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Quand l’anthropocène met en danger la « Zone critique »

Cette semaine, Radio anthropocène fait un atterrissage forcé et revient sur le concept de « Zone critique ». Une journée riche d’échanges pour documenter cette nouvelle réalité scientifique, qui bien qu’aride en apparence, nous concerne tous collectivement.

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Logo allongé Radio Anthropocene rue89Lyon 14 juin Zone critique

C’est l’histoire d’une espèce qui s’est longtemps considérée comme le centre du monde. C’est l’histoire d’une planète qu’on a longtemps pensée comme le centre de l’univers. C’est l’histoire d’un atterrissage forcé, face à une réalité contemporaine qui nous bouleverse et menace aujourd’hui l’habitabilité de la planète. Cette histoire est celle de l’humanité et de l’entrée récente dans l’époque de l’Anthropocène. Cette nécessité, c’est celle de considérer l’importance d’une « zone critique », cette fine pellicule qui abrite la vie sur Terre. 

La zone critique : de quoi parle-t-on ?

La zone critique est un concept récent. Pourtant, son existence s’inscrit dans une histoire longue. Fruit d’une évolution millénaire, elle est le produit de l’histoire d’une variété de formes de vie qui ont muté au cours de l’évolution, pour construire un espace habitable. La zone critique, c’est cette fine pellicule qui rend la vie possible. Elle s’étend sur quelques kilomètres seulement : du sous sol de la Terre à l’atmosphère. Elle rend possibles les principaux phénomènes géochimiques dont dépend la vie.

Du cycle de l’azote au carbone, en passant par l’air que nous respirons, à la photosynthèse, et à la constitution de réserves d’énergies carbonées, tous ces processus sont le fruit de cette histoire. Ces dynamiques ont considérablement transformé la géologie de la Terre, avant que l’espèce humaine ne prenne récemment le relais, et bouleverse radicalement ces équilibres. 

La nécessité d’atterrir

Le 6e rapport du GIEC le rappelle : le changement climatique est une réalité et la responsabilité humaine dans l’accélération de ce processus est incontestable. Alors que les Accords de Paris prônent de maintenir les températures à une augmentation maximale de + 1,5° par rapport à l’ère industrielle d’ici 2100, la trajectoire actuelle n’est pas à la hauteur. La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises par les tribunaux pour inaction climatique.

Au-delà du climat, l’action humaine menace tous les équilibres écosystémiques dont dépend la vie sur Terre, et la vie humaine en particulier. Sept des huit limites planétaires ont déjà été dépassées et ces bouleversements touchent les populations terrestres de manière très inégale. Le modèle des « limites planétaires » (voir ci-dessous) a d’ailleurs été récemment enrichi des questions de justice environnementales et sociales dans une étude parue dans la célèbre revue Nature.

Les limites planétaires, une manière de saisir la zone critique.

Une période critique pour la zone critique ?

Si le changement climatique est une réalité scientifique, elle est surtout de plus en plus une expérience sensible, qui touche les corps et cristallise un certain nombre de peurs. Jeudi 8 juin, les mégas feux au Canada ont produit un smog intense jusqu’à New York, plongeant la ville dans une brume orangée aux teintes apocalyptiques. La science-fiction devient réalité et les images qui nous arrivent quotidiennement à la figure en témoignent chaque fois davantage. Pourtant, nous regardons encore collectivement ailleurs !

La zone critique, une invitation au décentrement 

La société ne peut plus être centrée uniquement sur « l’humain », mais doit devenir « terrestre » si elle veut s’assurer un avenir. Fini l’anthropocentrisme, le moment est venu de considérer l’humanité comme une espèce parmi les autres, humains et non humains : ni au centre, ni en surplomb du règne naturel. Tous vulnérables, car tous interdépendants.

Le Covid nous l’a montré : les effets de l’activité humaine sur les milieux ne sont plus sans conséquences pour nous autres humains. Le confinement planétaire a été un fait anthropocène total, qui a mis à l’arrêt le système monde en raison d’un virus microscopique qui s’est finalement avéré moyennement létal. Mais nous sommes aussi confinés au sein d’un espace réduit qui rend possible la vie : cette même zone critique, toujours plus fragile. 

Des rêves de mondes ailleurs qui menacent la zone critique 

S’il convient de se décentrer, il faut rappeler que la menace qui pèse sur l’habitabilité de la planète concerne essentiellement les conditions requises pour l’épanouissement de notre propre espèce. Car la vie, elle, s’est développée très tôt sur Terre (et peut-être sur d’autres planètes, sous des formes qui nous restent pour l’instant inconnues), il y a 3,8 milliards d’années. Or, la vie perdurera sous d’autres formes après la disparition potentielle d’homo sapiens. À ce titre, les envies d’ailleurs portées par certains chantres du transhumanisme – qui prônent le techno-solutionnisme et la fuite sur Mars – sont à bien des égards des rêveries. Car il n’y a pas de planète de rechange, et que ces projets peuvent transformer la vie sur Terre en cauchemars ! Plutôt que de faire sécession, l’heure est à l’action, et celle-ci peut être plurielle. 

La convergence des arts et des sciences pour penser la zone critique

Face à ce constat, une confluence d’acteurs s’empare de façon croissante de ces enjeux : scientifiques, artistes, activistes, politiques, habitants… Tous terrestres. C’est ce que propose par exemple Jean-Pierre Seyvos, à travers une œuvre musicale et théâtrale inspirée du travail de Bruno Latour. Ce même Bruno Latour qui avait d’ailleurs organisé la célèbre exposition Critical Zones au ZKM à Karlsruhe. Une réflexion sensible et artistique qui nous interroge sur la fragilité de ces fines couches qui nous maintiennent en vie. Quand les scientifiques documentent les bouleversements en cours, des artistes s’en saisissent pour les rendre sensibles, visibles, audibles. Ensemble, ils performent le changement global.

Un choc esthétique pour un impératif politique  

Soulignons, enfin, le travail photographique d’Adrien Pinon intitulé Blue Marble. Le concept, un peu fou et décalé, retrace l’histoire d’un cosmonaute atterrissant sur Terre et pris de vertige face à l’abondance des traces humaines. À la manière des Lettres Persanes, ce regard de biais nous montre la vacuité de nos installations terrestres face à l’ampleur des défis qui nous concernent tous collectivement. 

C’est tout le projet de Radio Anthropocène qui souhaite créer les conditions de dialogue entre sciences, arts et société pour penser le changement global depuis Lyon. Alors, à vos écouteurs pour un après-midi d’échanges, d’inspirations et d’actions enthousiasmantes pour lutter contre la morosité ambiante !

Radio Anthropocène – 7 juin 2023 – Zone Critique

#anthropocène

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