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"L’intervention de la police est un constat d’échec"

Invitée du festival Mode d’Emploi, la directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Police, Hélène Martini, a accepté de se pencher sur l’actualité de la police toujours chaude, en amont de sa participation à la conférence sur « les défis de la surveillance et de la sécurité dans les milieux urbains ».

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Les criminels seraient de plus en plus violents et de mieux en mieux armés aujourd’hui, notamment dans les banlieues. Ils se procurent assez facilement du matériel de guerre, comme des kalachnikovs. Comment cela s’explique-t-il?

Je pense que la France connait un développement du trafic d’armes dû à la proximité de foyers de guerre récents, notamment dans les ex-pays du Balkan. La possibilité de se ravitailler en armes et en munitions est donc plus facile. Il y a des réseaux clandestins qui sont connus des milieux délinquants et dans lesquels on peut s’approvisionner. Or l’usage important des armes sur notre territoire vient du fait que leur acquisition est assez facile.

Est-ce que cela a changé quelque chose dans la formation des policiers?

Tout à fait. On part du principe qu’il faut mieux se protéger. On en est arrivé à l’obligation du gilet par balles dès que le policier est armé. On apprend aussi à la hiérarchie à être plus prudente en cas d’intervention, et à mieux cerner les dangers qui pourront se présenter avec des renseignements récoltés au préalable. Mais il arrive toujours qu’il y ait des situations imprévisibles.

« L’armée en banlieues ? C’est à la police de résoudre les situations »

Le monde politique se pose régulièrement la question de savoir s’il faut faire intervenir l’are quand un quartier s’embrase, quand il est difficile pour la police d’intervenir. Vous y êtes favorable ?

Nous sommes une police démocratique, et républicaine. Cela signifie que nous n’acceptons pas des zones de non-droit, et que c’est de la responsabilité de la police d’intervenir sur la totalité du territoire. L’armée, c’est en situation de guerre. Ma réponse est claire, c’est à la police de résoudre la situation dans ces cas là et nous sommes en mesure de le faire. Nous sommes formés, et équipés pour. Et ce que je dis traduit à mon avis la pensée de l’institution.

Est-ce vous ressentez du découragement parmi les policiers face à cette montée de la violence ?

Du découragement non, parce qu’ils sont convaincus que leur mission est importante. Mais de l’inquiétude oui, face au surarmement des délinquants. Et c’est vrai que c’est inquiétant, puisque c’est dangereux pour le policier, comme pour la population. Le fait que la société soit de plus en plus violente traduit un malaise. Je dis d’ailleurs souvent que l’intervention de la police est un constat d’échec. Ça veut dire que la société n’a pas réussi à résoudre un problème.

Le gouvernement a fait de certains quartiers sensibles des « zones de sécurité prioritaires », notamment dans la banlieue lyonnaise. Une partie de la population concernée pense que ce n’est que de la poudre aux yeux. Qu’est-ce que cela va changer concrètement pour la zone concernée ?

L’idée c’est d’identifier la problématique d’une zone et d’y apporter la bonne réponse, avec les services de police adaptés. Ça peut être la mise en place d’enquêtes approfondies, d’une présence policière visible pour lutter contre le sentiment d’insécurité, ou encore d’un travail pour démanteler un trafic sous-terrain. Mais la vraie nouveauté, c’est que c’est quelque chose qui s’inscrit dans la durée. La fin du dispositif, c’est la résolution du problème, et pas avant. E on ne saupoudre pas à droite à gauche. C’est ciblé sur des quartiers prioritaires, et c’est pour ça que tous les territoires n’ont pas été retenus.

« Des policiers dans les écoles ? Ce n’est pas leur métier »

On déplore de plus en plus de violence dans les lycées et les collèges entre élèves, mais aussi envers les enseignants. Il est de plus en plus question de la présence de policiers dans les collèges et lycées. Vous y êtes favorable ?

Je ne suis pas sur le terrain, mais je pense que le monde de l’école doit appartenir à l’éducation et aux enseignants. L’entrée du policier à l’école doit se faire uniquement dans le cadre d’opérations spécifiques de prévention comme sur les dangers de la drogue. Mais mettre des policiers dans les écoles pour assurer l’ordre, non, ce n’est pas leur métier.

Pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, on a beaucoup critiqué la politique du chiffre imposée à la police.

C’est vrai que la politique du chiffre contraint à rechercher le résultat parfois au détriment de l’action elle-même. Mais dans les écoles de police, on apprend de plus en plus à travailler avec des indicateurs d’activité. Et en tant que service public, on doit bien expliquer au contribuable qui paye des impôts quel travail on fait, s’il est bien fait, et leur communiquer les résultats que nous faisons. Ne viser que les résultats est excessif. Mais que le policier rende des comptes via des indicateurs, je trouve que c’est normal.

Affaires Neyret et policiers de Vénissieux : « Ils ont franchit les lignes petit à petit »

Il y a eu plusieurs scandales liés à la corruption dans la police de l’agglomération lyonnaise, comme l’affaire Neyret ou celle concernant le commissariat de Vénissieux. Est-ce que c’est un échec de la formation de la police?

On insiste beaucoup sur la déontologie dans les écoles de police, où l’on enseigne un savoir, mais aussi un savoir-être, qui a justement été oublié et piétiné dans ces affaires. Alors on s’interroge. Ce sont des policiers qui franchissent des lignes petit à petit ; ils ne décident pas un matin en se levant qu’ils vont devenir des voyous. Progressivement ils s’écartent de leur mission. Car dans les affaires auxquelles vous faites référence, ce sont des policiers qui avaient de l’expérience, pas des jeunes qui sortent de l’école, qui ont eux au contraire la déontologie bien à l’esprit. Peut-être qu’on oublie cette ligne de conduite à suivre au fil de sa carrière. C’est donc de la responsabilité de la formation de les faire revenir en école pour leur rappeler cette déontologie. Il faut aussi mettre en place des clignotants quand on considère qu’un policier n’a pas le comportement qui s’impose, avec un contrôle plus important. Mais in fine, la bonne nouvelle c’est que nous connaissons ces cas de déviance ; nous les traitons et nous les punissons. Le pire serait que ça ne soit jamais connu et que ces gens ne soient jamais poursuivis. Or ce n’est pas le cas.

Vous êtes présente au Festival Mode d’Emploi dans le cadre d’une conférence sur la sécurité et la surveillance en zone urbaine. Justement, est-ce que vous pensez que des caméras doivent être massivement installées dans les villes en France ?

Non. Policier, c’est un métier humain. Ce n’est pas en mettant des caméras que tout s’arrangera. Mais elles peuvent être utiles sur des lieux confinés et clos qu’on ne peut difficilement surveiller comme des parkings. Des endroits où il peut se passer quelque chose, et où on ne va pas mettre en permanence des agents de police. Elles peuvent avoir aussi un effet dissuasif ou servir de preuves si un crime ou un délit se passe devant l’une d’elles. Mais quant à tout surveiller par caméra, c’est impossible. Combien faudrait-il d’hommes et de femmes pour tout visionner ?

Propos recueillis par Julien Bigard, étudiant en master de journalisme à Sciences-Po Lyon.

 

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