En plus des activités sportives qui se déroulent aux Minguettes, les CRS encadrent des sorties. Ici l’accrobranche. Crédit : Laurent Burlet
En été, le cœur du quartier des Minguettes, à Vénissieux, c’est la piscine. Surtout par temps de canicule. Dans cette banlieue lyonnaise, des centaines de jeunes se pressent dans le bassin et aux activités sportives qui leur sont destinées : basket, tennis, kart à pédale, tir à l’arc ou bien encore beach soccer.
A chaque atelier, on trouve un animateur portant le t-shirt rouge « ville de Vénissieux ».
Mais parfois quand des officiels (ou des journalistes) passent, certains, parmi la dizaine d’animateurs, revêtent un autre t-shirt de couleur blanche avec l’insigne des CRS.
Opérations « anti-été chaud »
Suite aux émeutes de juillet 1981 aux Minguettes où les rodéos et incendies de voitures avaient enflammé les soirées, le gouvernement de l’époque a créé le dispositif « anti-été chaud ». La ville de Vénissieux en a été la première bénéficiaire dès l’été suivant.
Des CRS, comme d’autres policiers, sont intervenus sur le plateau des Minguettes et dans d’autres quartiers dits « sensibles » de France. Au départ, il s’agissait de vider ces quartiers de leur population jeune pour les emmener à la campagne ou à la mer. Le dispositif a ensuite évolué pour devenir aujourd’hui Ville Vie Vacances (VVV), recentré sur l’organisation d’activités sportives au sein de la banlieue, avec essentiellement des animateurs employés par les communes.
L’objectif reste la prévention. Cela consiste d’abord à assurer la paix sociale en occupant les jeunes, nombreux, qui ne partent pas en vacances. Mais pas uniquement. Jean-Luc Levray, brigadier-chef, intervient depuis 12 étés aux Minguettes. Il explique :
« Quand les jeunes rouillent au bas des tours, il y a des chances pour qu’ils fassent des conneries. Mais empêcher de rouiller, c’est ponctuel. Plus important est le message éducatif que l’on donne : apprendre l’entraide ou le respect de l’autre ».
Leur mission consiste aussi à changer l’image de la police et des CRS. Le directeur adjoint du cabinet de la maire (PCF) en charge du pôle éducatif, Jean-Marc Baudin, insiste surtout sur ce point :
« On travaille sur le rapport à l’uniforme. Nous voulons montrer, en intégrant les CRS dans notre équipe d’animation, que derrière l’uniforme, il y a un homme avec qui les jeunes créent une relation forte ».
Dans le département du Rhône, seule Vénissieux continue à faire appel à des CRS-animateur. Ailleurs en France, rares sont les villes de banlieue, comme Tremblay-en-France (région parisienne) qui font encore encadrer leurs des activités sportives par des policiers. Ces actions de prévention assumées directement par la police nationale disparaissent progressivement. Les années Sarkozy sont passées par là. Ministre de l’Intérieur, il ne voulait pas que les policiers soient des « travailleurs sociaux » qui organisent des « tournois sportifs ».
« Eux, ce sont une minorité »
La population cible, les 8-15 ans, semble bien accepter les CRS. « Il n’y a jamais eu d’incidents », affirme la responsable des animateurs.
Ce que confirment les trois CRS. Il faut dire qu’ils ne mettent jamais leur profession de CRS en avant.
Le brigadier, Jérôme Kazenas, 20 ans de police, en est à son cinquième été à Vénissieux. Du haut de ses 1,98 mètres, il raconte :
« D’abord je gagne le respect sur le terrain de foot ou de basket et ensuite je dis que je suis CRS ».
Mais depuis plus de trente ans que des CRS sont impliqués dans des animations estivales, les assidus des activités sportives connaissent leur présence.
Quand nous apprenons à trois Vénissians allongés sur la pelouse de la piscine qu’il y a, ici, des CRS, l’un d’eux a cette réaction :
« Ils font les sympas quand ils sont là mais dehors ils font les cow-boys ».
Deux autres jeunes de 17 ans, accros du beach soccer, connaissent bien les animateurs-CRS. Imrane, 17 ans, en terminale S :
« Eux sont biens. Mais c’est la minorité. Pour la majorité, ce sont des vicieux : dès qu’ils voient un jeunes en survêtement en bas d’une tour, ils l’arrêtent pour un contrôle ».
Hakim, 17 ans, également en terminale S, connaît « Jean-Luc », le chef des CRS, depuis qu’il a dix ans. Il trouve les CRS-animateurs « super sympas », des « exemples pour leurs collègues policiers ». Car il considère que nombreux sont ceux qui « abusent de leur pouvoir » ou font preuve de racisme. Il nous explique comme la plupart des jeunes que nous avons rencontrés, qu’il se fait régulièrement contrôler. « Deux fois, rien que pour le mois d’août », nous dit-il :
« Je reconnais qu’ils doivent faire leur travail, notamment en luttant contre les dealers. Mais ils doivent nous parler correctement et arrêter les provocations ».
« En une seconde, tout peut être réduit à néant »
Les CRS-animateurs ont conscience de ce discours et reconnaissent volontiers qu’il y a des « brebis galeuses » dans la police. « Comme de partout dans la société », s’empressent-ils de préciser.
« Ni désabusés, ni naïfs », ils savent que leur travail de prévention comme les liens qu’ils ont créés sont extrêmement fragiles. Le brigadier-chef Jean-Luc Levray :
« Un contrôle routier qui tourne mal et tous nos efforts pour rapprocher les jeunes de la police sont réduits à néant ».
Son collègue Jérôme Kazenas commente la récente actualité de la rubrique « violences urbaines » :
« Si ce qui s’est passé à Amiens s’était produit aux Minguettes, ça serait également parti en émeute même si ça fait plusieurs années que le quartier n’a pas flambé. Et les jeunes seraient venus nous chercher parce qu’on reste des CRS ».
Il y a aussi, pour ces CRS, « les politiques » qui sont capables de « réduire en une phrase le travail de 10 ans de prévention ». Ils parlent du passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur : « quand il a dit qu’il allait nettoyer les cités au Kärcher, il a fait beaucoup de mal à notre travail de prévention ».
« En uniforme, on reste une cible »
Les CRS de la piscine des Minguettes disent « marcher sur des oeufs ». Mais malgré la fragilité des relations qu’ils peuvent nouer, ils continuent à le faire. Tout simplement parce qu’ »ils aiment ça », l’animation.
Ça les change des manifs ou de la « LVU », comprendre la « Lutte contre les violences urbaines ». Car le reste de l’année, comme tout bon CRS, ils parcourent la France avec leur compagnie et se retrouvent souvent à patrouiller dans les quartiers dits « sensibles » et parfois même, aux Minguettes.
Le brigadier-chef, Jean-Luc Levray raconte :
« Le reste de l’année quand je vais dans ces quartiers, en tenue avec le véhicule, à une heure avancée de la nuit, je suis une cible potentielle ».
Quand ils reviennent aux Minguettes, les relations qu’ils ont pu créer avec des jeunes peuvent servir à apaiser les tensions :
« Lors d’une opération de contrôle, dans un hall d’immeuble, je suis tombé un soir sur un jeune que j’avais rencontré plusieurs étés de suite. Tout de suite, la tension a baissé et le contrôle d’identité du groupe a pu se dérouler calmement ».
Il met cela sur le lien fort qu’il a pu créer et reste optimiste :
« A un moment ou à un autre, ça peut porter ces fruits. Certains brûleront des voitures. D’autres essaieront de les en empêcher ».
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