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20/03/2024 date de fin
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Là-haut, Schifrin : parcours d’un géant au sommet de son art

Ils ne sont plus très nombreux, les monstres sacrés de la musique de film. Là-haut, au sommet, là où vraisemblablement peu de nos compositeurs actuels finiront, se trouvent encore John Williams, Ennio Morricone, Michel Legrand… et Lalo Schifrin.

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Là-haut, Schifrin : parcours d’un géant au sommet de son art

L’argentin, récemment honoré par la Cinémathèque française et le Festival de musiques de films de La Baule, fait partie de ce club très fermé des derniers dinosaures, ceux qui savaient composer des thèmes indissociables des films ou séries télévisées qu’ils accompagnaient et que l’on sifflote encore et encore des dizaines d’années après leur sortie.

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«Tu veux venir aux Etats-Unis ?»

Né Boris Claudio Schifrin à Buenos Aires le 21 juin 1932, le petit Lalo démarre très tôt la musique grâce à son père, violiniste dans un orchestre symphonique. A six ans, il commence le piano. A 20 ans, lorsqu’un ami lui apprend que le Conservatoire de Paris offre des bourses aux étudiants étrangers, le jeune Schifrin s’envole pour la France. Tout en étudiant, il trouve le temps d’enregistrer son premier album, Rendez-vous dansant à Copacabana, une relecture des standards à la sauce latin jazz.

« J’ai beaucoup aimé étudier en France, raconte-t-il à Libération. Et puis, je n’ y dormais jamais ! Dans la journée, j’étais au Conservatoire, j’étudiais, je faisais des exercices, et le soir j’allais jouer du jazz à Saint-Germain avec des musiciens français, belges et même quelques américains comme Jimmy Gourley. »

A son retour en Argentine, Schifrin lance son propre orchestre de jazz composé de seize musiciens, grâce auquel il va faire la connaissance du légendaire trompettiste Dizzy Gillespie, qui aura une grande influence sur sa carrière :

«Tout a vraiment commencé lors de la venue de Dizzie à Buenos Aires, expliqua-t-il dans ses Entretiens avec Georges Michel en 2005. Au cours d’un diner, j’ai joué devant lui. Il est venu me voir après pour me demander si c’était bien moi l’auteur de ces arrangement. J’ai acquiescé et il a ajouté : tu veux venir aux Etats-Unis ?»

En 1958, Schifrin débarque donc à New York, Gillespie l’engage et fait de lui son pianiste et arrangeur. Grâce à lui, Schifrin est pris sous contrat sous le label Verve, qui appartient à la MGM, laquelle le fait travailler en 1964 sur la B.O. du fim de René Clément, Les Félins, avec Alain Delon et Jane Fonda.

« J’avais en moi un ressort, explique-t-il. Et René Clément m’a permis de révéler ce potentiel, de combiner musique symphonique, jazz et électronique. Si l’on compare ma carrière cinématographique à une maison, Les félins en sont les fondations ».

Dès ses premières compositions pour le cinéma en effet, notamment pour le Kid de Cincinnati (Norman Jewison, 1965) avec Steve McQueen, Schifrin impose un style très personnel, inimitable. Mais on reconnait la patte légère et nerveuse de ces compositeurs de musiques de films formés par le jazz, comme Henri Mancini ou Michel Legrand.

La musique de film entre avec eux dans une nouvelle ère qui donne un méchant coup de vieux aux maestros historiques, les Dimitri Tiomkin et autres Miklos Rozsa.

À la même époque, un trompettiste italien du nom de Morricone s’affaire à dépoussiérer le genre en mélant à ses compositions des cris d’animaux, bref, plus rien ne sera comme avant et Lalo Schifrin est de ceux à qui l’on doit cette évolution, cette nouvelle écriture. Mais Schifrin n’en abandonne pas pour autant son amour du jazz et enregistre en 62 un album avec Count Basie, Back with Basie.

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Thrillers urbains

Son style nerveux avec ses cuivres puissants et ses rythmes enlevés fait également merveille à la télévision qui connaît elle aussi une nouvelle ère. Le thème de Mission : Impossible, écrit en 1966 pour la série éponyme, reste peut-être aujourd’hui la plus fameuse composition de Schifrin.

On le sent déjà poindre, ce thème mythique, dans la musique qu’il a composé deux ans auparavant pour deux épisodes de la délirante série Agents très spéciaux, un arrangement du générique composé par Jerry Goldsmith. Cultissime, indémodable et immédiatement reconnaissable, le générique de Mission : impossible, à l’instar de celui de 007, n’a cessé d’être revisité par de nombreux compositeurs, notamment ces dernières années pour accompagner les exploits de Tom Cruise dans la franchise ciné.

«Je voulais créer le son de l’excitation, explique le musicien dans le livret du coffret CD The sound of Lalo Schifrin, sorti récemment dans la collection Ecoutez le cinéma. Le générique devait sonner comme un appel, une convocation musicale à venir immédiatement s’installer devant le poste de télévision».

Mission : réussie.

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Suivront d’autres classiques pour le petit écran : le thème de Mannix, la musique du pilote de Starsky & Hutch, la version série-télé de La Planète des singes et même quelques épisodes de The Undersea World of Jacques Cousteau, entre 1966 et 1968. Il avouera partager les préoccupations du Commandant Cousteau concernant l’éco-système mais rencontrer toutefois quelques difficultés à traduire en musique ces problèmes d’écologie.

En 1968, Schifrin débute un long partenariat de cinq films avec le réalisateur Don Siegel. Après la B.O. d’Un shérif à New York, premier film de Clint Eastwood après sa trilogie de western-spaghettis sauce Leone, il s’attaque en 1971 à celle d’un autre film avec le duo Siegel-Eastwood, L’Inspecteur Harry, qui fera date.

La B.O., complètement destructurée, avec ses répercussions de bruits ambiants, sa voix féminine a cappella et ses pauses oppressantes, suggère à merveille l’anxiété et traduit la dinguerie du personnage de Scorpio, le tueur que traque Harry.

«L’anxiété, explique Schifrin dans ses Entretiens, c’est psychologique et elle permet d’en dire beaucoup sur l’homme. J’ai commencé à étudier la musique de film de façon autodidacte, en regardant surtout des thrillers, des films noirs.

J’ai ainsi appris à percevoir les différences de style, qui ont aujourd’hui tendance à disparaître.

Pour le style américain, prenez La cité sans voiles (Jules Dassin, 1948), grand film sur New York  : l’action domine, l’acteur bouge tout le temps.

Dans le film anglais à la Hitchcock, c’est le suspense qui prévaut : il se développe lentement. Dans le film français, c’est la psychologie qui l’emporte, comme dans Quai des orfèvres (1947) ou dans les films de René Clément. Avec Don Siegel, on ne parlait pas de théorie ; il était avant tout un film maker.

Ce qui ne m’a pas empêché de tenter d’accentuer, par la musique, le côté psychologique et la dimension intérieure du film.»

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La même année, ce sera Bullit de Peter Yates, avec Steve McQueen, autre thriller urbain mais cette fois bercé de rythmes plus jazzy. En témoigne ce formidable morceau, Shifting gears, qui accompagne le prologue de la fameuse poursuite automobile dans les rues de San Francisco.

Le suspense monte crescendo, la tension s’installe alors que McQueen a répéré la voiture qui le suit, puis la musique stoppe net lorque la poursuite s’engage entre les deux véhicules, car une bonne musique de film doit aussi savoir s’effacer, ne pas être omniprésente.

Se regarder dans la glace

En 1973, Schifrin est contacté pour écrire la musique de L’exorciste, de William Friedkin. Mais les premières notes qu’il compose pour accompagner un premier montage du film sont jugées effrayantes par les responsables de la production :

«Dîtes à Schifrin de baisser d’un cran, ça fait trop peur».

Plus tard, un conflit avec Friedkin mettra fin à cette collaboration mais Schifrin ne s’en fait pas trop, même les plus grands se sont vus refuser leur partition à un moment ou un autre de leur carrière.

Son confrère Bernard Herrmann, l’immense Bernard Herrmann, ne s’est-il pas fait débarquer par Alfred Hitchcock qui, mécontent de sa musique pour Le rideau déchiré, lui a préféré John Addison ?

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D’autant que la liste est longue de ses succès suivants qui va couvrir près de quatre décennies : de Luke la main froide au Renard (dont le thème The Fox sera repris pour la fameuse pub des collants Dim), d’Amityville à De l’or pour les braves en passant par L’aigle s’est envolé, Un espion de trop, Les proies, L’inspecteur Harry est la dernière cible, Tango, Duel dans le Pacifique, La colère de dieu, Magnum Force, Le voyage des damnés, Osterman Week end, Opération Dragon, Bons baisers d’Athènes, Tank (dont Quentin Tarantino subtilisera un morceau pour sa B.O. d’Inglourious Basterds), THX 1138, Joe Kidd, Brubaker et plus récemment, Rush Hour 1, 2 et 3.

Entre chaque film, jamais Schifrin ne négligera son amour du jazz et de la bossa nova en enregistrant nombre d’albums bien loin des atmosphères anguoissantes qu’il imagine pour le cinéma.

 

Au Grand Rex en 2007, Schifrin reprenait le thème de Dirty Harry avec Kyle Eastwood à la basse.
Au Grand Rex en 2007, Schifrin reprenait le thème de Dirty Harry avec Kyle Eastwood à la basse.

Durant les années 90, Schifrin va alterner musiques de films et enregistrements d’albums de jazz orchestral intitulés Jazz meets the symphony et devenir, toujours passionné par la musique classique, le principal arrangeur des Trois Ténors (Placido Domingo, José Carreras et Luciano Pavarotti). En 1994, on le retrouve dans le  Jury du Festival de Cannes.

En 2002, Lalo Schifrin traverse l’écran et interprète le rôle d’un chef d’orchestre – what else ?- dans les premières minutes du film Dragon rouge, de Brett Ratner. Il dirige ici Le songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, mais son flûtiste offre une si mauvaise prestation qu’il finira dévoré par le très mélomane Hannibal Lecter, assis dans le public et qui souffre en silence.

Mais bien qu’il ait été plutôt malchanceux les soirs de remises de prix, avec six nominations aux Oscars et quatre nominations aux Golden Globes dont il repartira les mains vides, Schifrin ne risque pas de terminer dans l’assiette d’un assassin cannibale amateur de musique classique. Il n’y a aucune fausse note dans sa carrière :

« Je ne pense pas avoir composé de partitions médiocres mais j’ai travaillé pour des films médiocres. J’ai toujours fait mes musiques de la façon la plus honnête qui soit. Il faut que je puisse me regarder dans la glace !».

Pour s’immerger plus encore dans les secrets d’une formidable carrière :

  • Le coffret CD The sound of Lalo Schifrin dans la collection Ecoutez le cinéma.
  • Lalo Schifrin, entretiens avec Georges Michel, (Editions Rouge Profond, 2005), ainsi que cette interview sur Cinezik.

 

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