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Solidarité Lyon Ukraine : « On ne pouvait pas rester à ne rien faire »

Katya et son fiancé Maxime ont lancé Solidarité Lyon Ukraine pour centraliser les dispositifs d’aide de Lyon à l’Ukraine. Interview.

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Katya Moluzenko et Maxime Le Moing qui ont lancé la plateforme Solidarité Lyon Ukraine ©LS/Rue89Lyon

Mis en en ligne ce 28 février 2022, avec les associations ukrainiennes locales ainsi que le soutien des collectivités (municipalités, Métropole…) associations et entreprises, le site vise à centraliser tous les dispositifs auxquels les habitants de Lyon et alentours ont accès pour aider les populations sur place. Interview.

Ce jeudi 3 mars, c’est avec la mine fébrile que Katya Mozulenko et son fiancé Maxime Le Moing racontent leur histoire dans un petit restaurant du 7e arrondissement. Depuis l’invasion des troupes russes en Ukraine, le couple franco-ukrainien use toute son énergie à essayer d’aider le pays d’origine de Katya Mozulenko, où réside encore toute sa famille.

Katya Mozulenko a grandi à Dnipropetrovsk, au centre de l’Ukraine, sur le fleuve Dniepr qui sépare du nord au sud le pays. Elle est arrivée en France il y a presque six ans, pour rejoindre un master en management de la culture à Clermont-Ferrand. Elle y a rencontré Maxime Le Moing au cours d’une formation pour auto-entrepreneurs.

Après un an d’entraide et d’amitié, ils sont tombés amoureux et ont emménagé ensemble à Lyon. En 2017, Maxime Le Moing a lancé sa société, tandis que Katya Mozulenko a installé son showroom de robes de mariées, dans le 7e arrondissement de Lyon. Alors que le jeune couple se prépare à acheter leur premier appartement, planifient leur mariage pour mai prochain, l’invasion de l’Ukraine a bouleversé leur vie. Il et elle racontent.

« Je ne pensais pas que la Russie essaierait de conquérir toute l’Ukraine »

Rue89Lyon : Aviez-vous envisagé la possibilité d’une invasion russe ?

Katya Mozulenko : On est allés voir ma famille à la fin du mois de janvier. Il y avait déjà des articles qui émettaient l’hypothèse d’une invasion, à cause des mouvements de troupes russes tout autour des frontières, mais pour moi c’était difficile à imaginer. Il y avait plein de scénarios possibles, je ne pensais pas que la Russie essaierait de conquérir toute l’Ukraine.

Maxime Le Moing : A l’époque, il était déjà déconseillé de se rendre en Ukraine, mais quand on y a été, tout était normal, ça semblait presque irréel d’imaginer une invasion.

« J’ai été réveillé par des pleurs et des cris »

Rue89Lyon : Comment avez-vous appris la nouvelle ?

Katya Mozulenko : Il y avait eu des fuites du Pentagone à propos d’une attaque dans la nuit du 23 au 24 février. Je suis restée debout sur mon téléphone jusqu’à 3 heures du matin cette nuit là. Quand je me suis réveillée, j’ai vu qu’ils avaient lancé l’assaut.

Maxime Le Moing : J’ai été réveillé par les pleurs et les cris de Katya, je n’arrivais pas à arrêter ses larmes. Elle suivait minute par minute les frappes russes, sur les hôpitaux, les entrepôts de stocks médicaux. Elle était dans un état de sidération totale. Le soir, on a été à la manifestation de soutien organisée place Bellecour, il devait y avoir au moins 300 personnes. Des Ukrainiens, quelques Russes venus condamner les agissements de Vladimir Poutine mais aussi beaucoup de Français.

Katya Moluzenko et Maxime Le Moing qui ont lancé la plateforme Solidarité Lyon Ukraine ©LS/Rue89Lyon
Maxime Le Moing et Katya Mozulenko ont lancé la plateforme Solidarité Lyon UkrainePhoto : LS/Rue89Lyon

Katya Mozulenko : Sur le moment, je ne réalisais pas, j’étais trop choquée. Maintenant, quand j’y pense, ça me fait chaud au cœur. D’habitude quand je dis que je suis ukrainienne, les gens ne savent pas où c’est, ils s’en fichent un peu. Je n’imaginais pas qu’il y aurait autant de solidarité, de médiatisation.

« Beaucoup de gens voulaient aider l’Ukraine depuis Lyon mais ne savaient pas comment »

Rue89Lyon : Comment en êtes-vous venus au projet de créer une plateforme centralisant les aides humanitaires à Lyon ?

Katya Mozulenko : J’ai passé deux jours dans le noir total. Le samedi matin, on a commencé à discuter de ce qu’on pouvait faire pour aider avec Maxime. On a vu que beaucoup de gens voulaient s’investir mais ne savaient pas comment.

Maxime Le Moing : C’est là qu’on a eu l’idée de créer le site. J’ai des compétences techniques en webdesign, je crée des pages pour les petits commerces et restaurants lyonnais. Katya parle ukrainien bien sûr, connaît les associations lyonnaises mais aussi sur place, en Ukraine. On s’est dit qu’on allait centraliser tout ça. J’ai programmé le site en un week-end. On n’a pas beaucoup dormi, mais ça vaut le coup. Aujourd’hui on en est à 27 000 visites [le jeudi 3 mars, ndlr].

Katya Mozulenko : On a passé des jours entiers à planifier les collectes avec les villes, les associations et les mairies d’arrondissement au téléphone, tout cela en coordination avec les associations ukrainiennes à Lyon et en Ukraine. Il y a au moins 9 associations ukrainiennes à Lyon, dont la plus importante, Lyon Ukraine.

Maxime Le Moing : On a classé les possibilités d’aide en plusieurs catégories : les dons, le bénévolat, les places d’hébergement… Et on a fait des tableaux Excel. L’Etat a pris des engagements, mais pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de coordination territoriale. On ne pouvait pas rester à ne rien faire.

« On a 2200 couchages d’assurés sur la métropole de Lyon »

Rue89Lyon : Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Maxime Le Moing : On n’est pas des professionnels, il faut tout le temps recalibrer. Il y a beaucoup de personnes qui se proposent d’héberger pour un mois ou deux. Pour ne pas que les réfugiés se retrouvent en difficulté, on demande six mois minimum. Pour l’instant on a 2200 couchages d’assurés sur la métropole de Lyon.

Katya Mozulenko : Il faut aussi tout le temps adapter la liste de dons. Pour l’instant, il n’y a pas besoin ni d’habits, ni d’eau. On a enlevé les pâtes et le riz de la liste aussi, car sinon on en avait trop par rapport au reste. Ce dont il y a le plus besoin c’est de matériel médical et de nourriture variée.

Maxime Le Moing : Il y a aussi un grand besoin en gilets pare-balles, l’armée en a, mais pas les civils. Finalement, ce qui va le plus poser problème, c’est de trouver des chauffeurs. Les deux camions qu’on a envoyés hier étaient conduits par des ukrainiens qui rejoignaient leurs familles. On a une liste très claire des prochaines dates de collecte mais beaucoup moins de visibilité sur les éventuels chauffeurs. Il faudrait que des personnes acceptent de faire l’aller-retour.

« Mercredi, on a envoyé 45 tonnes de matériel de Lyon en Ukraine »

Rue89Lyon : Comment s’est passée la première collecte ?

Maxime Le Moing : Mercredi 1er mars, on a été récupérer le matériel sur 20 points différents dans toute la métropole. On était aidés par de nombreux bénévoles, des pompiers, quelques policiers. La plateforme physique a été coordonnée par la Ville de Lyon. On a envoyé 45 tonnes de matériel réparti sur 60 palettes dans 2 camions. Il y en avait 11 réservées au matériel médical : des béquilles, des chaises à roulettes, des médicaments.

Les 45 tonnes de matériel acheminés à Mions pour être envoyées en Ukraine. Une photo par Maxime Le Moing
Les 45 tonnes de matériel acheminées à Mions pour être envoyées en Ukraine. Une photo par Maxime Le Moing

Katya Mozulenko : C’était fatiguant mais ça a bien fonctionné. Les camions sont partis de Mions, au sud de Saint-Priest pour acheminer le matériel à Lviv et Rivne, en Ukraine.

Rue89Lyon : Comment cet investissement pour aider l’Ukraine se traduit-il dans vos vies personnelles et professionnelles ?

Katya Mozulenko : On a mis sur pause nos vies professionnelles respectives, on dort peu. Moi, je ne prend plus de commandes de mariées pour cette année par exemple. Je continue avec celles avec lesquelles je me suis engagée mais pas plus.

Maxime Le Moing : J’ai passé la nuit dernière à reproduire le site pour Dijon et Besançon. On est fatigués, on dort ensemble mais presque toutes nos conversations portent sur l’Ukraine et l’aide qu’on peut leur apporter. On a quand-même prévu de nommer des référents de pôles qui accepteraient de donner un peu de temps bénévolement pour l’Ukraine. Il y en aurait un pour les dons, un pour l’hébergement… chapeautés par l’association Lyon Ukraine.

« Ma famille veut rester pour participer à l’effort de guerre »

Rue89Lyon : Quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

Maxime Le Moing : Moi, j’ai peur que le conflit s’enlise ou s’intensifie et que l’élan d’émotion s’amenuise. On capitalise maintenant sur l’élan de solidarité.

Katya Mozulenko : Je maintiens l’espoir d’une fin rapide au conflit. Je nous imagine bien gagner dans une semaine. Ça m’aide à tenir. J’ai quand-même proposé à ma famille de venir à Lyon, ils n’ont pas voulu. Mon frère de 40 ans qui est directeur artistique d’un théâtre à Dnipropetrovsk est mobilisé. Sa future femme aide à fabriquer des couvertures de camouflage. Ils veulent tous participer à l’effort de guerre, hommes et femmes, à leur échelle.


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Photo : PL/Ru89Lyon

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