste Mouttet
Sans puce, plus d’accès à l’abattoir
A la différence d’Etienne Mabille, la grande majorité des éleveurs dépendent fortement des aides de la PAC. Entre un tiers et la moitié des revenus des éleveurs de brebis destinées à la viande sont des subventions.
Les aides étant conditionnées par le respect de la réglementation européenne, certains, contraints, ont mis des puces à leur brebis. Comme cet éleveur de la plaine de la Drôme, qui est, malgré tout, venu à la transhumance. « Résistant passif » comme il se définit lui-même, il est venu soutenir les éleveurs qui sont en pointe, ceux qui n’hésitent pas à donner leur nom aux journalistes en toute connaissance de cause. Yvan Delage, du Haut-Diois, assume :
« Tous les paysans se plaignent de ces contraintes. Mais ils ont peur qu’on leur coupe les aides. On aurait peut-être dû bouger avant. Maintenant, on est obligés. »
Ce ne sont plus seulement les aides de la PAC qui dépendent du puçage mais aussi l’accès aux abattoirs et les autorisations de transhumance. Laure Charoin témoigne :
« Dernièrement, j’ai amené une dizaine d’agneaux de lait à l’abattoir. Sans puce. La vétérinaire m’a appelée pour me dire que c’était la dernière fois. Si je ne peux plus accéder à l’abattoir, comme je vais faire ? »
« La motivée », comme on la surnomme, reste malgré tout optimiste. « On se fera entendre ». Ce sera sous les fenêtres du préfet de la Drôme, vendredi, à Valence.
> Article modifié le 1er février à 12h42 : le préfet de la Drôme a finalement autorisé la manifestation jusqu’à la préfecture.
(Après çà, pour les plus bigots d'entre eux, rien ne leur interdit d'avoir recours aux services des prêtres-chamanes et autres thérapeutes libéraux-newage pour conjurer le sort mais ce n'est pas cela qui empêchera la marche du progrès pour tous, bien au contraire.)
Vous alignez des mots préfabriqués avec moins d'intelligence qu'un robot.
Quel progrès????
je suis navrée votre commentaire est depourvu de solidarité et d humanisme heureusement que d'autre françiais ne pensent pas comme vous quel tristesse . Je suis convaincue de s'opposer a cette methode est essentiell
Ou quand le progrès implique de rançonner au nom de la propriété. C'est la même avec les agriculteurs à qui on interdit de récupérer les graines de leur production au motif qu'il y a des droits de propriété intellectuelle. On croit rêver...
Ah bon? et en quoi donc, puisque ce tag reprend exactement les données déjà présentes sur les boucles plastiques?
ça veut dire que les solutions actuelles ne fonctionnent pas?
ou, pour prendre un exemple de traitement de données en grand nombre, ça veut dire que, par exemple, le recensement de la population en France, fait en porte à porte sur du papier, puis dématérialisé, ça ne fonctionne pas?
vraiment, je ne vois pas en quoi cela solutionne un problème précis, ou améliore de manière significative l'existant.
mais je veux bien qu'on m'explique si c'est le cas.
le problème avec les soit-disant "avancées technologiques" c'est qu'on arrive toujours à trouver à posteriori des justifications à leur utilisation. mais démontrer leur intérêt à priori est souvent bien plus délicat. or c'est pourtant la clef d'une acceptation plus large.
Est-il possible de vivre sans? Probablement.
Est-ce que cela a un intérêt pour la gestion de l'élevage à l'échelle nationale, en-dehors de toute théorie du complot et de la volonté d'insérer des gènes aliens pour que les Men In Black puissent s'emparer du marché du fromage de brebis drômois? Certainement.
Comme c'était ça votre question et que c'est mon métier (pas les puces en particulier mais l'élevage extensif), je me suis permis d'y répondre.
Ce n'est pas parce qu'il y a des projets de société concurrents et peut-être incompatibles que l'écrasement d'un projet minoritaire par l'avancée du projet majoritaire relève forcément d'un complot spécifique - c'était déjà le problème de Kokopelli.
Car l'affirmation que ce projet est majoritaire en regard d'autre est purement péremptoire, d'autant que vous reconnaissez vous-même qu'il n'a pas pour vocation de résoudre un problème précis, et qu'on pourrait tout à fait vivre sans.
Parce qu'entre utiliser une technologie, et la rendre obligatoire pour tous, il y a un pas qu'il n'est quand même pas toujours nécessaire de franchir, si? Un projet majoritaire a-t-il pour vocation a toujours devenir LE projet unique?...
Le fait que vous souhaitiez me maintenir dans un cadre "complotiste" rend l'absence de votre argumentaire particulièrement criante...
Un lobby qui va se faire plein de fric pour si peut qu'il arrive à capter (attention je ne dis pas acheter) l'oreille d'un commissaire Européen.
Bon, demain, photos de la manifestation à Valence.
a vous de vous battre, on vous soutient
bientôt les puces sur les hommes.......
Sachez, monsieur le vrai paysan sans prime, que ce n'est pas le rêve qui nous fait agir mais l'aliénation progressive mais certaine de notre métier et petit à petit de nos vies grâce au contrôle alimentaire par des (bientôt une) firmes agro-alimentaires internationales. Je vous laisse imaginer le tableau paysager et social de nos campagnes et la nourriture qui alimentera nos citadins !!
Sachez, monsieur le vrai paysan sans prime, que très bientôt, nous aussi nous n'aurons plus besoin de prime et quelle douce liberté de ne plus avoir ces menottes à nos poignets mais sachez aussi, que cette liberté n'est pas accessible à tout le monde et même de petits agriculteurs sans gros tracteurs ne peuvent vivre de leur production tout cela parce que les grandes surfaces ou autres intermédiaires se remplissent les poches sur leur dos. Pour ceux qui ont des gros tracteurs, ma foi, ils n'ont qu'à mieux gérer leur exploitation pour qu'elle soit "rentable" et mettre l'argent dans autre chose que des boulons!!
Sachez, monsieur le vrai paysan sans prime, que lorsque les usines ne fonctionneront qu'avec des machines, que le service administratif ne fonctionnera plus qu'avec internet et des ordinateurs, que l'alimentation ne sera produite que par des énormes usines agro-alimentaires, vous serez bien seul dans votre ferme sans prime et peut-être plus beaucoup de consommateurs pour acheter votre production !!
Et si ces puces renseignent sur la location du bétail?
J'ai des bêtes, ni vaccinées, ni pucées et il est hors de question que je le fasse.
C'est comme si je mettais une puce à mon enfant.
Pas d’accès aux abattoirs? et bien que cela ne tienne, on créera des stations d'abattoirs mobiles, qui auront en plus le privilège de ne pas stresser les animaux.
Quelques photos de la manifestation d'aujourd'hui devant la Préfecture de Valence :
http://photo-panoramique.eu/galerie-phototheque/reportages-espace-client/ni-puces-ni-soumises/
http://www.dailymotion.com/video/xqe77j_bande-annonce-mouton-2-0-la-puce-a-l-oreille_shortfilms
Cette phrase enlève toute la sympathie que j'avais pour cette marche d'éleveurs au début de l'article. C'est un métier de mort que vous exercez, élever des bêtes pour leur faire connaître l'horreur de l'abattoir. Bien loin de la vision romantique que les gens ont des bergers qui aiment leurs bêtes (autrement que pour le profit qu'ils en retirent).
Maintenant, il faudrait arrêter d'écrire trop de conneries, nous ne pourrons pas passer notre temps à vous répondre.
Merci beaucoup
Je ne pense pas que ce soient des conneries de dire ça et de remettre en question notre comportement vis-à-vis des animaux. Heureusement je ne suis pas le premier, bien d'autres l'ont fait avant moi (Paul Mc Cartney, Gandhi, Tolstoi, Théodore Monod, Louise Michel, dernièrement Aymeric Caron, la liste est très longue), bien d'autre suivront...
il faut maintenant regarder la réalité en face!
la vie n'est pas que romance....hélas
Alors, ta vision de ta réalité, dans un pays où tu ne manque de rien, et où tu as tout le loisir de compenser et composer ton alimentation c'est facile, mais vas tenir le même discours devant des gens qui ont faim et on en reparle.
Concernant la faim dans le monde, savez-vous que dans des pays où l'on souffre de malnutrition des ressources nécessaires à l’alimentation humaine sont détournées au profit de l’élevage, la France étant le premier importateur européen de céréales pour son bétail ? (source : viande.info) Certes je précise avant de me faire voler dans les plumes que ce n'est surement pas du fait des éleveurs dont il est question dans l'article, qui défendent surement une autre conception de l'élevage.
question traçabilité, les autorités devraient plutôt contrôler les abattoirs, en particulier ceux des anciens pays de l'Est devenus membres de l'UE : on sait que les obligations et les contrôles y sont beaucoup moins contraignants, que les industriels de l'alimentaire en profitent pour s'installer à bas coûts et low-cost signifie forcément baisse de la qualité : laissez nos moutons tranquilles et occupez-vous des filières industrielles dont la multiplicité des intervenants favorise la fraude pour augmenter les profits et oppose le "responsable mais pas coupable" quand ils sont pris.
Bruxelles devrait virer les lobbyistes de l'agro-alimentaire (entre autres) mais nos élus et leurs fonctionnaires, dont nous sommes les "vaches à lait" et qui nous "tondent la laine sur le dos" n'y ont pas interêt...