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Logements dégradés, loyers élevés : à Villeurbanne, des locataires victimes d’un couple multipropriétaire

Plusieurs locataires d’un couple de multipropriétaires, Marc et Marie-Françoise Fayolle, vivent dans des conditions dégradées, pour des loyers souvent élevés, à Villeurbanne. Face à ces pratiques, les pouvoirs publics peinent à protéger efficacement les habitants.

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Les désordres constatés dans plusieurs appartements loués par le couple Fayolle à Villeurbanne. Montage Rue89Lyon
Les désordres constatés dans plusieurs appartements loués par le couple Fayolle à Villeurbanne. Montage Rue89Lyon

Des murs couverts de moisissures, un plafond fissuré, de l’air qui entre dans le logement par les fenêtres… Maria et son fils Olivier (prénoms modifiés) vivent dans un appartement particulièrement délabré au 55 rue Racine, à Villeurbanne.

En 2016, Maria trouve ce logement alors qu’elle est de retour en France avec ses enfants après plusieurs années de vie à l’étranger. Avec son seul salaire d’aide-soignante, elle peine à trouver une location mais finit par trouver des propriétaires qui lui demandent peu de garanties : Marc et Marie-Françoise Fayolle, via leur société immobilière SCI Jean-Jaurès.

Le 55 rue racine, immeuble possédé par le couple Fayolle via la SCI Jean-Jaurès.Photo : MP/Rue89Lyon

« J’ai l’impression que mes voisins du dessus vont tomber dans mon appartement »

Le couple possède plusieurs SCI et des dizaines d’appartements à Lyon et surtout à Villeurbanne, dont une partie sont en mauvais état. En 2023, Rue89Lyon enquêtait déjà sur un de leurs immeubles, situé rue Léon Blum à Villeurbanne. Nous avons depuis découvert qu’il ne s’agissait pas d’un cas isolé.

En 2022, Maria a sollicité les services d’hygiène de la ville de Villeurbanne pour faire constater l’état de l’appartement. Le compte-rendu de la visite indique de nombreux « désordres » : « système de ventilation non-conforme », « présence d’humidité » et de « moisissures », « défaut d’isolation », « fissure dans les plafonds », « présence d’une odeur nauséabonde ».

« Beaucoup de remarques venaient d’un manque d’entretien à la charge du locataire », estime Marc Fayolle dans une longue réponse à nos sollicitations envoyées par mail. « Pour les problèmes d’odeur, elles provenaient d’un démontage du siphon de la douche par la locataire, qui l’avait mal remonté. »

Concernant la VMC, il assure : « Elle était en panne et la locataire ne nous avait jamais prévenus. Dès que nous avons été informés de ce dysfonctionnement, nous avons fait réaliser les travaux nécessaires. » Le propriétaire accuse aussi sa locataire d’avoir bouché les sorties d’air au niveau des fenêtres avec du coton.

Deux ans plus tard, la situation ne s’est pourtant pas vraiment améliorée. Les services d’hygiène passent à nouveau fin 2024 et constatent que plusieurs problèmes n’ont pas été résolus, notamment la VMC défaillante, la présence d’humidité et de moisissures, et les fenêtres « laissant passer l’air ». Rue89Lyon a visité l’appartement à cette même période et a également pu constater que les fissures au plafond étaient toujours présentes, ainsi que l’odeur d’égout.

De larges moisissures apparaissent dans le coin de la chambre d’Olivier.Photo : MA/Rue89Lyon

« J’ai l’impression que mes voisins du dessus vont tomber dans mon appartement, s’inquiète Maria. Je n’accueille personne chez moi, car j’ai honte. » Pour un T3 de 43 m², elle paye 687 euros, un montant supérieur à l’encadrement des loyers en vigueur qui fixe à 546,10 euros le prix maximum pour ce type de logement.

Au 55 rue Racine, les Fayolle possèdent l’ensemble de l’immeuble. Ali (prénom modifié) se plaint de problèmes similaires, notamment de moisissures autour des fenêtres, qu’il explique avoir repeint, et d’une odeur d’égout. Pour un logement d’une quarantaine de m², il paye également un montant supérieur à l’encadrement des loyers.

« Certains de nos locataires ont signé un bail avant la mise en place de l’encadrement des loyers, explique Marc Fayolle. À leur renouvellement au bout de six ans, nous réétudions la situation et nous nous conformons aux règles de l’encadrement des loyers en vigueur sur Villeurbanne. » Le bail de Maria s’est pourtant renouvelé en juin 2022, après la mise en place de l’encadrement des loyers en novembre 2021.

Les locataires témoignent aussi de l’état des parties communes, pour lesquelles les habitants payent des charges d’entretien. « Parfois le nettoyage de l’immeuble n’est pas fait pendant plus d’un mois et les poubelles ne sont pas sorties alors qu’elles sont pleines », détaille Ali, photos à l’appui.

« [Une société] réalise un ménage régulier, une fois par semaine. (…) Toutes les parties communes ont fait l’objet d’une réfection complète en 2018 », assure pourtant Marc Fayolle.

Trois procédures d’insalubrité dans des logements des Fayolle au 55 rue Racine

Mais les locataires les moins bien lotis sont sans doute ceux du dernier étage, sous les combles, où se situent trois studios. L’un d’eux a été frappé d’un arrêté d’interdiction de louer pour insalubrité le 17 juillet 2023.

Agnès Thouvenot, adjointe à l’urbanisme et l’habitat de Villeurbanne, confirme que des passages des services d’hygiène ont été réalisés dans les deux autres logements. « Des rapports ont été transmis à l’Agence régionale de santé et les résultats sont attendus pour fin juin », détaille l’élue. Contactée, l’ARS Auvergne Rhône-Alpes n’a pas souhaité communiquer sur une procédure en cours. La préfecture du Rhône confirme que « deux procédures d’insalubrité sont en cours » et doivent être examinées « dans les prochains mois ».

Sophie (prénom modifié) a habité entre 2019 et 2023 dans l’appartement interdit à la location. Celle-ci est toujours en conflit judiciaire avec « les Fayolle ». « Je veux qu’ils payent, car ces gens m’ont mise en dépression », lâche-t-elle. 

En juin 2019, elle intègre ce petit logement avec un loyer de 410 euros et 25 euros de charges. Rapidement, elle reproche à ses propriétaires une sortie d’air non-étanche, des problèmes de VMC… Des photos, consultées par Rue89Lyon, montrent une moisissure qui grandit dans l’appartement.

En été, la chaleur dans les lieux devient insoutenable. En 2022, Sophie demande une climatisation à ses propriétaires. Sans retour à ce sujet, elle arrête de payer le loyer durant deux mois. Une décision qui amènera les Fayolles à l’attaquer en justice. Au terme du procès, si Sophie sera condamnée pour ce non-paiement, c’est surtout son propriétaire qui devra payer des frais…

Car dès 2023, la Caisse des allocations familiales avait considéré qu’elle ne pouvait plus verser d’aide au logement aux Fayolle du fait de « l’insalubrité » des lieux. Les services d’hygiène de la Ville avaient constaté, entre autres, « l’absence de pièce de 9 m² minimum sous 2,30 m de hauteur sous plafond. » L’arrêté préfectoral de juillet 2023 confirmera cet état d’insalubrité. Rue89Lyon s’est procuré ces documents, tout comme la décision du tribunal de janvier 2024. 

Dans celle-ci, le tribunal considère que les propriétaires n’ont pas proposé un nouvel hébergement « décent » pour loger Sophie. La SCI Jean-Jaurès a été condamnée à lui payer des dommages et intérêts, ainsi que 3 700 euros de réparation au titre d’un « préjudice de jouissance ». « Une procédure d’appel est en cours concernant ce litige civil. Nous nous référons à la justice pour trancher ce différend », commente Marc Fayolle, qui ajoute avoir proposé deux autres logements à la locataire.

« Au début, on croit qu’ils nous rendent service » : désillusion de plusieurs locataires des Fayolle

Une autre procédure des services d’hygiène est en cours dans un appartement 1 rue Arago, immeuble également possédé par la famille Fayolle. La mairie de Villeurbanne nous indique qu’un passage des services d’hygiène a été effectué en décembre 2024, aboutissant à une mise en demeure du propriétaire de réaliser les travaux nécessaires. La commune attend encore de pouvoir vérifier que ces derniers ont bien été faits.

Nous avons pu visiter plusieurs appartements de cet immeuble. Si la situation est moins préoccupante qu’au 55 rue Racine, les locataires se plaignent de l’humidité, de moisissures, de problèmes de canalisation et de manque d’entretien des parties communes. Moisissures et problèmes de canalisation que nous avons pu constater.

Des moisissures à l’angle d’une fenêtre dans un appartement loué par le couple Fayolle au 1 rue Arago à Villeurbanne.Photo : MA/Rue89Lyon

« Pour les parties communes (couloirs, escaliers, ascenseur), une rénovation complète (ragréage,
peinture, ferronnerie) a été réalisée en 2022. Et pour le ménage, c’est [une société] qui a le
contrat d’entretien régulier », répond Marc Fayolle.

« Ce n’est pas bien isolé, il fait froid en hiver et de la moisissure apparaît dans les toilettes », explique Ismaël (prénom modifié), un des locataires. Il aimerait pouvoir changer d’appartement, mais peine à trouver dans le privé avec son seul salaire pour faire vivre sa famille. « J’ai fait une demande de logement social qui n’avance pas », précise-t-il.

Interrogé sur les divers désordres constatés dans ses appartements, Marc Fayolle affirme : « Nous répondons aux remarques de nos locataires (…) lors de dysfonctionnements dans leur logement et, en fonction des situations rencontrées, réalisons tous les travaux nécessaires », pour un montant qu’il estime à 250 000 euros par an sur l’ensemble de ses propriétés.

Le point commun des locataires des Fayolle que nous avons pu rencontrer : leur vulnérabilité. Personnes malades, aux faibles revenus, étrangères, parlant peu ou pas français… Ne trouvant pas de logement dans le circuit locatif classique, elles se trouvent contraintes d’accepter des logements dégradés. Certaines ont même demandé aux Fayolle de trouver un logement à leurs proches.

« Au début, on croit qu’ils nous rendent service, mais ensuite on déchante », s’indigne Maria. « Le panel de nos locataires est représentatif de la population française (…) Aucune discrimination n’est faite en fonction de l’origine », répond sur ce sujet Marc Fayolle. « [Nos anciens locataires] nous recontactent pour reprendre un logement quand ils reviennent sur Lyon. D’autres nous présentent leurs successeurs ou des amis de leur entourage », ajoute-t-il.

Un locataire en grande détresse à Villeurbanne

Exemple extrême de la vulnérabilité de ces locataires : un logement situé au rez-de-chaussée du 1 rue docteur Ollier. Ivan (prénom modifié), 57 ans, vit dans ce logement d’un peu plus de 40 m2.

Il signe en février 2018 une « convention d’occupation précaire » avec son bailleur : la SARL Ambiance Villeurbanne, une des entreprises du couple Fayolle. Cet accord spécifie que le locataire ne peut « faire aucune réclamation contre le bailleur pour cause d’humidité ou de dégâts des eaux ». Pour l’assistante sociale d’Ivan, « il ne comprenait pas ce qu’il signait, car il maîtrise mal le français. Je le sens très vulnérable, il ne comprend pas ce qui lui arrive », achève-t-elle. 

Une clause utile quand on constate l’état du logement qu’Ivan nous fait visiter, en mai 2025. La fenêtre est cassée, l’air à l’intérieur est humide, des tâches de moisissures fleurissent dans la salle de bains, le salon et même dans sa chambre. Alertés, les services d’hygiène de Villeurbanne ont prévu une visite en juin. Interrogé, Marc Fayolle n’a pas répondu sur l’usage de ce type de contrat et l’ajout de cette clause. 

Depuis quelques semaines, Ivan dit « préférer dormir dehors » sur son palier avec un petit duvet « plutôt que dans l’appartement, car il n’y a pas d’air, on respire mal ». D’autant que depuis début avril, il vit dans le noir complet et sans eau chaude, car l’électricité lui a été coupée. Plus ubuesque, l’une de ses fenêtres a été… murée.

Selon son assistante sociale, les Fayolle ont entamé une procédure d’expulsion en raison d’impayés. Pris en tenaille par une situation administrative complexe et une incapacité à travailler pour raisons médicales, Ivan était dans l’impossibilité depuis février 2025 de payer son loyer, d’un montant de 250 euros selon le contrat.

Ivan sera le dernier occupant de ce logement. L’immeuble est voué à la destruction, comme nous le confirme Marc Fayolle. Le couple explique avoir proposé un autre logement à Ivan d’un « niveau de prix similaire à ses capacités (en dessous de 300 euros) ».

Ils précisent que ce nouveau bail a été signé début mai 2025 mais affirment que des « squatteurs l’empêchent de déménager ». Une fois son départ acté, le couple prévoit de « mettre en œuvre [son] projet destiné à offrir une construction avec les toutes dernières normes constructives ». Un projet pour lequel ils ont obtenu un permis de démolition de la mairie de Villeurbanne.

Une mairie de Villeurbanne aux moyens limités pour lutter contre le logement indigne

Pour améliorer leur situation, Maria et plusieurs locataires se sont tournés vers l’association Droit au logement 69 (DAL69). « Nous avons comptabilisé plusieurs cas, mais cela reste compliqué de les mobiliser car beaucoup ont peur, détaille Pierre, membre de l’association. Ils ne connaissent pas leurs droits et ne se sentent pas légitimes à les revendiquer. Certains essayent de protester en arrêtant de payer leurs loyers mais se mettent dans l’illégalité. »

Face à un sentiment « d’impuissance » au vu de ses moyens limités, le collectif a demandé via un courrier adressé aux pouvoirs publics (Ville, Métropole et préfecture) de se saisir du problème et d’accompagner les habitants.

Face à de telles situations, que peuvent des autorités comme la mairie de Villeurbanne ? Interrogée, Agnès Thouvenot nous indique réfléchir à recourir à « l’article 40 » du code pénal. Il dispose que les institutions en « connaissance d’un crime ou d’un délit [sont tenues] d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».

En attendant, les mêmes schémas se reproduisent. Agnès Thouvenot explique que souvent, après le passage des services d’hygiène, « des travaux sont faits a minima par les propriétaires, aux limites de la non-infraction et que le logement se redégrade très vite. Mais du moment où l’on constate que les travaux ont été faits, que le droit est respecté, on ne peut pas sortir de ce cadre juridique », résume l’élue.

Les Fayolle : des multipropriétaires qui étendent leur parc locatif

Au fil des années, les Fayolle continuent d’agrandir leur parc locatif. Comme au 146 bis cours Tolstoï. Après avoir racheté le commerce en rez-de-chaussée en 2019 via sa SCI 8 Emile Zola, le couple Fayolle tente de transformer une partie de la réserve en appartement d’une trentaine de mètres carrés.

Un projet pour lequel il a obtenu l’accord préalable des services d’urbanisme de la Ville de Villeurbanne. Le confort que pourrait avoir le locataire interroge cependant, car les seules entrées de lumière du logement sont une porte et une fenêtre donnant sur une étroite cour entre les immeubles, où sont entreposées les poubelles. « Nous avons obtenu un permis de la part de la mairie de Villeurbanne
et si notre projet ne répondait pas aux règles et au confort obligatoires, elle nous aurait refusé ce
permis », objecte Marc Fayolle.

Cette tentative de créer un local d’habitation a déclenché un conflit avec les autres co-propriétaires, actuellement poursuivis en justice par Marc Fayolle, selon des documents et des échanges que Rue89Lyon a pu consulter. Il reproche au conseil syndical un « abus de majorité » pour avoir voté contre son projet de création de logement.

« M. Fayolle a entrepris des travaux avant même l’accord du conseil syndical pour créer un local à usage de location, puis il a demandé à ce que les poubelles et vélos ne soient plus entreposés dans la petite cour mais dans l’entrée, ce qui pose des problèmes d’accessibilité et de sécurité incendie », témoigne Amélie (prénom modifié), une des copropriétaires. Des motifs qui auraient poussé le conseil syndical à rejeter sa demande.

Marc Fayolle assure qu’il s’agit de « travaux d’aménagement à l’intérieur même [du] local sans toucher à la structure de l’immeuble », et qu’il entend « faire respecter le règlement de copropriété » pour que les poubelles ne soient plus entreposées dans la cour de l’immeuble.

« Nous voulons que le logement cesse d’être une marchandise »

Pour Pierre, de l’association DAL69, c’est le principe même de possession d’un parc locatif étendu qui crée les conditions d’abus des locataires. « Nous voulons que le logement cesse d’être une marchandise dont les propriétaires se servent pour s’enrichir, soutient-il. Si on veut résoudre le mal-logement, il faut limiter la multipropriété spéculative dans nos villes. »

Mais aujourd’hui, comment protéger habitants et locataires ? Une loi pour lutter contre le logement indigne et les marchands de sommeil a été votée le 9 avril 2024, mais elle ne permet pas de tout résoudre.

Selon Agnès Thouvenot, son application reste imparfaite, du fait des situations de fragilité des ménages et du cadre réglementaire. « Les propriétaires qui veulent échapper au droit sont suffisamment agiles dans ces interstices pour pouvoir mettre en location des logements qui ne répondent pas aux critères de dignité », abonde l’élue.


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