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« Pourquoi nous contestons l’arrêt brutal de l’École Urbaine de Lyon »

Le 9 Mars 2022, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a notifié à l’Université de Lyon l’arrêt de l’École Urbaine de Lyon (un programme Institut Convergence qui travaille sur le thème de l’anthropocène). Cette décision a des conséquences sur les recherches doctorales engagées ainsi que sur la vie scientifique lyonnaise et stéphanoise.

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Réunion des doctorants en soutient à l’Ecole Urbaine de Lyon dans les locaux de Hôtel 71. ©DR

Dans la tribune publiée ci-dessous par Rue89Lyon, les doctorant·es de l’École Urbaine de Lyon contestent cet arrêt brutal et expriment leur attachement à l’institution, à son équipe et son programme ainsi que leurs regrets de voir cette décision appliquée sans délai. 

La décision de l’Agence Nationale de la Recherche se fonde sur un rapport d’évaluation que la direction de l’École Urbaine de Lyon a partagé avec l’ensemble de ses doctorantes et doctorants. Nous avons eu la possibilité de nous exprimer collectivement à ce sujet et des discussions a émané la volonté de réagir publiquement. L’ambition du présent texte est de partager nos points de vue sur l’arrêt des activités de l’École Urbaine auxquelles nous participons.

Nos paroles sont bien évidemment situées. Elles sont celles d’insiders qui ont bénéficié d’un financement de l’École Urbaine de Lyon, de son environnement stimulant et de son équipe efficace et chaleureuse. Mais au-delà de notre rattachement commun à l’École Urbaine de Lyon, nos disciplines universitaires varient autant que nos méthodes de recherche et nos manières de concevoir la science. L’École Urbaine de Lyon est un espace important de pluralisme scientifique. Ces différentes manières de pratiquer et de concevoir l’activité scientifique sont nécessaires à la compréhension des changements environnementaux et de leurs conséquences qui nécessitent des espaces d’échange tels que l’École Urbaine de Lyon.

« Nous regrettons le caractère soudain de l’arrêt du programme dans son ensemble et la hâte dans sa mise en œuvre »

Nous pouvons concevoir que certains points du fonctionnement et/ou du positionnement de l’École Urbaine de Lyon puissent faire l’objet de débat, voire de contestation. Si nous sommes reconnaissantes et reconnaissants aux décisionnaires de maintenir les contrats doctoraux engagés, nous regrettons toutefois le caractère soudain de l’arrêt du programme dans son ensemble et la hâte dans sa mise en œuvre. Nous aurions souhaité être en mesure d’anticiper certains attendus du comité d’évaluation afin de calibrer nos manières de travailler sans pour autant renier ce qui fait l’essence de l’École Urbaine de Lyon : le fait de fédérer diverses approches et méthodes scientifiques autour de sujets actuels et originaux.

Être en doctorat à l’École Urbaine de Lyon offre une large diversité de ressources et d’appuis à la médiation des résultats. Ces conditions ont attiré de nombreux doctorantes et doctorants pour qui le sens de la recherche tient dans une science rigoureuse et décloisonnée. La diversité des expertises investies et la capacité de dialogue hors des sphères académiques nous permet d’affirmer que chaque doctorante et doctorant peut, à l’École Urbaine de Lyon plus aisément qu’ailleurs, construire son parcours doctoral et sa recherche avec une grande liberté tout en se professionnalisant de la manière qui lui convient. Ce décloisonnement propre à l’École Urbaine de Lyon est d’autant plus important qu’il est appuyé par une « bourse mobilité » conséquente qui doit permettre à chacune et chacun d’entre-nous d’internationaliser sa recherche à l’occasion d’un travail de terrain ou de l’accueil dans un laboratoire étranger. L’octroi de cette bourse pour une partie des doctorantes et doctorants est également remis en cause par l’arrêt du programme.

« Nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour défendre la scientificité de nos recherches et de l’ensemble des activités de l’École Urbaine de Lyon »

Lors de notre lecture du rapport, deux points ont tout particulièrement attiré notre attention et méritent, selon nous, d’être plus amplement discutés. Le premier concerne l’importance des publications pour l’Agence Nationale de la Recherche dans le processus d’évaluation. Le second point, lié au premier, aborde les questions de temporalités de la recherche et le rôle du processus de médiation scientifique.

Le jury de mi-parcours considère que l’École Urbaine de Lyon n’a pas engendré suffisamment de publications scientifiques dans des revues à haut « facteur d’impact », ce qui aurait permis de mesurer l’effectivité de son activité de recherche. En tant que doctorantes et doctorants, nous n’avons jamais entendu la promesse de « faire de la science autrement » comme étant contradictoire avec les pratiques scientifiques plus conventionnelles. D’après nous, nous l’avons écrit plus haut, l’originalité et la force de l’École Urbaine de Lyon réside dans sa capacité à faire coexister et échanger différents régimes de scientificité. Dès lors, la publication scientifique est une des modalités de partage des « résultats » de la recherche sur laquelle nous fondons nos propres pratiques scientifiques. En miroir, nous travaillons à produire de telles publications scientifiques – en français comme en langues étrangères – pour nous permettre de partager nos recherches avec nos pairs.

Nous tenons toutefois à rappeler que la première génération de doctorantes et de doctorants est entrée en thèse il y a quatre ans. Cela peut expliquer la faiblesse quantitative du nombre de publications « standards » produites à ce jour puisque le doctorat est un moment d’apprentissage de l’écriture scientifique et ce processus d’apprentissage prend du temps. Nous, doctorantes et doctorants de l’École Urbaine de Lyon, avons donc un sentiment commun de ne pas avoir eu le temps nécessaire pour défendre la scientificité de nos recherches et, par extension, de l’ensemble des activités de l’École Urbaine de Lyon.

Il ne fait aucun doute que les 28 thèses engagées produiront, entre autres, les publications « standards » attendues. Bien que nous recourions massivement aux articles scientifiques pour nos recherches, nous sommes aussi conscients des limites de ce format lorsqu’il se meut en outil de mesure de la recherche produite. Une vaste littérature scientifique – francophone et anglophone – a en effet étayé des positions critiques et nourries à ce sujet, notamment à propos du concept de facteur d’impact ou des logiques de classement, comme le classement de Shangaï.

C’est pourquoi nous souhaitons également affirmer que d’autres formats de partage de la recherche auraient pu être pris en compte par le jury. Ces « autres formats » peuvent être tout aussi rigoureux et significatifs, comme la participation à des conférences et des journées d’études ou les articles publiés sur le sur le site de l’École Urbaine de Lyon, Anthropocene2050.

« Concevoir la médiation scientifique comme une « simple » activité annexe à la recherche est une méprise »

Cette question du « partage de la recherche » rejoint le second point de discussion du rapport, relatif aux temporalités de la recherche et à la médiation scientifique. Il nous semble que le rapport présente la médiation scientifique comme une « simple » activité annexe à la recherche et que cette conception de la médiation est une méprise. Du point de vue des traditions universitaires, l’École Urbaine de Lyon organise en effet de très nombreuses activités « non-conventionnelles » ou « non-standard » autour des savoirs sur l’anthropocène, la ville et les changements environnementaux. Ces nombreuses activités de médiation visent des publics variés… parmi lesquels nous figurons !

Pour nous, doctorantes et doctorants de l’École Urbaine de Lyon, ces moments « non-conventionnels » sont des parties intégrantes de notre recherche. Certes, les émissions de radios, les rencontres avec des artistes, les sorties de terrain, les cours publics, les échanges avec des élèves du premier et second degré ou avec des acteurs publics ou privés, les projections, les expositions, les table-rondes thématiques et interdisciplinaires ne constituent pas directement des « résultats mesurables de recherche ». Pourtant, tous ces événements enrichissent intensivement notre pensée. Ils font bifurquer nos idées et nos méthodes, nous permettent de reformuler nos hypothèses à des publics différents et, donc, de clarifier notre propos pour les autres et pour nous-mêmes. Ils nous permettent aussi, parfois, de construire des formes scientifiques plus participatives.

Nous sommes convaincues et convaincus que nos thèses n’auraient pas été les mêmes si elles n’avaient pas été conduites, de près ou de loin, dans l’environnement de l’École Urbaine de Lyon. Ces processus de médiation scientifique et d’échange avec d’autres disciplines et d’autres publics nous semblent d’autant plus importants qu’ils permettent de créer des liens entre la science et la société dans un contexte où les enjeux environnementaux sont trop peu représentés et expliqués dans les sphères politiques et médiatiques.

Réunion des doctorants en soutient à l’Ecole Urbaine de Lyon dans les locaux de Hôtel 71. ©DR
Réunion des doctorants en soutien à l’École Urbaine de Lyon dans les locaux de Hôtel 71.Photo : DR

« Nous pouvons affirmer que l’École Urbaine de Lyon a produit une importante recherche, d’une grande valeur scientifique et d’intérêt général »

La médiation peut aussi être considérée comme un espace-temps de « traduction » entre chercheuses et chercheurs de différentes disciplines. Qui s’est essayé à l’interdisciplinarité sait comme il est crucial d’avoir ces lieux et ces temps d’échanges pour convaincre de la pertinence des sujets, pour ajuster nos vocabulaires disciplinaires et pour composer une grammaire commune, non seulement entre sciences humaines et sociales et sciences naturelles mais aussi au sein d’un même bloc scientifique.

L’École Urbaine de Lyon est une tentative, peut-être imparfaite mais ambitieuse et en acte, d’écrire ces grammaires communes dans nos recherches doctorales ou dans nos activités complémentaires. Cette interdisciplinarité implique la création de nouvelles méthodes de travail ainsi que l’acquisition de connaissances théoriques ou empiriques en dehors de nos champs d’origine. Tout cela prend du temps et ce temps est incompressible. Ainsi, en considérant que la recherche ne se mesure pas qu’à des résultats incarnés dans des articles scientifiques mais qu’elle est un processus sédimentaire, d’accumulation, alors nous pouvons affirmer que l’École Urbaine de Lyon a produit une importante recherche, d’une grande valeur scientifique et d’intérêt général.

Enfin, au-delà des revendications intellectuelles et scientifiques de ce texte, nous souhaitons témoigner une fois encore tout notre soutien à nos collègues non-doctorant.es de l’École Urbaine de Lyon et les remercier pour l’accompagnement qu’ils nous ont offert. Nous souhaitons également dire le plaisir que nous avons à « faire de la recherche autrement » à l’École Urbaine de Lyon.

Signataires :

  • Adrien Toesca, doctorant en thermique et énergétique du bâtiment
  • Alexandra Pech, doctorante en géographie
  • Céline De Mil, doctorante en géographie et aménagement du territoire
  • Clément Dillenseger, doctorant en géographie
  • Émilie Perronne, doctorante en géographie
  • Emma Novel, doctorante en droit
  • Félix Schmitt, doctorant en énergétique et climatologie urbaine
  • Florian Fompérie, doctorant en économie, géographie et aménagement
  • François De Gasperi, doctorant en géographie et aménagement 
  • Loriane Ferreira, doctorante en géographie
  • Lucas Magnana, doctorant en informatique
  • Marceau Forêt, doctorant en histoire et études littéraires
  • Marine Durand, doctorante en écologie microbienne 
  • Mélanie Cortina, doctorante en génie civil
  • Pénélope Duval, doctorante en biologie
  • Quentin Dassibat, doctorant en sciences de l’environnement
  • Rayan Bouchali, doctorant en microbiologie 
  • Sofia Correa, doctorante en agronomie
  • Thomas Boutreux, doctorant en écologie, géographie et aménagement
  • Yann Brunet, doctorant en histoire

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