Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Clothilde Chamussy, archéologue et youtubeuse à Lyon avec sa chaîne « Passé Sauvage »

[Série] En 2016, Clothilde Chamussy se lance sur YouTube. L’archéologue de formation crée la chaîne «

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Clothilde Chamussy, youtubeuse à Lyon, a porté plaine contre Léo Grasset (DirtyBiology) pour harcèlement sexuel.

Passé sauvage », qui compte aujourd’hui près de 100 000 abonnés. Un moyen pour la youtubeuse résidant à Lyon de partager une passion, via des vidéos de vulgarisation scientifique à destination d’un « grand public ».

Clothilde Chamussy dans le café Bellecour de la presqu’île de Lyon.Photo : ED/Rue89Lyon

Rue89Lyon : Pourquoi avez-vous choisi de nommer votre chaîne YouTube « Passé sauvage » ?

Clothilde Chamussy : C’est une référence au livre d’anthropologie « La Pensée sauvage » de Claude Lévi-Strauss. Selon moi il s’agit d’un ouvrage-clef parce qu’il permet de déconstruire de nombreux stéréotypes sur nos ancêtres, comme « l’homme des cavernes ». C’est une porte d’entrée pour discuter des stéréotypes de « race » et proposer une lecture du monde plus diverse.

Quel a été votre parcours avant de commencer les vidéos sur YouTube ?

Je suis née à Vénissieux mais j’ai grandi en Bourgogne. Je n’étais pas une bonne élève et je détestais les mathématiques. Mais durant mon enfance mes parents, tous les deux musiciens, m’ont poussé à lire et m’ont offert l’opportunité de voyager.

De retour à Lyon pour mes études, j’ai emménagé à Fourvière en haut de la montée des Chasseaux en 2009. Puis, quelques années plus tard, j’ai déménagé dans le quartier de la Croix-Rousse où je vis encore. Être en hauteur me permet d’admirer la vue.

A l’Université Lyon 2, j’ai étudié les Lettres modernes, l’Histoire de l’art et l’Archéologie. J’en suis sortie diplômée d’un Master de recherche en archéologie, spécialisé en archéologie sous-marine. Cette passion est née après un voyage en Égypte, durant lequel j’ai découvert la plongée sous-marine.

Pourquoi avoir choisi de faire de la vulgarisation scientifique sur YouTube ?

Après l’obtention de mon Master, en 2016, je souhaitais réaliser une thèse en archéologie, mais je ne trouvais pas de financement. A la même époque, je commençais à regarder des vidéos sur YouTube. J’ai été choquée par l’absence des sciences humaines et sociales et des femmes sur cette plateforme… Il y avait un vide à combler.

Je constatais aussi qu’en matière d’Histoire, on donnait beaucoup la parole à des personnalités comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut dans les médias traditionnels. Ces discours me dérangeaient car j’avais étudié ces sujets d’un point de vue plus décentré. J’ai eu l’envie de proposer un autre regard sur l’Histoire.

Je sortais de cinq années d’études et j’ai eu l’idée d’utiliser toutes ces fiches bristol qui pouvaient servir de scripts pour des vidéos. Ayant fait un lycée cinéma audiovisuel, j’étais déjà à l’aise avec l’image et j’appréciais filmer. Alors j’ai décidé d’associer toutes ces choses que j’aime.

Au début j’avais du mal à poser ma voix lorsque je tournais des vidéos. Mais j’ai tout de suite ressenti du plaisir en filmant donc j’ai compris que c’était important pour moi. Dans les commentaires sous mes premières vidéos je pouvais lire : « merci j’ai appris des choses ». Le contrat était rempli.

« Il faut reconnaître ce côté narcissique sur YouTube car quand on est youtubeur il faut aimer se montrer »

Quels sont les avantages de YouTube pour créer et diffuser du contenu ?

YouTube a des vertus pédagogiques mais aussi didactiques. C’est un outil de partage sans précédent. Une image remplace dix lignes. On peut être très créatif et tout moduler.

Je n’ai pas de patron, c’est parfait pour moi qui adore travailler seule et être à mon compte.

Quand on me demande quel est mon métier je réponds que je suis vidéaste et autrice. Le terme youtubeuse est souvent perçu de manière péjorative.

Étonnamment, les personnes à qui j’ai le plus de mal à expliquer en quoi consiste mon métier sont celles de mon âge, autour de la trentaine. C’est déjà arrivé que l’une d’entre elles me lance : « Youtubeuse entubeuse ». Concernant les critiques visant YouTube, j’ai tendance à répondre : quelle structure n’a pas de mauvais côtés ?

Comment choisissez-vous les sujets que vous traitez dans vos vidéos ?

Je travaille avec mon compagnon Lucas Pacotte qui a une formation d’archéologue et d’anthropologue. C’est lui qui écrit, moi je tourne et je monte les vidéos. On choisit les sujets en lisant des livres, en discutant et en nous inspirant de l’actualité. Nous essayons d’aborder des sujets très différents, aussi bien des objets tels que les vêtements, que des notions plus abstraites comme l’Afrocentrisme

L’archéologie est un domaine qui bénéficie d’un grand écho dans les médias. Nous essayons de ne pas traiter des sujets « attendus » comme les pyramides en Égypte, Louis XIV ou la Deuxième Guerre Mondiale. L’objectif est de synthétiser les recherches scientifiques, d’aller à l’essentiel, tout en présentant dans nos vidéos des références complémentaires permettant d’approfondir le sujet.

Il ne s’agit pas d’une chaîne de divertissement mais d’une chaîne qui sert à apprendre des choses. Je n’ai pas peur d’utiliser des termes scientifiques. Cela plaît aux abonnés qui me disent : « Nous on veut que le cerveau chauffe ! ».

« Je me suis rendue compte que si l’on peut offrir aux gens des références, on ne peut pas les faire renoncer à leurs idées »

Dans vos vidéos vous abordez des sujets liés à l’histoire, mais aussi des questionnements toujours actuels et loin d’être consensuels : efficience de la démocratie comme système politique, appropriation culturelle, féminisme… Pourquoi avoir fait ce choix ?

Lorsqu’on fait de l’archéologie ou de l’anthropologie il faut parfois avoir un peu de courage et traiter ces sujets. S’intéresser uniquement à la Préhistoire c’est confortable car personne n’ira vérifier ce qui est dit. Alors sans prétention, nous soulignons quelques fois à travers nos vidéos des tendances existantes dans la société.

Néanmoins « Passé sauvage » se veut être une chaîne de la nuance : personne n’a totalement raison ou tort. En vulgarisant des connaissances scientifiques je me suis rendue compte que si l’on peut offrir aux gens des références, on ne peut pas les faire renoncer à leurs idées.

Selon moi, certaines chaînes sur YouTube sont problématiques car elles divisent le monde entre les bons et les méchants. Elles peuvent se moquer des gens qui croient aux extra-terrestres par exemple. Je trouve que c’est inutile. La question à se poser serait plutôt « quelles sont les raisons qui poussent ces personnes à adhérer à ces idées ? ». Souvent il y a des problèmes dans la transmission ou l’accessibilité aux connaissances.

« En tant que femmes sur YouTube nous n’avons que les miettes d’un festin »

Comment vivez-vous le fait d’être une des rares femmes dans le domaine de la vulgarisation scientifique sur YouTube ?

Pendant quatre ans j’ai fait l’effort de ne rien mentionner sur ma vie personnelle et sur mon genre. Ce n’est que depuis un an que je dévoile que c’est un travail à quatre mains entre un homme et une femme car je suis plus sereine. Je sais que mon contenu est validé par des institutions comme le CNRS ou le CNC et mon public.

J’adore travailler avec des hommes. Mais le caractère odieux et sexiste de certains ressort particulièrement chez certains youtubeurs. Sur le réseau social Discord, j’ai quitté plusieurs salons de discussions entre youtubeurs car les conversations étaient remplies de propos xénophobes et misogynes.

Durant quelques tournages, j’ai rencontré des grosses difficultés à cause des hommes qui se comportaient mal. Lors d’une production en collaboration avec plusieurs youtubeurs, nous étions deux femmes et huit hommes. L’atmosphère était très pesante. Un jour à midi, le producteur s’est tourné vers moi et m’a lancé « On mange quoi ? ». Pendant le déjeuner, c’est déjà arrivé que les hommes regardent des vidéos pornographiques alors que nous étions à table.

Le constat dans le milieu de la vulgarisation scientifique sur YouTube est clair : hommes et femmes ne se mélangent pas. Pendant longtemps faire des collaborations avec des hommes entrainait des commérages du type : « elle va sortir avec ce mec ».

Il y a beaucoup d’hommes sur YouTube qui s’entraident, notamment financièrement. Nous les femmes n’avons compris que récemment que cela leur permettait d’obtenir du travail. En tant que femmes sur YouTube nous n’avons que les miettes d’un festin. Alors nous avons commencé à faire les mêmes choses que les youtubeurs, comme nous citer dans nos vidéos ou nous partager notre réseau.

« Lorsque certaines vidéos sont démonétisées par YouTube je peux perdre plusieurs centaines d’euros »

Quels rapports avez-vous avec votre communauté ?

Pour une chaîne YouTube de vulgarisation scientifique, mon public est très large et va de 25 à 40 ans. Sur Instagram j’échange avec des personnes qui ne sont pas forcément de Lyon et qui m’ont découverte en tant que youtubeuse grâce à mes vidéos.

Avec certaines personnes abonnées à mon contenu, nous avons nouer des liens très forts. C’est presque devenu une correspondance quotidienne, alors qu’on ne s’est jamais vues en réalité. Je tiens à ces personnes.

Avec le confinement j’ai développé une passion pour la poésie que j’ai pu partager avec mon public sur Instagram. Nous nous sommes échangés des textes, c’était vraiment très enrichissant.

J’ai aussi été surprise par le soutien dont je peux bénéficier. Par exemple sous ma vidéo sur l’Afrocentrisme, j’ai reçu une vague de commentaires négatifs. Ma communauté a fait bloc pour me défendre et justifier mon point de vue.

Il y a quatre ans j’ai ouvert une page sur la plateforme de financement participatif Tipeee. Je recollecte environ 500 euros de dons par mois pour financer mes projets. Les donateurs me soutiennent financièrement par peur que la chaîne s’arrête. Je partage aussi cette crainte, même si je suis assez sereine pour la continuité de « Passé sauvage » durant les deux prochaines années.

Est-ce que vous arrivez à vivre de votre activité sur YouTube ?

Aujourd’hui mon activité est viable, c’est ma grande fierté. J’ai réussi à me verser un salaire deux ans après la création de ma chaîne. Depuis 2021 je peux rémunérer mon compagnon. Mon salaire est d’environ 2 000 euros par mois et me permet de vivre confortablement.

Ce revenu est croissant donc je gagne de mieux en mieux ma vie. Cependant lorsqu’on se lance sur YouTube il y a une part d’investissement non négligeable. Le matériel pour filmer et monter des vidéos a un coût qui peut s’élever à plusieurs milliers d’euros.

Sur YouTube, la politique de monétisation des publicités est aussi très fluctuante. Récemment j’ai perdu entre 500 et 700 euros en raison de la démonétisation de la vidéo sur l’anthropologue Margaret Mead. Les raisons sont arriérées et basées sur le puritanisme américain. La vidéo a été démonétisée car elle comportait une image d’archive montrant une femme seins nus originaire de Papouasie en train d’allaiter son enfant.

Quel regard portez-vous sur la ville de Lyon en tant que youtubeuse ? C’est une source d’inspiration dans votre travail ?

Lyon est ma ville de cœur. Je pense y faire ma vie. J’aime Lyon car avant d’être youtubeuse j’y ai fait mes études, j’y suis tombée amoureuse et elle renferme de nombreux endroits marquants de mon histoire personnelle. Le quartier de la Croix-Rousse dans lequel je vis est un vrai coup de cœur. J’aime ses magasins de bouche et son marché.

Lyon est aussi une source d’inspiration car c’est une ville très riche d’un point de vue archéologique. Chaque quartier est très marqué historiquement : Saint-Jean et la Renaissance, Croix-Rousse et les canuts… A Fourvière il suffit de contempler les toits de la ville pour en déduire une chronologie historique. Les façades des bâtiments regorgent de nombreux détails incroyables.

En 2019 j’ai réalisé une vidéo sur la bibliothèque de la Part-Dieu : il s’agissait de mettre en avant les métiers et le silo qui sont derrière le fonctionnement de la bibliothèque. J’aurais voulu en faire un court-métrage. En tant que youtubeuse j’adorerais faire plus de vidéos sur Lyon avec les archives de la ville ou le musée des Confluences.

Vivre à Lyon plutôt qu’à Paris a une influence sur votre activité de youtubeuse ?

La ville n’étant pas très loin de la Bourgogne, je peux retourner quasiment tous les week-ends dans mon ancienne maison d’enfance. C’est un peu un sanctuaire. En tant que youtubeuse vivant à à Lyon je peux avoir ce rythme de vie, entre la ville et la campagne. J’aime ces allers-retours car ils nourrissent mes créations.

Nous sommes toute une bande de youtubeurs et youtubeuses lyonnais. Jusqu’à la pandémie nous nous retrouvions quasiment toutes les semaines dans un café du 7e arrondissement pour discuter.

Habiter à Lyon et être youtubeuse impacte néanmoins mes opportunités de travail. A chaque fois qu’une radio ou une maison d’édition me contacte pour un projet, l’équipe est étonnée que je ne sois pas parisienne. Cela apparait comme un problème alors qu’en deux heures de train je peux être à Paris.

En revanche être youtubeuse à Lyon me permet aussi d’échapper à tout ce qui il y a de mauvais concernant la concurrence sur YouTube. Je peux rester dans ma bulle et garder le secret de mes projets artistiques.

A propos de projets, quels sont vos prochains objectifs ?

Je prépare un moyen métrage car j’essaye de développer de nouvelles compétences cinématographiques. Après le succès de l’Odyssée sauvage, un road trip archéologique que j’ai réalisé en Grèce, je souhaiterais réaliser un nouveau voyage de ce type. Peut-être que la Turquie sera ma prochaine destination !

J’ai également envie d’écrire un livre sur l’anthropologie qui soit accessible au grand public ou encore un livre pour enfants. Plutôt qu’un énième livre sur les dinosaures, j’aimerais évoquer les animaux de la préhistoire ou aborder d’autres sujets tels que l’écologie.


#Archives de Lyon

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Autres mots-clés :

#Archives de Lyon#Culture

À lire ensuite


Cette année, sept étudiants suivent le cursus e-sport de haut-niveau. Cinq étudiants évoluent sur League of Legends et 2 sur Fifa. © Aurélien Defer/Rue89Lyon

Photo : Aurélien Defer/Rue89Lyon

Partager
Plus d'options