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Six mois d’éducation aux médias avec les jeunes de la PJJ, en milieu ouvert et en prison

De février à juin 2019, Rue89Lyon a mené des ateliers d’éducation aux médias avec un jeune public pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ ) : en milieu ouvert et en prison.

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L'intérieur des bureaux de Rue89Lyon à Gerland (Lyon 7ème). ©LB/Rue89Lyon

Rue89Lyon est intervenu au sein de trois structures différentes :

  • Deux structures en milieu ouvert, des Unité éducative et d’activités de jour (UEAJ), celle de Bourg-en-Bresse et celle de Villeurbanne.
  • Une prison, l’Établissement pénitentiaires pour mineurs (l’EPM) de Meyzieu.

C’est la journaliste Margot Hemmerich qui a mené ces interventions. Elle raconte.

Dans ces trois structures, il s’agissait avant tout de séances d’ouverture et de découverte du monde des médias. Dans les UEAJ, il n’existait aucun atelier similaire. Le rythme a donc été fixé à un atelier par semaine, répartis sur trois mois.

A l’EPM, la direction de la PJJ avait tenté de mettre en place un journal des détenus. Le projet, récent, était encadré par les éducateurs eux-mêmes. Ma présence a permis de renforcer la dynamique et d’apporter une expertise professionnelle, sur l’organisation des séances et l’écriture des articles. Les interventions se sont donc faites pendant les vacances scolaires de février et d’avril, sur le modèle de sessions “intensives”.

L’idée était de créer une édition spéciale à ajouter au journal de la prison – “quatre mûres” – qui est publié deux fois par an. Dans l’idée de poursuivre la collaboration avec l’EPM, le prochain objectif serait de passer à trois numéros annuels.

Au sein des trois structures, le groupe pouvait être composé de cinq jeunes, âgés de 13 à 18 ans. Les jeunes étaient soit incarcérés, sous contrôle judiciaire, soumis à une mesure du juge des enfants, ou “seulement” déscolarisés et suivis par des éducateurs. Le public spécifique justifiait donc de ne pas faire de plus grands groupes, ce qui a été décidé par la PJJ.

Ouverture aux médias et à l’actualité

Les premières séances ont permis d’échanger autour de leur rapport à l’information et à l’actualité. Comment s’informent-ils, s’ils le font ? Savent-ils distinguer entre un média et un réseau social ? A quelles thématiques s’intéressent-ils ?

Ce qui est ressorti avant tout tient à leur intérêt pour les faits divers et judiciaires, un attrait davantage pour les sujets qui les concernent directement et dans une proximité géographique. En prison, les jeunes regardent la télévision, et surtout BFM, ou bien “TF1 pour le JT en famille” le reste de l’année. Mais à l’EPM, l’une des principales distractions en cellule, c’est la télé. Et il faut varier les programmes.

Certains jeunes ont ainsi témoigné beaucoup d’intérêt pour les documentaires longs et les reportages à l’international.

Dans les trois structures, peu d’entre eux en revanche avaient l’habitude de lire la presse écrite, à l’exception du Progrès. Tous s’informent sur leur smartphone, “avec la page actu qui défile et fait un condensé des informations du moment”, sur snapchat ou Instagram.

Lors des premières séances, j’avais apporté plusieurs titres de presse pour les faire découvrir : Le Monde, Libération, Marianne, Courrier International, Le Progrès, ou encore Corbacabana (le journal des détenus de la prison de Corbas). C’est principalement ce dernier qui a plu.

A l’EPM de Meyzieu, toutefois, les journaux restant dans la salle pendant toute la semaine, les jeunes sont revenus plusieurs fois pour les feuilleter.

Premier objectif : intéresser un jeune public déscolarisé

De nombreux jeunes participant aux ateliers sont ou ont été déscolarisés. Difficile parfois de les convaincre de l’intérêt de ces ateliers et de les garder concentrés pendant des séances.

Pour cela, j’ai dû varier les supports et choisir des activités ou « exercices » courts. Dans les structures ouvertes, les séances débutaient toujours avec un tour de table sur l’actualité de la semaine. La méthode : s’appuyer sur des vidéos courtes, de quelques minutes, tirées de journaux télévisés ou de sites d’infos en lignes, afin d’échanger et de faire réagir à l’actualité.

Certains thèmes ont très bien fonctionné : les « gilets jaunes » ; l’affaire dite Benalla ; la marche du retour en Palestine ; la fin de la trêve hivernale ; l’attentat de Christchurch ; les manifestations du 1er Mai ; les élections européennes ; ou plus largement l’écologie.

Les vidéos du CLEMI ont également servi de support régulier pour lancer un débat ou une discussion autour des médias : qu’est qu’un journaliste ? Un journaliste est-il objectif ? Qu’est ce qu’une information ? Qu’est ce que la liberté d’expression ? Ces supports ont permis d’évoquer directement la notion de diffamation, d’objectivité, les différents supports médiatiques, l’indépendance des grandes chaînes, la violence à la télévision…

Fake news et théories du complot

L’un des axes prioritaires de ces ateliers consistait à déconstruire les théories du complot et les fake news. Ce fut un fil rouge de nos séances. Chaque discussion devait soulever la question de la source, et de l’origine de l’information. Pour autant, les séances ont montré que les jeunes n’étaient pas très nombreux à croire à ces théories.

Même si pour certains, les croyances peuvent aller loin :

  • La pub Dior avec Johnny Depp ? Sataniste.
  • Johnny, ou Macron ? Ils ont passé des pactes avec le diable également.
  • Au pouvoir, les hommes politiques comme les stars de cinéma ont vendu leur âme en échange de l’argent et de la gloire.

Un autre jeune avait beaucoup de mal à faire la différence entre des vidéos de déconstruction des théories du complot, et celles véritablement complotistes. Comme cette vidéo sur Michael Jackson.

Mon rôle de journaliste en atelier consiste à interroger : comment peux-tu être certain que ce youtubeur est fiable ? Si tu te méfies de tout le monde, pourquoi le croire lui ? Sais-tu reconnaître un montage vidéo ?

Surtout, ne jamais dire que leurs croyances sont folles. Interroger, sans s’opposer. Le remède le plus utile s’est toutefois révélé être les réactions et contradictions des autres jeunes dans la salle :

“T’es sérieux, tu crois tout ça ?”

Pour la majorité cependant, leur méconnaissance témoigne davantage d’un désintérêt pour l’actualité et les média traditionnels que de véritable complotisme. S’ils passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, en particulier « Snap » ou « Insta », ils savent voir d’où ça vient, quelle en est la source. L’un d’eux a même déclaré en atelier :

“Je crois que pour que ce soit fiable, il faut toujours trois sources pour recouper”

A l’EPM, il n’y a eu aucune mention ou remarque se rapprochant d’un raisonnement complotiste. Plutôt une tendance à trouver les médias traditionnels très orientés :

“Depuis deux semaines ils montrent des gilets jaunes en train de brûler des poubelles”.

Le plus difficile tient donc à les intéresser à d’autres sujets que leurs propres affaires – quand elles se retrouvent dans la presse locale -, des faits divers, des vidéos postées par des citoyens lambdas, et tenter de leur faire découvrir d’autres médias que BFM ou Le Progrès.

Travailler dans un cadre contraint et un contexte difficile

Organiser des ateliers d’éducation aux média avec un jeune public encadré par la PJJ implique de travailler dans un contexte particulier.

De nombreux jeunes sont déscolarisés, totalement ou partiellement. Leur demander d’écrire représentait un exercice souvent compliqué, surtout en UEAJ, où la plupart avait moins de 16 ans et quelques lacunes.

Quand d’autres avaient toutes les connaissances, mais un parcours chaotique lié à la délinquance, avec des passages fréquents devant le juge et/ou en prison.

Ainsi, j’ai dû revoir les objectifs initialement fixés de production d’un journal écrit. Le projet a davantage été réorienté vers des discussions autour de l’actualité, sur le sens du journalisme, sur le traitement local ou national de certains faits. La forme orale a été privilégiée, ce qui ouvre la voie à une réflexion pour une prochaine collaboration autour de projets radio, avec des supports techniques (micro, montage…) plus présents. Il faut réussir à établir un lien de confiance pour que les jeunes aient envie non seulement de venir mais de s’impliquer et de rester concentrés. Selon les groupes, nous pourrons alors envisager de sortir des locaux de l’UEAJ et d’aller se frotter au micro-trottoir, par exemple.

Ensuite, d’une semaine à l’autre, les groupes n’étaient pas toujours les mêmes. A Bourg, le noyau dur est resté stable, mais à Villeurbanne, soit les emplois du temps changeaient, certains retournant au collège, soit les jeunes ne venaient pas. Comme les éducateurs-trices au quotidien, il fallait conjuguer avec le turn-over.

Une séance à part a toutefois été organisée avec un autre groupe de jeunes, qui avaient participé un mois plus tôt au Parcours du goût. Rédiger un article permettait de raconter leur expérience, tout en apprenant quelques « codes » journalistiques : le chapô, le titre…

Des ateliers en prison

A l’EPM, les difficultés étaient moins liées à l’intérêt des jeunes et à leur niveau scolaire qu’au cadre de la prison. Pas d’accès à Internet dans une salle fermée de l’extérieur. L’atelier se déroule pendant deux heures sans possibilité de sortir ni d’aller chercher de l’information ailleurs. Il faut s’adapter. Pour les besoins d’un sujet sur la santé en prison, une jeune a préparé en atelier des questions pour une interview qu’elle a pu poser plus tard dans la semaine à un infirmier. Pour compléter son sujet, elle a interrogé les autres jeunes présents dans la salle pour avoir des témoignages.

Pour la recherche d’information, les sources, les interviews, c’était donc difficile de mettre en application la posture journalistique qui consiste à recouper les sources et varier les interlocuteurs. Les ateliers ont mis en avant l’importance de l’expression orale puis écrite, l’idée qu’il faut partir d’un ressenti, d’une idée, soit pour la déconstruire, soit pour monter en généralité à partir d’un cas.

Les articles rendus étaient parfois moins journalistiques et plus focalisés sur des expériences et ressentis personnels, bien que complétés ensuite par des sources extérieures (chiffres, textes de lois…)

Edition spéciale à l’EPM

Le journal “Quatre mures” est édité deux fois par an et distribué à l’ensemble des personnels judiciaires, de direction et des éducateurs, en cellules, au personnel soignant, mais aussi aux magistrats, parents… L’idée était donc de venir en appui aux éducateurs pour réaliser un dossier spécial à intégrer dans le dernier numéro.

Lors du premier jour, un brainstorming a été réalisé pour lister des thèmes autour desquels décliner plusieurs articles pour ce dossier. Idées proposées : Le Ramadan en prison ; les inégalités et les discriminations ; la santé ; la famille ; la vision des quartiers. Finalement, les jeunes ont tranché pour un thème large, les discriminations, pour pouvoir inclure plusieurs articles à travers ce prisme.

Chacun s’est ensuite consacré à un sujet : l’accès à la santé en prison / le logement en banlieue / un article plus “édito” sur les discriminations liées au fait d’habiter un quartier populaire ou d’être issu de l’immigration / un compte-rendu d’un groupe de parole organisé par l’association Co-exister.

Chacun a participé à la rédaction, avec l’aide également de l’éducatrice. Il a fallu réorganiser un peu les idées mais le niveau d’expression et d’écriture – orthographe, tournure de phrases… – étaient très bons. Il restait seulement un peu de mise en page mais l’objectif a été largement atteint.

Certaines remarques à la fin de la semaine sont venues conforter l’utilité de cet atelier :

“je ne pensais pas être capable d’écrire un article comme ça, moi-même”

Pour un autre, c’était la possibilité d’écrire un article sur son quartier et le logement, pour faire ressortir “toutes ces choses positives que ne montrent jamais les media”.

Certains projets n’ont pas pu être terminés pendant les sessions, mais ils ont été poursuivis dans le cadre hebdomadaire de l’atelier journal, encadré par les éducateurs de l’EPM. C’est le cas d’une jeune qui écrivait un article sur l’avortement – l’historique de la loi en France, le combat des femmes, et un focus sur ces pays qui luttent encore.

> Ces ateliers ont été financés par une subvention de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Auvergne Rhône-Alpes


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