Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

[Podcast] Plaidoyer pour une architecture de la réparation

Réparer l’architecture. Un leitmotiv toujours plus d’actualité à l’heure de l’Anthropocène qui menace les conditions d’habitabilité sur notre planète. Architecturer la réparation. Une urgence sur la façon de conduire cette réflexion pour la rendre opératoire. Questionner la place de ce motif de la réparation dans les arts et les techniques au cours de l’histoire, enfin, pour porter attention à nos espaces de vie. De passionnantes questions posées au cours de la table ronde proposée par l’École urbaine de Lyon, dont Rue89Lyon est partenaire.

Son

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Gare Saint-Jean Bordeaux

Ci-après, le propos introductif signé par l’un des intervenants invités ce mercredi 12 mai, Paul Landauer, architecte, docteur et HDR, professeur à l’École d’architecture de la ville et des territoires Paris-Est.

La notion de réparation est ambiguë. Elle désigne, dans le langage courant, aussi bien la remise en état d’un bien abîmé que le dédommagement d’un préjudice. Toutes ces acceptions, qu’elles soient technique ou juridique, matérielle ou symbolique, intéressent aujourd’hui l’architecture.

Car une des conséquences de la découverte de l’Anthropocène est bien la nécessité dans laquelle nous nous trouvons désormais de maintenir autant qu’il est possible l’état du monde tout en compensant les dégâts générés par deux siècles de révolutions industrielles.

Il ne suffit donc pas, pour répondre à l’impératif écologique qui en découle, de s’interdire d’étancher de nouveaux sols, de privilégier les cycles courts et de construire avec des matériaux biosourcés, recyclés ou recyclables ; il convient d’envisager l’acte même de bâtir comme un acte de réparation.

Gare Saint-Jean Bordeaux
Réparation de la gare Saint-Jean à Bordeaux, 2005. Photographie de Paul Landauer

L’architecture en était venue à ignorer l’énergie de la maintenance

Plongée dans l’idéologie de la destruction créatrice, l’architecture en était venue à ignorer l’énergie de la maintenance. Cette énergie avait été réinvestie dans la puissance d’émergence de constructions flambant neuves, comme si l’éclat de leur surgissement pouvait suffire à effacer la conscience de l’entropie. Une telle performance de l’œuvre architecturale, détachée des contingences de la réparation, a pu se déployer tout le temps où les besoins en mètres carrés excédaient l’offre existante.

Or la situation a changé, du moins en Occident : non seulement les constructions et les infrastructures abandonnées dépassent aujourd’hui les besoins en constructions neuves mais celles qui restent en usage, souvent, menacent ruine. L’état d’usure dans lequel se trouvent les nombreuses infrastructures de transport et d’énergie dont nous héritons appelle d’ores et déjà des moyens très importants.

L’effondrement du viaduc de l’autoroute de Gênes, le 14 août 2018, a réveillé les consciences sur la fragilité matérielle du réseau routier et le manque de moyens consacrés à leur entretien. Les explorations actuelles de la smart-city, lesquelles portent notamment sur le développement de routes augmentées et intelligentes, adaptées à l’optimisation des flux et à la voiture sans conducteur, capables tout à la fois de produire de l’énergie et de s’auto-diagnostiquer pour prévenir les pathologies, paraissent bien dérisoires au regard des besoins en entretien et en réparation qu’appellent les ponts et les chaussées existants.

Investir des positions plutôt que préserver la totalité

Dans les années 1980, une jeune génération d’architectes avait déjà déployé une forme de réparation, laquelle consistait à préserver au maximum les bâtiments existants des quartiers faubouriens. Leurs projets ne relevaient pas seulement d’un refus de la démolition et d’une volonté de préserver la mémoire des quartiers existants ; ils avaient aussi le goût de la revanche après les grandes opérations destructrices des Trente Glorieuses.

Les interstices de la ville dense et historique leur offraient l’occasion de réduire au maximum les unités de la ville, de la désagréger en une multitude de fragments, chacun érigés en un système indépendant du tout.

Confrontés à l’ampleur de l’abandon – consécutive à la désindustrialisation massive qu’a connu l’Occident à partir de la fin du XX e siècle – les architectes sont aujourd’hui amenés, de plus en plus, à intervenir dans des sites trop grands. Pour beaucoup, leurs projets ne consistent plus tant à préserver la totalité du site qu’à investir des positions, laissant le majeure partie du site aux forces alliées de la destruction du temps.

Il s’ensuit une nouvelle forme de réparation, laquelle consiste à consolider quelques édifices tout en sublimant la ruine de certains autres, à préparer certains sols tout en laissant la nature bonifier quelques autres.

Quérir la vie dans les ruines de l’ancien

La réparation se distingue de toute rédemption. Elle ne répond à aucun agenda de remplacement d’une doctrine par une autre. Elle ne cherche pas non plus à réconcilier plusieurs doctrines, comme celle de la conservation et celle de la création – ainsi que le proposait la Charte de Venise en 1966.

La réparation n’est pas patrimoniale. Elle n’impose pas de retour à une origine ou à un état initial. D’autant que, le plus souvent, cet état initial est contaminé. Sa décontamination prend du temps, ouvrant ainsi la voie à des agencements et des temporalités incertaines.

Au terme des révolutions industrielles, l’architecture avait fini par s’incarner dans la destruction, la dépense improductive et la foi dans l’innovation. Devenue réparatrice, elle requiert à présent la frugalité, l’adaptation aux héritages et le choix sans gloire du maintien de tout ce qui peut encore vivre.

Alors que la modernité prométhéenne s’attachait à combattre ce qu’elle considérait comme une entrave à la liberté, la réparation fait sa part à l’imperfection, à l’incertitude. La première, emphatique, voulait hâter l’avènement d’un nouveau monde. La seconde, ironique, se contente de quérir la vie dans les ruines de l’ancien.

« Réparer. Arts et architectures à l’heure de l’Anthropocène »

En direct ce mercredi 12 mai de 18h30 à 19h30.

Avec :

  • Norbert Hillaire. Essayiste, chercheur, artiste, et professeur émérite de l’université de Nice Côte-d’Azur (Département des Sciences de la communication et Art numérique). Il préside l’association Les murs ont des idées, dédiée à l’étude de l’habitat et de la ville de demain. Il est notamment l’auteur de La Réparation dans l’art (Scala, 2019).
  • Paul Landauer, architecte, docteur et HDR, professeur à l’École d’architecture de la ville et des territoires Paris-Est, responsable de la filière de master Transformation, directeur de l’OCS-AUSser (UMR CNRS 3329) et fondateur de ABC Architects Building for Capacity. Ses derniers travaux de recherche portent sur le thème des architectures de la réparation, à propos duquel il prépare un ouvrage.

Animation :

François De Gasperi. Doctorant au sein de l’Ecole urbaine de Lyon et rattaché au laboratoire Environnement Ville et Société à l’ENS de Lyon. Ses travaux portent sur la notion de « care » en urbanisme à travers une démarche ethnographique conduite à Lyon et Madrid.

Podcast à écouter à partir du 12 mai ci-après :




#Mercredis de l'anthropocène

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Image d'illustration pour la tribune sur "les espaces de l'hospitalité". ©Léa Jeanjacques.

Photo : Léa Jeanjacques.

revenu inconditionnel travail
Exposition Énergies des désespoirs du monde à réparer
Partager
Plus d'options